«La guerre 3.0: permanences et ruptures», tel est le thème d’une conférence, organisée, mercredi soir, par le Collège de défense G5 Sahel dans son siège à Nouakchott. Elle est animée par le général Didier Castres, ancien sous-chef d’état-major des armées françaises.
Dans sa présentation, le conférencier a expliqué le thème de la bataille 3.0, précisant qu’elle constitue une crise ou un organisme vivant, qui se développe, se rétracte, s’embrase ou s’éteint. «On ne peut pas plaquer du mécanique sur du vivant».
Il a ajouté que chaque crise nécessite que la réponse se modèle sur la courbe des événements. Actuellement, cette courbe dessine un cadre nouveau que le Général Didier Castres appelle standards 3.0.
«Les autres éléments de contexte sont: la continuité entre crises extérieures et sécurité intérieure. Cette continuité impose une coordination beaucoup plus forte entre les armées qui conduisent la "bataille de l’avant" en opérations extérieures et les services de l’Etat qui assurent la protection des citoyens sur le territoire national», dit-il.
Le général Didier Castres a évoqué, également, sa longue expérience de gestion des crises, autrement dit, des guerres et conflits armés.
Au sujet de la singularité du «standard 3.0» est que des armées traditionnelles doivent affronter des adversaires « asymétriques» aux capacités «nivelantes» (engins explosifs improvisés, cyberattaques, armes chimiques, etc…) qui, explique le général Castres, «réduisent sensiblement l’écart technologique» avec les forces occidentales.
Parlant du G5-Sahel, le général Castres a précisé qu’il constitue une institution novatrice, d’autant que ce n’est pas l’Union Africaine, ni la CEDEO, ni la CECA. C’est un mécanisme de mutualisation des efforts qui a permis de mettre en place une force conjointe contre les groupes terroristes.
Mais ces groupes terroristes ne seront battus que lorsque seront rompues la cohérence et l’unité de leurs forces. C’est une question de patience et de persévérance. Les bombes triomphent rarement des idées. Elles en triomphent d’autant moins qu’aujourd’hui cette crise à défaut d’être mondiale est mondialisée. Si la dimension sécuritaire se concentre sur un espace géographique défini, ce qui l’alimente provient du monde entier: transferts de technologies, flux financiers, propagande, filières de recrutements. Il faut donc combiner et coordonner des actions sur l’ensemble des leviers qui entretiennent la crise, partout où sont ces leviers. Il faut regarder les crises dans leur globalité et pas au microscope…
Ce qui fait dire au Général Castres que «Nous sommes résolument entrés dans l’ère de "l’inter": inter agences, interministériel et international. Le troisième point, qui modèle l’environnement est une forme d’érosion du droit international qui ne constitue plus systématiquement une référence commune dans la résolution des crises.
La «war fatigue» affecte des pays qui sont en guerre depuis quinze ans, comme les Etats-Unis et nombre de leurs alliés et qui se sont battus sans discontinuer en Irak et en Afghanistan. Le coût financier, le coût humain et parfois le coût politique expliquent la prudence à s’engager à nouveau dans des opérations longues, risquées et dont ils ne perçoivent pas la menace directe et imminente sur leurs intérêts.
Il existe néanmoins des alliances?
Une des conséquences de cette «war fatigue», est que les opérations militaires d’aujourd’hui ne se superposent plus exactement aux alliances militaires traditionnelles, l’OTAN ou l’Union européenne. Pour chaque opération, une coalition ad hoc est constituée. Ce qui suppose de s’engager avec des partenaires qui peuvent avoir des standards militaires, des cultures opérationnelles très différentes les unes des autres. Cela pose aussi de vraies questions. Jusqu’où pousse-t-on l’interopérabilité technique, au risque de ne plus pouvoir s’engager avec des partenaires qui n’ont pas les mêmes normes? Comment intégrer la question de l’interopérabilité culturelle? Pour être efficace militairement, une coalition ne doit pas se réduire à une somme arithmétique d’hommes ou de matériels.
Quels armements faut-il contre un ennemi «asymétrique?
Il faut décrire l’adversaire asymétrique. D’abord il est protégé par et dans les populations. L’effet des armes doit donc être extrêmement maîtrisé et particulièrement précis. Il est possible de mettre hors de combat tous les adversaires, mais si par imprécision, l’action entraîne des victimes civiles, alors les conditions de leur remplacement sont créées au sein de la population. Cet ennemi refuse aussi systématiquement le combat frontal, sauf quand il s’estime en position de force. Il est organisé en réseau décentralisé, extrêmement fluide et il s’entoure de mesures de sauvegarde et de discrétion, très efficaces ! Il faut donc rechercher non pas à détruire son potentiel militaire; ce qui est vain, mais à neutraliser ses centres de gravité: chefs, centres de commandement, camps d’entraînement, filières logistiques... On passe, alors, d’une guerre des stocks à une guerre des flux.
Les armées traditionnelles ont été conçues dans une logique de guerre symétrique. Tout l’enjeu, sans abandonner l’idée d’un tel affrontement, consiste à les ajuster à la réalité des adversaires. C’est très précisément ce qui a été entrepris à l’occasion de l’actualisation de la loi de programmation militaire, en renforçant les capacités clés des opérations telles qu’elles sont actuellement menées: drones, hélicoptères, avions de transport tactique, ravitailleur, forces spéciales, système félin,... Aujourd’hui, il faut adapter les capacités, les concepts et les modes d’action à quelques principes simples, mais exigeants: inverser le principe d’incertitude, car souvent, en raison de l’empreinte de nos matériels, nous sommes lents, lourds et prévisibles ; ce dont profitent nos adversaires. Nous devons également être capables d’ubiquité pour agir en tout point d’une zone d’opération qui au Sahel représente 4 fois la superficie de notre pays. Il faut également être capable de «foudroyance» pour conduire à coup sûr une action quand notre adversaire se dévoile. Il faut aussi intégrer le champ de perceptions dans nos opérations que ce soit de façon directe ou dans le cyberespace car Il n’y a pas de solution à une crise si les populations concernées n’y sont pas associées et n’y aspirent pas.
Nous sommes confrontés à une menace en perpétuelle mutation, et qui s’appuie sur des capacités "nivelantes" : explosifs improvisés, tireurs d’élite, armes chimiques, zones urbanisées, cyber attaques... Ces capacités nivelantes réduisent sensiblement l’écart technologique vis-à-vis de l’adversaire. En plus des atouts de la technologie dans la conduite des opérations, il convient également de développer une grande agilité, une grande adaptabilité opérationnelle et une grande réactivité tant industrielle, en matière d’innovation qu’intellectuelle, en matière de modes d’action.
La conférence s’est déroulée en présence des chefs d’état-major des différentes forces armées et de sécurité, des directeurs de centres d’études et de recherches, des présidents des universités, de professeurs universitaires, d’attachés militaires présents à Nouakchott et des élèves officiers membres de la 3ème promotion du Collège de Défense du G5-Sahel.
AMI
Dans sa présentation, le conférencier a expliqué le thème de la bataille 3.0, précisant qu’elle constitue une crise ou un organisme vivant, qui se développe, se rétracte, s’embrase ou s’éteint. «On ne peut pas plaquer du mécanique sur du vivant».
Il a ajouté que chaque crise nécessite que la réponse se modèle sur la courbe des événements. Actuellement, cette courbe dessine un cadre nouveau que le Général Didier Castres appelle standards 3.0.
«Les autres éléments de contexte sont: la continuité entre crises extérieures et sécurité intérieure. Cette continuité impose une coordination beaucoup plus forte entre les armées qui conduisent la "bataille de l’avant" en opérations extérieures et les services de l’Etat qui assurent la protection des citoyens sur le territoire national», dit-il.
Le général Didier Castres a évoqué, également, sa longue expérience de gestion des crises, autrement dit, des guerres et conflits armés.
Au sujet de la singularité du «standard 3.0» est que des armées traditionnelles doivent affronter des adversaires « asymétriques» aux capacités «nivelantes» (engins explosifs improvisés, cyberattaques, armes chimiques, etc…) qui, explique le général Castres, «réduisent sensiblement l’écart technologique» avec les forces occidentales.
Parlant du G5-Sahel, le général Castres a précisé qu’il constitue une institution novatrice, d’autant que ce n’est pas l’Union Africaine, ni la CEDEO, ni la CECA. C’est un mécanisme de mutualisation des efforts qui a permis de mettre en place une force conjointe contre les groupes terroristes.
Mais ces groupes terroristes ne seront battus que lorsque seront rompues la cohérence et l’unité de leurs forces. C’est une question de patience et de persévérance. Les bombes triomphent rarement des idées. Elles en triomphent d’autant moins qu’aujourd’hui cette crise à défaut d’être mondiale est mondialisée. Si la dimension sécuritaire se concentre sur un espace géographique défini, ce qui l’alimente provient du monde entier: transferts de technologies, flux financiers, propagande, filières de recrutements. Il faut donc combiner et coordonner des actions sur l’ensemble des leviers qui entretiennent la crise, partout où sont ces leviers. Il faut regarder les crises dans leur globalité et pas au microscope…
Ce qui fait dire au Général Castres que «Nous sommes résolument entrés dans l’ère de "l’inter": inter agences, interministériel et international. Le troisième point, qui modèle l’environnement est une forme d’érosion du droit international qui ne constitue plus systématiquement une référence commune dans la résolution des crises.
La «war fatigue» affecte des pays qui sont en guerre depuis quinze ans, comme les Etats-Unis et nombre de leurs alliés et qui se sont battus sans discontinuer en Irak et en Afghanistan. Le coût financier, le coût humain et parfois le coût politique expliquent la prudence à s’engager à nouveau dans des opérations longues, risquées et dont ils ne perçoivent pas la menace directe et imminente sur leurs intérêts.
Il existe néanmoins des alliances?
Une des conséquences de cette «war fatigue», est que les opérations militaires d’aujourd’hui ne se superposent plus exactement aux alliances militaires traditionnelles, l’OTAN ou l’Union européenne. Pour chaque opération, une coalition ad hoc est constituée. Ce qui suppose de s’engager avec des partenaires qui peuvent avoir des standards militaires, des cultures opérationnelles très différentes les unes des autres. Cela pose aussi de vraies questions. Jusqu’où pousse-t-on l’interopérabilité technique, au risque de ne plus pouvoir s’engager avec des partenaires qui n’ont pas les mêmes normes? Comment intégrer la question de l’interopérabilité culturelle? Pour être efficace militairement, une coalition ne doit pas se réduire à une somme arithmétique d’hommes ou de matériels.
Quels armements faut-il contre un ennemi «asymétrique?
Il faut décrire l’adversaire asymétrique. D’abord il est protégé par et dans les populations. L’effet des armes doit donc être extrêmement maîtrisé et particulièrement précis. Il est possible de mettre hors de combat tous les adversaires, mais si par imprécision, l’action entraîne des victimes civiles, alors les conditions de leur remplacement sont créées au sein de la population. Cet ennemi refuse aussi systématiquement le combat frontal, sauf quand il s’estime en position de force. Il est organisé en réseau décentralisé, extrêmement fluide et il s’entoure de mesures de sauvegarde et de discrétion, très efficaces ! Il faut donc rechercher non pas à détruire son potentiel militaire; ce qui est vain, mais à neutraliser ses centres de gravité: chefs, centres de commandement, camps d’entraînement, filières logistiques... On passe, alors, d’une guerre des stocks à une guerre des flux.
Les armées traditionnelles ont été conçues dans une logique de guerre symétrique. Tout l’enjeu, sans abandonner l’idée d’un tel affrontement, consiste à les ajuster à la réalité des adversaires. C’est très précisément ce qui a été entrepris à l’occasion de l’actualisation de la loi de programmation militaire, en renforçant les capacités clés des opérations telles qu’elles sont actuellement menées: drones, hélicoptères, avions de transport tactique, ravitailleur, forces spéciales, système félin,... Aujourd’hui, il faut adapter les capacités, les concepts et les modes d’action à quelques principes simples, mais exigeants: inverser le principe d’incertitude, car souvent, en raison de l’empreinte de nos matériels, nous sommes lents, lourds et prévisibles ; ce dont profitent nos adversaires. Nous devons également être capables d’ubiquité pour agir en tout point d’une zone d’opération qui au Sahel représente 4 fois la superficie de notre pays. Il faut également être capable de «foudroyance» pour conduire à coup sûr une action quand notre adversaire se dévoile. Il faut aussi intégrer le champ de perceptions dans nos opérations que ce soit de façon directe ou dans le cyberespace car Il n’y a pas de solution à une crise si les populations concernées n’y sont pas associées et n’y aspirent pas.
Nous sommes confrontés à une menace en perpétuelle mutation, et qui s’appuie sur des capacités "nivelantes" : explosifs improvisés, tireurs d’élite, armes chimiques, zones urbanisées, cyber attaques... Ces capacités nivelantes réduisent sensiblement l’écart technologique vis-à-vis de l’adversaire. En plus des atouts de la technologie dans la conduite des opérations, il convient également de développer une grande agilité, une grande adaptabilité opérationnelle et une grande réactivité tant industrielle, en matière d’innovation qu’intellectuelle, en matière de modes d’action.
La conférence s’est déroulée en présence des chefs d’état-major des différentes forces armées et de sécurité, des directeurs de centres d’études et de recherches, des présidents des universités, de professeurs universitaires, d’attachés militaires présents à Nouakchott et des élèves officiers membres de la 3ème promotion du Collège de Défense du G5-Sahel.
AMI