L’ancien chef de l’Etat et président du CMJD a été emporté par une crise cardiaque, vendredi dernier, au Tiris Zemmour. Des milliers de mauritaniens ont accueilli sa dépouille et prié sur elle, tard dans la nuit, à la mosquée Ibn Abass, en présence du président de la République dont Ely refusait de prononcer le nom, préférant le traiter de « rebelle ». Après avoir dépêché un avion militaire pour ramener la dépouille de son cousin, Ould Abdel Aziz a décrété un deuil de trois jours, à sa mémoire. Témoignage d’un attachement à l’homme, à un militaire qui gravit tous les échelons, excepté celui de général, peut-être pour ne pas porter davantage ombrage à de futurs étoilés.
L’avis est quasiment unanime : la Mauritanie vient de perdre un de ses plus grands fils. Ely ould Mohamed Vall fut un grand homme d’Etat, charismatique, imposant et, surtout, grand ouvert par une culture hors normes. « Notre pays perd un homme public, calme et digne ; un homme qui exerça le pouvoir avec responsabilité et humilité ; un homme toujours soucieux de mieux connaitre ses compatriotes, leurs préoccupations au quotidien, les défis qui les interpellent, leurs structures sociales, dans toute leur diversité et détails, leur passé, leur devenir, leur place actuelle dans l’espace arabe et africain où ils se meuvent », écrit un avocat de la place.
Son magistère, de 2005 à 2007, a révélé, aux Mauritaniens et au Monde, l’autre facette de l’homme qui dirigea, plus de vingt ans, la Sûreté nationale. Si ses détracteurs lui reprochent un enrichissement « abusif », pendant cette période, et d’avoir laissé ce corps plonger dans la corruption et les trafics de toutes sortes, son nom n’a jamais été cité dans le dossier du passif humanitaire, la torture ou l’embastillement d’opposants. Quoiqu’il en soit, il reste certain qu’Ely joua, durant la Transition de 2005/2007, pleinement son rôle. Un rôle que les autres membres du CMJD avaient voulu, semble-t-il, lui confier, après avoir orchestré le coup de force contre Ould Taya. En renversant celui-ci, Ould Abdel Aziz et ses amis n’avaient, de fait, aucune expérience, aucune capacité à diriger le pays, et, surtout, à faire face à la levée de boucliers de la Communauté internationale. Ils ont alors fait appel à Ely. D’aucuns ont avancé que les putschistes se rendirent chez lui, le 5 Août 2005, en le priant de se mettre en tenue et de prendre la tête du coup de force. Ely a donc servi d’« amortisseur du choc » et de « caution », rendant « acceptable et digeste » le coup d’Etat contre leur mentor qu’ils avaient tous servi loyalement, jusque-là.
Un homme d’Etat d’envergure
A la tête du pays, il a prouvé qu’il était homme à l’écoute des uns et des autres, surtout ceux impliqués dans un dossier où il était tenu de prendre une décision. Envoyé pour prendre sa photo, lors d’une interview, un journaliste de notre rédaction s’avoua « très impressionné par le charisme de l’homme et sa stature imposante. » Ely était connu pour sa grande culture et le journaliste en question le trouva, justement, plongé dans la lecture d’un roman. Rares, aujourd’hui, ceux qui prennent le temps de lire.
Ely dominait, sur tous les fronts, « son » CMJD. Sans cesser, pour autant, de jouer « collectif », ce qui est très rare en Afrique et, particulièrement, chez nous. Des divergences n’ont ainsi pas tardé à apparaître, notamment sur le vote blanc ou le choix du candidat à la présidentielle de 2007. Selon un analyste, Ely préférait Ahmed ould Daddah, tandis que le reste du CMJD, optait pour Sidioca. On connaît la suite.
D’autres lui ont également reproché son refus de régler le dossier du passif humanitaire, préférant laisser ce soin au président démocratiquement élu. Plusieurs rescapés militaires ne lui pardonnent d’ailleurs pas de les avoir traités, à tort ou à raison, de « Tarzans » quand ils brandirent, lors de sa visite à Rosso, des pancartes réclamant le droit de vérité et de justice. Mais ils oubliaient ou ignoraient que l’homme n’avait pas les coudées franches : divers membres du CMJD étaient accusés ou impliqués dans les exactions commises, lors des déportations de 1989 et, surtout, celles perpétrées à l’encontre des militaires négro-mauritaniens, entre 90 et 91. On connaît, ici encore, la suite. Beaucoup reconnaissent, cependant, qu’en dépit de sa fonction de DGSN, Ely n’eut jamais directement emprise sur les événements, une affaire presque exclusivement militaire.
Un joker qui disparait
Sa disparition est aussi une perte pour l’opposition, dite radicale, au pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz. L’homme qui conduisit le pays à ses premières élections réellement démocratiques ne pardonna jamais, à son cousin, de s’être rebellé contre le président issu de ce scrutin, Sidi ould Cheikh Abdallahi. Ely ne rata aucune occasion pour tirer, à boulets rouges, sur le chef du BAtaillon de SEcurité Présidentielle (BASEP), coupable, à ses yeux, de « forfaiture ». Même s’il avait choisi de rester en dehors de l’opposition, il en partageait l’aspiration centrale : débarrasser le pays du « rebelle » qui le menait droit au mur. Signalons que même si ses rapports, avec le FNDU et le RFD sont restés « bons », il n’a pas réussi à les fédérer autour de sa candidature, lors de la présidentielle de 2009. Son score y fut singulièrement piètre, laissant pressentir des fraudes à l’échelle industrielle.
Ces derniers temps, il s’était beaucoup investi, prenant, notamment, part à la dernière marche du Forum et du RFD. A en croire certains, l’homme se serait engagé à prendre en charge les frais des manifestions du FNDU, ce qui a poussé plusieurs observateurs à supputer qu’il misait sur un soutien de celui-ci à son hypothétique candidature en 2019. De fait, Ely bénéficiait d’une bonne aura, auprès des instances internationales et de plusieurs pays occidentaux. Il aurait donc pu être un bon joker pour le Forum. Un journaliste suggérait, d’ailleurs, à l’opposition de miser sur lui, à condition qu’il ne briguât qu’un seul mandat.
Le Divin Créateur en a décidé autrement. Aujourd’hui Ely s’en est allé, ôtant, au passage, une grosse épine au pied de son cousin Mohamed ould Abdel Aziz. Que la terre lui soit légère !