Il y a 29 ans, le racisme tuait en Mauritanie. Une terreur destructrice à tendance génocidaire ciblait les populations negro-africaines livrées à des pogroms, des meurtres de masse. Une vague de répression aveugle sans précédent s'abattit sur elles. Le Colonel Moawiyya Ould Taya est le sinistre chef d'orchestre de cette tragédie macabre. Lui et ses acolytes dont certains sont aujourd’hui, encore sont au pouvoir et aux postes de commandement de l’armée mauritanienne n'ont jamais été inquiétés.
A l’occasion du 29ème anniversaire de ces massacres génocidaires commis par le régime raciste mauritanien, flam-mauritanie.org publie ce témoignage que vient de lui accorder Cheikh Fall, un témoin clé de cette folie humaine. Ancien sous-officier de l’armée mauritanienne, Cheikh était en poste au camp de la mort de Jreida où des centaines de soldats, sous-officiers et officiers noirs mauritaniens furent massacrés.
Première partie :
Flam-mauritanie.org : Nos lecteurs mauritaniens vous connaissent. Je vous demanderais donc d’aider les non Mauritaniens à faire votre connaissance. Commençons par votre parcours professionnel.
Cheikh FALL : J’ai eu un parcours militaire. J’ai rejoint l’armée mauritanienne le 15 avril 1976 comme engagé volontaire. En 1977, j’ai intégré la première promotion de l’Ecole Militaire Interarmes d’Atar (EMIA) située dans la ville d’Atar. J’en suis sorti, après neuf mois de formation, avec le grade de sergent. J’ai ensuite été affecté à la 2ème région militaire durant ce qu’on a appelé la «guerre du Sahara». Nous sommes en 1975.
En raison d’une blessure, j’ai été affecté à l’Etat-major de l’armée nationale à Nouakchott, la capitale du pays où je suis resté en poste de 1978 à 1980.
J’ai ensuite entamé, à partir d’octobre 1984, une formation de moniteur de sports d’une durée de six mois à l’Ecole Militaire Interarmes des Sports de Fontainebleau. A mon retour au pays, j’ai été affecté à l’EMIA comme moniteur de sport pour entraîner les recrues. On est en 1985. Deux ans après, j’ai été affecté au Bureau des Sports de l’Etat-major national.
Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé à Jreïda?
J’ai été affecté à Jreïda en 1987. Le site militaire existait déjà. C’était au départ une caserne banale située à une quarantaine de km au nord-ouest de Nouakchott. C’est par la suite que les autorités ont décidé d’en faire un Centre National d’entraînement des unités commandos de l’armée. C’est alors que le Commandant du camp, le capitaine Mokhtar Ould Mohamed Mahmoud que je connaissais car il était issu comme moi de la 1ère promotion des officiers de l’EMIA a fait appel à mes compétences sportives pour assurer la formation physique des recrues et des soldats basés à Jreïda. Rien de spécial jusque-là. En 1989, les choses commencent à évoluer. Il y a eu ce qu’on a appelé « les événements » avec le Sénégal. Les tensions entre les deux pays, c’est du moins comme cela qu’on présentait les choses, ont entraîné la rupture des relations diplomatiques et des expulsions croisées des ressortissants de chacun des deux pays. On sait maintenant, mais je ne l’ai su qu’après, que les autorités mauritaniennes n’avaient pas expulsé que des Sénégalais mais également des citoyens mauritaniens appartenant exclusivement aux ethnies négro-africaines. Il y a donc eu, en plus des expulsions, des déportations de citoyens mauritaniens noirs : des civils mais aussi des policiers, des gardes se sont retrouvés au Sénégal sans papiers, sans rien du jour au lendemain.
Comment ces événements ont-ils vécus à Jreïda ?
Durant cette période, j’étais à Jreida. Les événements ont été vécus avec beaucoup de tension. On était persuadé que les deux pays en arriveraient à un conflit armé si bien que d’importants effectifs militaires ont été délocalisés vers la région de Sélibaby. Et moi avec. Sauf que personnellement, mes missions étaient administratives. J’étais au service du courrier où j’étais chargé de la réception et de l’expédition du courrier en provenance ou à destination de Nouakchott. Au bout de quelque temps, j’ai demandé à refaire une nouvelle formation de moniteur des sports du second degré qui me donnerait le titre de moniteur-chef. Ma demande a été acceptée. En attendant, je suivais des cours par correspondance tout en étant physiquement à Jreïda. Je me rendais régulièrement au 3ème bureau pour récupérer ou rendre mes exercices. Il ne se passait rien d’extraordinaire à Jreïda.
Ce qui se passait d’important m’avait échappé sur le moment. C’est avec le recul que j’y ai repensé. Bien avant l’arrivée des 1ers prisonniers, il y a eu des mutations visant exclusivement des personnels militaires négro-africains qui, bizarrement, étaient affectés dans le nord du pays à Zouérat, Akjoujt, Atar et même à Nouadhibou. Je n’ai pas été touché par ces mesures. Je suis donc resté dans la caserne à exercer les mêmes activités habituelles. Il m’est arrivé quelque chose de particulier ensuite mais ce n’est pas à Jreïda même.
De quoi s’agit-il ?
On était en septembre ou octobre 1990. Je m’apprêtais à sortir de la 6ème région militaire. J’étais en relation avec un officier que je connaissais qui m’a demandé ce que je faisais là, de quelle caserne et de quel chef je relevais. Je lui ai répondu que j’étais en poste à Jreïda sous le commandement du capitaine Mokhtar Ould Mohamed Mahmoud mais que je me rendais à l’Etat-major pour récupérer des documents. Il me demanda alors si mon chef était informé de mon absence. Je répondis oui. Quelques minutes plus tard, je l’entendis parler au téléphone. Puis il revint vers moi et me dit qu’il avait reçu l’ordre de me mettre aux arrêts de rigueur. Il m’expliqua qu’il avait été en contact avec le 2ème bureau chargé du renseignement. Je lui demandai alors s’il avait été en relation avec le capitaine Ely Fall au 2ème bureau. Il refusa de me répondre. C’est alors que je me suis retrouvé aux arrêts, enfermé dans une pièce. Je disposais juste d’un lit et d’un matelas. Un soldat était posté devant le local pour empêcher tout contact avec l’extérieur. Le soir, j’entendis le bruit d’une voiture. Un officier, Ely Ould Dah, vint me voir et se montra étonné de me trouver dans cette situation. Il me demanda ce qui s’était passé et ce qui m’avait conduit là.
Je lui expliquai que je m’étais rendu au service des comptes et salaires. Il me demanda de lui établir un compte rendu relatant les raisons de ma présence à cet endroit. Le lendemain, un ami nommé Sow Mohamedou me rendit visite. Après quoi, il est allé voir un officier. Quinze minutes plus tard, un officier vint me rencontrer en-tête à-tête. Il tenait à ce qu’il n’y ait aucun témoin. A la fin de notre entrevue, il me confia : j’ai eu beaucoup de mal à te faire libérer mais j’y suis arrivé finalement. Tu es libre. Seulement, tu ne dois en aucun cas raconter ce qui t’est arrivé à qui que ce soit, absolument personne. Pas même à ta propre mère. Il ne faut évidemment rien dire au capitaine Mokhtar non plus.
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