Prière d’attacher votre ceinture et de retenir votre souffle. Nous allons pénétrer l’une des zones de turbulences les plus singulières et les plus pénibles de notre territoire.
Le pilote et l’équipage sont des enfants entre dix et seize ans.
Nous sommes en 2018, en Mauritanie, dans la zone de la Chamama.
Bezoul 1 cinq heures du matin. De petites silhouettes sortent des habitats précaires des paysans. Sous le bras ils portent des semblants de cahiers avachis et ratatinés par un environnement, qui ne se prête pas aux scolarités.
Sous le froid glacial, ou la canicule brûlante, dans une zone où les températures atteignent les cinquante degrés, ces enfants, vont, en hiver, comme en été, a huit kilomètres, a Maugham Ibrahim, pour rejoindre l’école.
Parfois, si la direction exige leur présence dans l’après-midi, ils doivent faire le trajet deux fois.
Ce matin, d’août, j’ai essayé par un vent frais de parcourir le même chemin.
Le gros de la convergence commence au niveau du panneau indiquant le cimetière. C’était comme si les morts s’apprêtaient, dans un effort « surhumain », à essayer de rejoindre les vivants. Ici commence la frontière de l’enseignement interdit.
Au début de mon chemin, j’ai souri, malgré moi, en pensant à l’Unicef, et à toutes ces organisations qui tympanisent l’humanité. L’Unicef, partout où il n’est pas besoin qu’elle soit.
Je n’ai pu m’empêcher d’exprimer une grimace de dégout, pensant aux mangeurs du ministère de l’éducation nationale. Comment doivent s’essorer de gêne les consciences de ces responsables, qui savent et font semblant de ne pas savoir ?
Ces petits bouts d’hommes et ces petites portions de femmes ne demandent pourtant que joindre le cortège de l’humanité.
Je suis passé par devant l’une des cinq mosquées des village. Ce ne sont pas les mosquées qui manquent (mashallah), elles jalonnent la route Rosso-Boghé et se dressent ostensiblement sur les bord du goudron pour afficher une piété, qui sent le doute et l’ostentation. Elles sont don du Qatar, don des enfants de telle dame au Koweït don des anges don du ciel et de la terre. Des millions d’investissements qui pouvaient pour la décence ou la crédibilité, se passer d’une petite somme pour la construction de quelques classes ou d’une chambre pour permettre aux femmes de ne pas accoucher à même le sol à l’abris d’une tente usée et criblée de trous, par les morsures du jour et de la nuit.
Un kilomètre plus tard, j’étais au niveau de l’agglomération de « Choura », symbole de la division tranchante de Bezoul 1. Je ne pus m’empêcher de penser aux petits, qui à ce niveau du long itinéraire, doivent regarder à gauche, pour voir leur anciens camarades de jeu, devenu enfants d’un autre village…ennemi. Une autre victime du crime de « diviser pour régner ». une autre longue, très longue histoire.
Arrivé au niveau du village de Nessim, seulement un kilomètre et demi de route, j’étais déjà essoufflé. A ce point l’enfant devait sentir la gorge sèche et le souffle coupé. Il doit être à Maqâm Ibrahim, qui est encore à six kilomètres, à huit heures.
Des paysans m’apprirent que deux villages sur le chemin placent des bidons d’eau enveloppés de sacs humidifiés, pour que les petits voyageurs vers le savoir interdit, puissent se désaltérer.
J’ai remonté les « kmames » de mon boubou sur les épaules, bien décidé à ne pas échouer là où ces petits bouts d’hommes vainquent chaque matin cette route qui serpente vers l’infini de l’espoir et de l’impossible, érigé en équation nationale immuable.
Le retour doit appartenir au cauchemar, surtout quand on sait que ces petits soldats du savoir ne sont même pas sûrs d’avoir quoi se mettre sous la dent de retour au logis qui frissonne de misère.
Le village peuhl de Diam Welli surgit des arbres, encore ensommeillé. L’odeur de bouses de vaches et le braiement des ânes rebelles à l’attelage matinal, me firent oublier un instant que je faisais le parcourt marathonien de petits enfants, qui au 21ème siècle courent derrière le train de l’humanité, sans espoir de l’atteindre.
Je pressais le pas. Je devais être à Maqâm à huit heures. Mission presque impossible.
Je passais aux côtés du village de Dar-El-Kheir. Ma voiture me suivait à distance. Appui dont les petits ne pouvaient rêver.
Enfin, après cinq kilomètres de marche continue, j’étais au village des Oulad Imigen, perché sur une élévation du terrain.
Au loin je pouvais voir le village de l’Imbeydi’, balayé par les premiers rayons dorés du soleil. Et au « très loin », se découpait sur l’horizon, comme un mirage fuyant, le minaret de la mosquée de Maqâm Ibrahim.
Il fallait encore trois kilomètres pour atteindre le village des Oulad Enahwi, où se trouve l’école et l’unique dispensaire.
Une prière, silencieuse, pour les cas d’urgence, qui devraient faire ce trajet sur une charrette, ou à pieds.
Pas de pitié pour les enfants de ceux qui sont condamnés à s’user pour que le reste prospère.
Pas de pitié, ou plutôt si : Un vieux chauffeur, Saiid, un ancien de l’ancienne école, prenait à l’occasion de son passage dans la région, tous les enfants qu’il pouvait entasser dans sa vieille Renault 21 crachotante. Il les montait sur le dos de la carcasse, les place dans la malle arrière, laissée ouverte pour la circonstance, m’a-t-on dit. Pourvu que les pionniers de l’impossible gagnent un bout de chemin.
Un autre transporteur : « Mohameden », fait parfois, mais rarement, le même effort et ainsi coule le temps.
Il suffit pour mieux comprendre le calvaire, d’imaginer votre fils ou votre fille, condamné à se former sur cette piste de l’usure, qui n’a jamais donné aucun résultat.
Traverser six villages, pour arriver. Epuisé et dormir au fond d’une classe, face à un enseignant, occupé à raccommoder ses fins de mois.
Jamais « Bezoulois », n’a été quelque chose ou quelqu’un dans les rouage de ce vaste pays.
Pendant la dernière campagne électorale, les honorables élus de la région apportèrent un vieux minibus, qui soulagea un moment les petits marcheurs à la volonté inébranlable. Mais aussitôt l’élection achevée, le véhicule s’évapora en même temps que les voix puissantes des haut-parleurs.
Certain affirment qu’il a été vendu à Rosso. Et la longue marche a continué.
Un vieillard me raconte : Nous avons lutté pour Mohamed Ould Abd aziz, car c’est un homme de fermeté et de bien. Il a promis que les ressources du pays reviendront aux citoyens. J’ai entendu même que les trésor du pays dépassent de beaucoup la capacité de ses coffres et j’ai confiance…notre tour viendra.
L’oreille du vieillard avait entendu beaucoup de promesses, son cœur bat pour un espoir flou et incertain, mais son œil n’avait jamais rien vu.
Ses enfants vieilliront à leur tour.
Ils continueront à avoir des enfants, qui peupleront la longue route qui commence du cimetière de Bezoul1 vers la lointaine école de Maqâm Ibrahim, chez les Oulad enahwi.
Ils marcheront vers l’émancipation impossible, avant de revenir vers le cimetière.
Un monde de braves citoyens de ce pays, immolé sur l’autel de la négligence, de l’égoïsme et de l’ignorance.
Déjà la nouvelle route Rosso-Boghé se craquelle en milliards de morceaux, comme si l’œil de Dieu, qui ne dort pas, lance un avertissement sévère, à ceux qui passent pour tout prendre et ne s’arrêtent jamais pour constater les dégâts de leur culture.
La Chamama dévoilera un jour aux auditoires du monde, le crime impardonnable d’un pays, qui a laissé à la marge de ses pages, les franges les plus intègres et les plus courageuses de ses citoyens…pour manger un méchoui, posséder une femme ou habiter une villa…Et le luxe de ce monde n’excèdera pas le poids d’un moucheron.
L’histoire retiendra. Elle a la mémoire tenace.
Mohamed Hanefi. Maqâm Ibrahim.
Le pilote et l’équipage sont des enfants entre dix et seize ans.
Nous sommes en 2018, en Mauritanie, dans la zone de la Chamama.
Bezoul 1 cinq heures du matin. De petites silhouettes sortent des habitats précaires des paysans. Sous le bras ils portent des semblants de cahiers avachis et ratatinés par un environnement, qui ne se prête pas aux scolarités.
Sous le froid glacial, ou la canicule brûlante, dans une zone où les températures atteignent les cinquante degrés, ces enfants, vont, en hiver, comme en été, a huit kilomètres, a Maugham Ibrahim, pour rejoindre l’école.
Parfois, si la direction exige leur présence dans l’après-midi, ils doivent faire le trajet deux fois.
Ce matin, d’août, j’ai essayé par un vent frais de parcourir le même chemin.
Le gros de la convergence commence au niveau du panneau indiquant le cimetière. C’était comme si les morts s’apprêtaient, dans un effort « surhumain », à essayer de rejoindre les vivants. Ici commence la frontière de l’enseignement interdit.
Au début de mon chemin, j’ai souri, malgré moi, en pensant à l’Unicef, et à toutes ces organisations qui tympanisent l’humanité. L’Unicef, partout où il n’est pas besoin qu’elle soit.
Je n’ai pu m’empêcher d’exprimer une grimace de dégout, pensant aux mangeurs du ministère de l’éducation nationale. Comment doivent s’essorer de gêne les consciences de ces responsables, qui savent et font semblant de ne pas savoir ?
Ces petits bouts d’hommes et ces petites portions de femmes ne demandent pourtant que joindre le cortège de l’humanité.
Je suis passé par devant l’une des cinq mosquées des village. Ce ne sont pas les mosquées qui manquent (mashallah), elles jalonnent la route Rosso-Boghé et se dressent ostensiblement sur les bord du goudron pour afficher une piété, qui sent le doute et l’ostentation. Elles sont don du Qatar, don des enfants de telle dame au Koweït don des anges don du ciel et de la terre. Des millions d’investissements qui pouvaient pour la décence ou la crédibilité, se passer d’une petite somme pour la construction de quelques classes ou d’une chambre pour permettre aux femmes de ne pas accoucher à même le sol à l’abris d’une tente usée et criblée de trous, par les morsures du jour et de la nuit.
Un kilomètre plus tard, j’étais au niveau de l’agglomération de « Choura », symbole de la division tranchante de Bezoul 1. Je ne pus m’empêcher de penser aux petits, qui à ce niveau du long itinéraire, doivent regarder à gauche, pour voir leur anciens camarades de jeu, devenu enfants d’un autre village…ennemi. Une autre victime du crime de « diviser pour régner ». une autre longue, très longue histoire.
Arrivé au niveau du village de Nessim, seulement un kilomètre et demi de route, j’étais déjà essoufflé. A ce point l’enfant devait sentir la gorge sèche et le souffle coupé. Il doit être à Maqâm Ibrahim, qui est encore à six kilomètres, à huit heures.
Des paysans m’apprirent que deux villages sur le chemin placent des bidons d’eau enveloppés de sacs humidifiés, pour que les petits voyageurs vers le savoir interdit, puissent se désaltérer.
J’ai remonté les « kmames » de mon boubou sur les épaules, bien décidé à ne pas échouer là où ces petits bouts d’hommes vainquent chaque matin cette route qui serpente vers l’infini de l’espoir et de l’impossible, érigé en équation nationale immuable.
Le retour doit appartenir au cauchemar, surtout quand on sait que ces petits soldats du savoir ne sont même pas sûrs d’avoir quoi se mettre sous la dent de retour au logis qui frissonne de misère.
Le village peuhl de Diam Welli surgit des arbres, encore ensommeillé. L’odeur de bouses de vaches et le braiement des ânes rebelles à l’attelage matinal, me firent oublier un instant que je faisais le parcourt marathonien de petits enfants, qui au 21ème siècle courent derrière le train de l’humanité, sans espoir de l’atteindre.
Je pressais le pas. Je devais être à Maqâm à huit heures. Mission presque impossible.
Je passais aux côtés du village de Dar-El-Kheir. Ma voiture me suivait à distance. Appui dont les petits ne pouvaient rêver.
Enfin, après cinq kilomètres de marche continue, j’étais au village des Oulad Imigen, perché sur une élévation du terrain.
Au loin je pouvais voir le village de l’Imbeydi’, balayé par les premiers rayons dorés du soleil. Et au « très loin », se découpait sur l’horizon, comme un mirage fuyant, le minaret de la mosquée de Maqâm Ibrahim.
Il fallait encore trois kilomètres pour atteindre le village des Oulad Enahwi, où se trouve l’école et l’unique dispensaire.
Une prière, silencieuse, pour les cas d’urgence, qui devraient faire ce trajet sur une charrette, ou à pieds.
Pas de pitié pour les enfants de ceux qui sont condamnés à s’user pour que le reste prospère.
Pas de pitié, ou plutôt si : Un vieux chauffeur, Saiid, un ancien de l’ancienne école, prenait à l’occasion de son passage dans la région, tous les enfants qu’il pouvait entasser dans sa vieille Renault 21 crachotante. Il les montait sur le dos de la carcasse, les place dans la malle arrière, laissée ouverte pour la circonstance, m’a-t-on dit. Pourvu que les pionniers de l’impossible gagnent un bout de chemin.
Un autre transporteur : « Mohameden », fait parfois, mais rarement, le même effort et ainsi coule le temps.
Il suffit pour mieux comprendre le calvaire, d’imaginer votre fils ou votre fille, condamné à se former sur cette piste de l’usure, qui n’a jamais donné aucun résultat.
Traverser six villages, pour arriver. Epuisé et dormir au fond d’une classe, face à un enseignant, occupé à raccommoder ses fins de mois.
Jamais « Bezoulois », n’a été quelque chose ou quelqu’un dans les rouage de ce vaste pays.
Pendant la dernière campagne électorale, les honorables élus de la région apportèrent un vieux minibus, qui soulagea un moment les petits marcheurs à la volonté inébranlable. Mais aussitôt l’élection achevée, le véhicule s’évapora en même temps que les voix puissantes des haut-parleurs.
Certain affirment qu’il a été vendu à Rosso. Et la longue marche a continué.
Un vieillard me raconte : Nous avons lutté pour Mohamed Ould Abd aziz, car c’est un homme de fermeté et de bien. Il a promis que les ressources du pays reviendront aux citoyens. J’ai entendu même que les trésor du pays dépassent de beaucoup la capacité de ses coffres et j’ai confiance…notre tour viendra.
L’oreille du vieillard avait entendu beaucoup de promesses, son cœur bat pour un espoir flou et incertain, mais son œil n’avait jamais rien vu.
Ses enfants vieilliront à leur tour.
Ils continueront à avoir des enfants, qui peupleront la longue route qui commence du cimetière de Bezoul1 vers la lointaine école de Maqâm Ibrahim, chez les Oulad enahwi.
Ils marcheront vers l’émancipation impossible, avant de revenir vers le cimetière.
Un monde de braves citoyens de ce pays, immolé sur l’autel de la négligence, de l’égoïsme et de l’ignorance.
Déjà la nouvelle route Rosso-Boghé se craquelle en milliards de morceaux, comme si l’œil de Dieu, qui ne dort pas, lance un avertissement sévère, à ceux qui passent pour tout prendre et ne s’arrêtent jamais pour constater les dégâts de leur culture.
La Chamama dévoilera un jour aux auditoires du monde, le crime impardonnable d’un pays, qui a laissé à la marge de ses pages, les franges les plus intègres et les plus courageuses de ses citoyens…pour manger un méchoui, posséder une femme ou habiter une villa…Et le luxe de ce monde n’excèdera pas le poids d’un moucheron.
L’histoire retiendra. Elle a la mémoire tenace.
Mohamed Hanefi. Maqâm Ibrahim.