La fermeture de l’école de Teichtayatt
Un crime contre l’humanité
L’année suivante l’école de Teichtayatt connaîtra un nouveau rebondissement, cette fois-ci beaucoup plus dramatique que le premier. Nos détracteurs décidèrent le plus simplement du monde la fermeture de notre école.
Une rumeur embarrassante
Dans les coulisses, au fond des creux des dunes de sables, une grave décision fut arrêtée: la fermeture pour l’éternité de l’école de Teichtayatt ! La rumeur ne cessait de circuler et de s’amplifier depuis la fin de l’année scolaire 1985-1986. Un signe avant- coureur ne trompait pas: le déménagement forcé de l’ensemble du campement Aznavir à Rkiz-ville. Laissant derrière eux leur cimetière séculaire. Les tombeaux de deux célèbres beautés légendaires, chantées à merveille par le poète Ould Dahi, les Mnatt Bah: Marième et Lehbousse, disparues bien après, sont à quelques trois mètres de ceux des disparus de notre famille. Des tractations, soutenues par de fortes pressions, finiront par forcer la main aux éléments Azvavir récalcitrants vis-à-vis d’un tel déménagement, le premier du genre depuis la Nekba des palestiniens en 1948 ou celui de Gaza en cours.
Chez nous, tous semblaient croire à la rumeur. La tristesse et l’inquiétude envahissaient les cœurs de nos parents au moment où la mauvaise rumeur était fêtée ailleurs. J’étais pratiquement le seul à ne pas la créditer. Je n’arrivais pas à digérer un agissement pareil. Je demandais à tous d’attendre l’ouverture scolaire prochaine. On agira seulement, après l’annonce du mouvement des enseignants. Si on ne mutera personne à l’école de Teichtayatt. D’ici là on ne pouvait pas se fier uniquement à une rumeur. J’ai donc opté pour un: « wait and see ! ».
Le silence complice des bons musulmans
Depuis le début de la crise de l’école, on n’a jamais enregistré le moindre soutien de sympathie de l’extérieur à notre collectivité. Il semble que notre punition collective, en pleine sécheresse faisait le consensus d’une certaine opinion. Et pourtant tous les « bons musulmans » du vaste Iguidi et tout autour continuent à afficher leur probité morale et spirituelle qui ne manquera pas, selon leur propre prophétie, de les conduire directement au paradis, sans bien sûr les gens de Teichtayatt.
L’école bannie du système d’enseignement
Comme d’habitude le mouvement des enseignants fut annoncé à une semaine de l’ouverture de l’année scolaire 1985-1986. L’école de Teichtayatt n’y figurait pas pour la première fois depuis sa création en 1968. Elle fut donc radiée du système d’enseignement en République Islamique de Mauritanie. Ahmedou Yahya et son neveu furent mutés à Rkiz-ville, accompagnant la communauté Aznavir. Un concours de circonstance facilitera la mesure de la fermeture de l’école de Teichtayatt: la présence du ministre de l’éducation à Rkiz- ville en mission administrative. A son tour il cédera à de fortes pressions, soutenues notamment par certains membres d’une famille spirituelle de grande influence et appartenant à sa grande collectivité tribale.
La réunion de crise
Une situation exceptionnellement difficile se présenta devant nous. De nouveau il fallait se creuser les méninges : trouver rapidement une solution simple à un problème aussi compliqué. C’est ce qu’on recommandait avant à nos militants dans notre maquis politique : un bon chef politique doit pouvoir trouver des solutions simples à des problèmes complexes. A Nouakchott, on convoqua une réunion de crise devant la boutique de feu Ahmed Ould Maalloum dit Amène (ou Amen, le mot de bénédiction chez toutes les religions monothéistes).
Avant d’aborder le fond du sujet, j’avais demandé à l’assistance de désigner deux volontaires qui iront le lendemain pour procéder à l’ouverture de notre école. Deux bacheliers admis la même année se portèrent volontaires. Il s’agissait de Elkhamess Ould Venn et Mohamed Elmoctar Ould Nnah alias Diouf. Leurs frais de déplacement furent réunis sur le champ. « Notre école », je disais, « on doit l’ouvrir à notre façon et la fermer éventuellement à notre façon également ». Par-là, j’envisageais, en cas d’entêtement des autorités une solution extrême: déménager notre communauté à Katmandou, Tel-Aviv, le Vatican ou tout autre lieu extérieur, loin de cette curieuse « République Islamique » qui nous refusait l’enseignement de nos enfants.
La réouverture forcée et illégale de l’école
Les deux jeunes bacheliers débarquèrent le lendemain à Teichtayatt. Ils se mirent aussitôt à la tâche. De nombreux volontaires, surtout des femmes, procédèrent à l’ouverture des salles de classes et à leur nettoyage. Les deux enseignants de bonne volonté débutèrent leurs cours. Auparavant ils avaient enregistré une nouvelle classe.
En ce moment, on pouvait considérer l’école de Teichtayatt comme la première école privée moderne de notre pays.
L’ancienne rumeur à propos de la fermeture de l’école fut vite oubliée. Elle fut masquée par une persistante nouvelle : « Les gens de Teichtayatt ont réouvert leur école ! ». C’était plus qu’une rumeur : c’était une réalité palpable. La piste Rosso-Rkiz passait à quelques mètres du lieu de l’école de Teichtayatt. De nombreux voyageurs qui empruntaient cette voie ne cessaient de propager la nouvelle. Ce qui ne manquerait pas d’inquiéter l’administration.
Hommage au feu le colonel Mohamed Mahmoud Ould Deh
Parallèlement à cette mesure, nous avions écrit une lettre de protestation particulièrement véhémente à la direction du Comité militaire (CMSN) avec ampliation pour l’ensemble des autorités concernées. Une délégation de vieux fut chargée de déposer la lettre adressée au CMSN et à son permanent feu Mohamed Mahmoud Ould Deh en ce moment. A mon niveau, je me suis dirigé vers Rkiz et Rosso pour voir le problème avec les autorités locales et régionales.
De toutes les autorités contactées, seule la réaction de Ould Deh du CMSN ne se fit pas attendre. Dès qu’il lut notre lettre, il donna l’ordre d’ouvrir immédiatement l’école de Teichtayatt. En même temps, il menaça « les responsables administratifs qui se permettent de fermer une institution publique », « une mesure », rappelle-il, « qui relève uniquement de la compétence du conseil des ministres ». Rappelons que le wali Elhadrami Ould Momme fut muté ailleurs la même année.
La célébration de la réouverture
Après moult tractations, l’événement attendu arriva: l’école de Teichtayatt fut réouverte de nouveau. Isselmou Ould Ehmeymed et Mohemd Elmami étaient les deux nouveaux enseignants affectés d’urgence à l’école de Teichtayatt. Ils étaient les deux enseignants les plus heureux du monde. Leur arrivée fut fêtée comme un événement exceptionnel. Ses échos et sa chaleur dépassaient de loin ceux des accueils des délégations officielles ou ceux des visites des grands Cheikhs spirituels.
Quatre décennies après, aucune voix responsable ne s’excuse d’un tel agissement!
(À suivre)
lecalame