Lauréat du Prix des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et de plusieurs autres distinctions à travers le monde pour son combat en faveur des noirs en Mauritanie, Biram Dah Abeid dénonce le silence de l’Union Africaine au sujet du sort de la communauté noire dans son pays. Se référant au cas sud-africaine, le chef de file du mouvement de libération des noirs en Mauritanie, rencontré à la faveur de l’édition 2017 du Forum mondial des médias à Bonn (Allemagne), dénonce une « indignation sélective » des Etats africains en réaffirmant l’engagement de son mouvement à poursuivre le combat contre le pouvoir raciste,« afrophobe » et esclavagiste qui dirige la Mauritanie.
Droits Humains Infos : Quel état des lieux faites-vous de la situation des Droits humains en Mauritanie ?
Biram Dah Abeid : La Mauritanie est un pays qui vit un apartheid non écrit en Afrique de l’ouest. Cet apartheid n’est pas implanté par des blancs d’Europe mais par une minorité arabo-berbère dont les membres se définissent eux-mêmes comme étant des blancs. Ils ont hérité le pouvoir, l’Etat post indépendant des Français dont ils étaient les auxiliaires et les alliés dans la colonisation de la Mauritanie. Il y a une faction arabo-berbère qui est obscurantiste, « afrophobe », foncièrement raciste et anti-noirs qui a pris le pouvoir par la force depuis 1978. C’est un club de militaires qui se disent nationalistes mais en vérité ils sont imbus d’un nationalisme local principalement tourné vers la confiscation de l’Etat en Mauritanien au profit de leur minorité arabo-berbère au détriment des noirs autochtones de la Mauritanie qui sont considérés dans la philosophie, dans la rhétorique de cette faction fascisante comme des étrangers. Pour cette faction, l’Etat mauritanien est un Etat maure, arabo-berbère qui exclut les africains. Donc, la Mauritanie est menacée, pour eux, par un péril noir, africain surtout ces derniers temps. Avant, c’état le péril de la communauté peulh qui a été quasi « génocidée » pendant les années d’épuration ethnique contre les noirs entre 1986 et 1992 et maintenant, c’est autour de la communauté des aradines qui est la communauté des esclaves et des anciens esclaves donc les esclaves des arabo-berbères qui sont, en majorité en Mauritanie, des esclaves qui ont développés ces derniers temps une lutte contre l’esclavage et les discriminations raciales dans le cadre d’un grand mouvement de droit civiques que je dirige qui est aussi un mouvement d’idées et une organisation des droits de l’homme. En Mauritanie, il y a deux législations qui cohabitent : la loi traditionnelle qui est la loi traditionnelle qui est considérée comme la principale source de loi et qui est considérée comme la seule interprétation valable et officielle de la charia islamique et qui, pour nous, est une loi qui n’a rien à voir avec l’islam. Ce sont des codes négriers, des codes d’esclave qui sont appliqués encore à 20% de la population mauritanienne. Donc, 20% de noirs qui sont considérés comme des esclaves qui n’ont pas le droit à l’éducation, aux pièces d’état civil, à qui on impose des travaux forcés sans repos, sans salaire, sans soins. Ils sont aussi susceptibles d’être vendus, d’être gagés, d’être loués, d’être cédés par leurs suzerains et leurs propriétaires arabo-berbères. Cette loi cohabite avec beaucoup de lois modernes et de conventions qui sont ratifiées par la Mauritanie mais qui ne sont jamais appliquées. Leur ratification est faite pour être conforme théoriquement au droit international, pour plaire à la communauté internationale.
Face à cette situation que vous qualifiez d’apartheid, quelle est la réaction des Etats africains réunis au sein de l’Union Afrique (UA) ?
La réaction des Etats africains est inexistante. Il existe des réactions des pays des Nations Unies, de l’Union Européenne, des Etats-Unis, des pays comme le Canada qui soutiennent les nombreux prisonniers d’opinion noirs, des militants, des détenus qui luttent pour leurs droits, contre l’esclavage, contre le racisme qui sont sujets à la torture systématique, aux emprisonnements arbitraires, aux peines lourdes, à l’interdiction de manifester, à l’interdiction de se réunir, de s’organiser. Malgré toutes ces violations, seuls les Etats occidentaux lèvent le petit doigt mais jamais les Etats africains n’ont réagi contre le régime d’apartheid en Mauritanie. Nous ressentons une indignation sélective de la part des africains contrairement aux différents apartheids, aux différentes oppressions que subit l’homme noir en en Afrique. On pense que les mêmes procédés qui ont été utilisés pour lutter contre l’apartheid en Afrique du Sud devaient être les mêmes procédés à utiliser contre l’apartheid arabo-berbère en Afrique de l’ouest en Mauritanie.
Au regard de la situation actuelle, quelles sont les perspectives du combat que vus menez ?
Notre combat est en essor malgré les difficultés, les emprisonnements, les interdictions. Je suis lauréat avec mon organisation du Prix des Nations Unies pour les Droits de l’homme en 2013 après des figures comme Martin Luther King, Nelson Mandela, à des organisations comme Amnesty International et la Croix Rouge. Nous avons été aussi distingués par le Département d’Etat des Etats unis par le Prix de Héros de la lutte contre l’esclavage en octobre 2016 à notre sortie de prison. Plusieurs gouvernements dont celui des ¨Pays-Bas, l’organisation contre la non violence aux Etats-Unis qui est dirigée par les héritiers de Martin Luther King, nous ont primé. Nous sommes largement soutenus par des organisations non gouvernementales internationales. Nous sommes sujets dans les pourparlers entre le gouvernement mauritanien et des pays comme les Etats-Unis et des organisations comme l’Union Européenne, quand nous étions en prison puisque nous sommes régulièrement emprisonnés à cause de nos activités. Mais, il n’y a pas encore une véritable action contre la Mauritanie gouvernementale ou non gouvernementale à cause du soutien diplomatique dont la Mauritanie bénéficie dans l’Union Africaine.
A ce stade de votre engagement pour la cause des noirs en Mauritanie, quelles sont vos attentes ?
D’abord, nous avons développé un mouvement de droits civiques qui est intrépide chez nous, très large et massif dont les membres sont prêts et enthousiastes à payer le prix de l’engagement dans les prisons de l’Etat raciste mauritanien. Mais, nous attendons aussi que l’Union Africaine, les africains, la Société civile africaine qui s’associe que ce soit les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et la Société politique aussi donc les gouvernements, nous attendons d’eux qu’ils fassent leur devoir vis-à-vis de leurs frères africains opprimés en Mauritanie, par le racisme, l’esclavage et l’apartheid au même titre que l’action menée en faveur de leurs frères en Afrique du sud du temps de l’apartheid.
Entretien réalisé à Bonn (Allemagne) par Jean-Claude DOSSA