Jusque-là, la Conférence des Chefs d’Etat de l’Union africaine est restée de marbre face à la situation au Burundi dont la crise politique perdure depuis plus de 22 mois. Qui oserait jeter la première pierre au président burundais Pierre NKurunziza, si l’on sait que la quasi-totalité des Chefs d’Etat africains ont brisé le sceau de la limitation constitutionnelle des mandats dans leur propre pays alors que d’autres s’apprêtent à leur emboiter le pas.
Cette incurie des instances dirigeantes de l’Union Africaine a fini par jeter le dépit au sein de la communauté internationale, qui n’a réellement plus assez d’espoir pour démocratiser le continent. Face à la démission des grandes puissances et le recul du fameux droit à l’ingérence qui avait fleuri il y a quelques années, et qui constituait une véritable épée de Damoclès suspendue sur la tête des dictatures africaines, c’est le retour aux mandats à l’infini.
Alors que l’Amérique de Trump semble s’être engagé dans une longue hibernation, cultivant le repli sur soi, et que l’Europe se barricade face au terrorisme et à la vague d’immigrés clandestins, la bride est désormais lâchée aux dictateurs africains, dont l’ardeur pour les règnes interminables a été stoppée pendant quelques années par le rôle de gendarme de la démocratie que certaines puissances occidentales s’étaient arrogées.
C’est dans ce contexte que peut s’expliquer le revirement spectaculaire qui est en train de s’opérer en Mauritanie. Entre les déclarations intempestives de Mohamed Abdel Aziz il y a quelques mois, sur son engagement à respecter la Constitution et à quitter le pouvoir en 2019, et la campagne menée tambour battant ces jours-ci par ses lieutenants pour un 3ème mandat, quelque chose s’est passé.
Et ce quelque chose, c’est l’impunité dont jouissent les Chefs d’Etat africains qui ont décidé de s’incruster en faisant sauter les verrous limitatifs des mandats contenus dans la Constitution de leur pays. Cela a réussi à Deniss Sassou NGuessou du Congo Brazzaville, à Joseph Kabila du RD Congo, à Paul Kagamé du Rwanda, à Nkurunziza du Burundi, à Idriss Deby Itno du Tchad, à Paul Biya du Cameroun…Pourquoi pas Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie ?
Le Premier ministre l’a bien déclaré «ce pouvoir-là ne quittera pas en 2019 ». Le président du parti UPR Mohamed Ould Maham l’a explicité, en lançant une vaste campagne pour demander aux «Mauritaniens de ne pas lâcher Mohamed Abdel Aziz» et que ce dernier ne partira pas, concluant par ses propos «les urnes seuls trancheront». Plus récemment, le ministre porte-parole du gouvernement a enfoncé le clou en soutenant que le président Aziz n’a pas encore pris une décision définitive par rapport au 3ème mandat.
« Autant de signaux qui mettent en lumière le caractère pernicieux d’un tel pouvoir qui a habitué les Mauritaniens à l’irrespect des engagements, au mensonge, au dol, au revirement spectaculaire dans ses décisions et à la manip » s’est énervé un cadre de l’opposition radicale.
Partis pour faire campagne pour le référendum constitutionnel qui dans ses articles amendés n’a aucun rapport avec le mandat du président de la République, l’opinion publique se rend compte aujourd’hui que derrière ces bénignes réformes se cachent un dessein inavoué, celui de faire la promotion du 3ème mandat pour Aziz, ont soulevé plusieurs observateurs.
Nombreux sont ainsi les analystes politiques qui pensent qu’il « est encore temps pour l’opinion publique nationale et internationale, notamment la communauté internationale, de prendre les décisions qui s’imposent dès maintenant avant que la Mauritanie ne se transforme en un autre Burundi« .
Ils estiment que « toute instabilité politique en Mauritanie, de l’ampleur de ce qui se prépare, compromettrait dangereusement la stabilité déjà fragile dans la région du Sahel, aux prises avec les groupes terroristes et les trafiquants illicites en tout genre« .
Ils pensent qu’une « Mauritanie en tourmente permettrait aux groupes djihadistes déjà implantés aux confins de ses frontières, mais aussi à d’autres mouvements radicaux fortement implantés dans le pays, de s’engouffrer dans la brèche et entraîner le pays dans une spirale de violence sans fin« .
Il est utile de rappeler, soutiennent les observateurs, que « seule l’alternance pacifique au pouvoir par le jeu démocratique, le respect des dispositions de la Constitution et des institutions de la République, pourrait préserver la Mauritanie et lui garantir la stabilité, la paix et la concorde« .
Cheikh Aïdara
source aidara.mondoblog.org