Le Calame : Comme de nombreux mauritaniens, vous avez certainement suivi la prestation télévisée du président de la République, d’il y a quelques jours. Quelles furent vos impressions?
Elhassen Ould Mohamed : De mon point de vue, la conférence de presse n’a rien ajouté. Elle fut, pour Ould Abdel Aziz, l’occasion de bafouer la Constitution, humilier l’armée, la presse et les poètes. Il a également fermé les yeux, au cours de cette conférence de presse, sur la crise, dure, que subit le pays, à commencer par les très difficiles conditions de vie des citoyens.
- Le Président était très attendu sur les amendements constitutionnels et leur rejet par le Sénat. Il a, finalement, opté pour le referendum populaire. L’argumentaire juridique évoqué pour justifier sa décision vous a-t-il convaincu ?
- Ce référendum est rejeté, tant dans le fond que dans la forme. Dans la forme, parce qu’il était le fruit d’une démarche unilatérale, et dans le fond, parce qu’il ne porte pas sur des réformes prioritaires et constitue, de surcroît, un recul sur la voie de la démocratie.
Le pays vit une crise multidimensionnelle, depuis le coup d’Etat mené par Ould Abdel Aziz ; et cette crise ne cesse de s’approfondir, avec les démarches unilatérales orchestrées par le Président, comme le tripatouillage de la Constitution.
- Ne craignez-vous pas que cette décision ne vienne crisper davantage les relations, déjà tendues, entre le pouvoir et son opposition dite « radicale » (FNDU, RFD, UNAD) ?
- Je n’accepte pas l’étiquette d’opposition « radicale ». Je pense, au contraire, que notre opposition est une opposition équilibrée, sérieuse et engagée. Une opposition qui rejette, en bloc, les politiques improvisées d’Ould Abdel Aziz et nous avons vu, aujourd’hui, que l’opposition n’est pas seule en ce sens : il y a un mouvement de refus qui commence à se dessiner, au sein même de la majorité, avec les sénateurs frondeurs, qui ont voté non au projet de modification de la Constitution ; ce faisant, ils ont donné un carton rouge à Ould Abdel Aziz. Je tiens à préciser que cet acte honnête signifie que ces élus du peuple ont préféré s’aligner derrière l’intérêt général.
- L’opposition a salué le geste des sénateurs qui ont rejeté la modification de la Constitution et appelé à un nouveau dialogue pour sortir de l’« impasse ». Mais le président a rejeté cet appel, lors de sa prestation. Qu’en pensez-vous ?
C’est la logique d’Ould Abdel Aziz qui n’accorde aucune importance, ni à l’avis de son peuple, ni au respect de la Constitution, et ni aux valeurs de la diplomatie, surtout avec les pays voisins. Le problème d’Ould Abdel Aziz est qu’il se pense seul commandant de bord et se comporte, en conséquence, comme il veut. A mon avis, cela ne reflète pas la sagesse. Les Etats ne peuvent pas être gérés de cette manière improvisée et chaotique.
La propagande d’Ould Abdel Aziz se dévoile, de temps en temps, et les Mauritaniens commencent à comprendre que le recours à celle-ci ne vise qu’à dissimuler la politique d’échec menée par le chef de l’Etat.
- En cas d’élections municipales et législatives anticipées, préconisées par le dernier dialogue, pensez-vous que l’opposition doive y prendre part, même sans compromis avec le pouvoir ?
- Le combat de l’opposition est de susciter les conditions favorables à l’ancrage de la démocratie, à la garantie et au respect des droits de l’homme. Notre lutte actuelle pour faire avorter les tentatives de tripatouillage de la Constitution en fait partie. Mais l’opposition a d’autres priorités, préoccupée et soucieuse qu’elle est des déplorables conditions de vie des citoyens.
En ce qui concerne les prochaines échéances électorales, je pense qu’il est un peu prématuré d’en évoquer le sujet, même si le principe, en politique, c’est la participation, dès que les conditions de transparence et de neutralité sont réunies. Malheureusement, le climat politique entretenu par le pouvoir peut pousser chaque parti à faire sa propre lecture des avantages et des inconvénients de la participation. Mais j’insiste à dire que ce sujet n’est pas à l’ordre du jour de l’opposition.
- Nombre d’observateurs suspectent que votre parti, Tawassoul, envisage d'y participer à nouveau, même en cas de boycott du FNDU. Qu’en dites-vous ?
- Tawassoul est un parti convaincu de l’action politique cumulative et du changement par la présence dans les institutions (Parlement, communes). Mais cela ne veut dire pas qu’il ait tranché sa position sur la participation : nous avons, au sein de Tawassoul, comme à l’opposition, d’une manière générale, des priorités, d’autres urgences qui priment sur les élections.
- L’institution de l’opposition démocratique n’a pas été invitée au dernier dialogue. Savez-vous pourquoi ?
- Il est vrai que le décret régissant l’institution stipule que le Président et son Premier ministre doivent se concerter, tous les trois mois, avec le chef de file de l’opposition, sur les grandes questions. Le même décret exige, également, le dialogue avec l’Institution. Toutes ces obligations n’étaient pas remplies, par le Président qui refuse, même, d’accorder audience au chef de file de l’opposition et au conseil de supervision de l’Institution. Celle-ci n’a pas été invitée au dialogue et c’est une nouvelle illustration du mépris du Président envers les lois. L’épisode n’est d’ailleurs pas étrange dans le comportement d’une personne qui vante sa capacité à mener des coups d’Etat et à bafouer la Constitution. Nous avons, à maintes reprises, exprimé notre indignation contre ces pratiques et nous continuons à le faire. Parce que nous pensons que l’Institution de l’opposition est très importante et nécessaire, pour la construction d’une démocratie naissante comme la nôtre. On est face à un pouvoir qui œuvre avec tous ses moyens pour asphyxier le fonctionnement de l’Institution.
Nous sommes convaincus, à l’Institution, que le dialogue est la seule sortie possible de la crise politique actuelle. Aussi a-t-on a appelé, plusieurs fois, à un dialogue sérieux et je saisis l’occasion pour renouveler, publiquement, mon appel à un dialogue inclusif et calme, pour sortir le pays de son impasse politique. Ce dialogue doit mettre fin au règne de l’individu, au profit de celui des institutions, à travers l’ancrage d’un Etat de droit, basé sur le partage équitable de la richesse, entre les différentes communautés de ce pays et le respect des valeurs républicaines. Cela ne peut se faire sans que le pouvoir fasse des concessions et donne des garanties rassurantes.
- Après le refus du Président de répondre à la main tendue de l’opposition – une perte de temps, selon lui – comment entrevoyez-vous les prochaines échéances électorales ?
- Il est très précoce de parler de nouvelles échéances électorales, en l’absence de processus consensuel pour sortir de la crise politique. Les échéances à l’ordre du jour sont celles du referendum que le pouvoir veut imposer, malgré le refus populaire. Ce referendum, s’il était présenté par la voie légale, à travers les dispositions de l’article 99 de la Constitution, l’opposition pourrait y participer, pour mobiliser le peuple à voter non, mais, avec l’insistance du pouvoir au recours à la voie illégale via l’activation de l’article 38, l’opposition va jouer toutes les voies légales, pour barrer la route à ces amendements nuls et non avenus.
Cela dit, nous approchons de 2019. Permettez-moi donc de saisir l’occasion de votre tribune pour lancer un appel à toute l’opposition, dans toute sa riche diversité, afin de s’accorder sur une action politique unifiée, seule capable d’imposer le changement et de garantir l’alternance pacifique.
- Que vous inspire le niveau des débats et les propos développés, par les députés du pouvoir et de l’opposition, lors de la plénière du 6 Mars à l’Assemblée nationale ?
- Les élus de l’opposition ont fait un bon travail dans les deux chambres, en éclairant l’opinion publique sur les dérives constitutionnelles et en essayant de bloquer le passage des amendements constitutionnels par la voie parlementaire. Mais il faut, aussi, comptabiliser les efforts, inestimables, fournis par les sénateurs frondeurs qui ont freiné le processus de ces amendements qui divisent le peuple mauritanien. Quant aux élus de la majorité, à l’Assemblée nationale, ils ont, pour la plupart, incarné l’image négative du parlementaire lèche-bottes du pouvoir exécutif.
Propos recueillis par DL
source lecalame.info