C’est le temps de la dévalorisation. De la dépréciation. Rien n’a plus sa valeur de « comme avant ». Pour aller directement, rien, ni les choses, ni les hommes, ni les animaux – Allez partout, regardez où vous voulez – rien n’est plus comme avant. En termes de valeur. Exemple : un instituteur des anciens temps et un instituteur des nouveaux. Les griots chantaient le premier et plaignent le second. Un instituteur, c’était quelque chose. Avec sa superbe. Sa blouse. Son buvard. Son encrier. Son porte- plume. Sa grammaire. Son orthographe. Sa dictée de contrôle. Son exquis parfum. Sa barbe bien arrangée. Son Bled. Son Larousse ou son Robert. Sa démarche magistrale. Son désintérêt pour l’argent. Son indépendance.
Aujourd’hui, un instituteur n’est plus rien. Depuis longtemps. Plus rien depuis qu’être instituteur, c’est juste pour être quelque part. Quand tu ne trouves rien, sois, au moins, un maître d’arabe, disait cette femme à son fils, dans un théâtre populaire. Arabisant qui a fait s’esclaffer de rire, publiquement, le Président. C’est clair qu’on n’est pas à Singapour qui jouit du meilleur système éducatif au monde. Ici, l’instituteur est aussi complètement déprécié que l’ouguiya. Il faut beaucoup d’ouguiyas pour acheter une miche de pain de bois. Il faut beaucoup d’instituteurs pour faire marcher une école à une classe.
L’arrêté des indemnités fixant les primes et avantages des gens de l’enseignement n’a pas été rédigé au hasard. Ne connaît l’érudit que l’érudit. Le ministre de l’Economie et des finances connaît les instituteurs. Le mieux est qu’ils se connaissent. Dévalorisation des inspecteurs, comme me disait, l’autre jour, un ancien colonel à la retraite. Lorsque l’inspecteur primaire partait de Dakar, toute la Mauritanie était en alerte. Depuis le commandant de cercle au plus petit fonctionnaire de tous les secteurs. Inspecteur de l’enseignement, me disait un éminent journaliste national, c’est quoi un inspecteur de l’enseignement ? Je connais l’inspecteur du Trésor, l’inspecteur des impôts, oui, mais un inspecteur de l’enseignement… Dévalorisation. Professeur, c’était quelque chose. Ça fait honte, aujourd’hui. Au point que l’un d’eux préfère se présenter diplômé-chômeur. C’est plus valorisant, plus respectable. Dans quel pays sommes-nous ? Journaliste.
Un éminent journaliste vient de quitter. Calmement. Les anciens journalistes avaient, au moins, leur plume. Ils avaient leur moralité et leur professionnalisme. Journaliste voulait dire quelque chose. Ça écrivait. Ça analysait. Ça respectait. « Il paraît que, quelque part, il y a eu un homme et une femme avec un enfant qui ont raconté une chose que je ne connais pas, pour dire que là-bas, très loin, des choses graves vont se passer ». Affaire à suivre. Journaliste des temps modernes. Pas de qui, pas de quoi, pas de quand. Pas d’où. Parfois nom, Parfois pas de nom, ça dépend. Dévalorisation civile. Dévalorisation militaire. Un soldat d’hier n’est pas comme un soldat d’aujourd’hui. Un caporal d’hier n’est pas un caporal d’aujourd’hui. Un lieutenant d’hier n’est pas comme un lieutenant d’aujourd’hui.
Le général de Gaulle n’est pas comme le Général-Fondateur. Même le français militaire des anciens temps n’est pas comme le français des temps modernes. « Moi, engazé militaire ; moi, pas peur mouri. Sortez-moi du riii ». Rien à voir avec le « bon » français titubant des derniers de nos généraux rectificateurs. Ministres dévalorisés. Un Premier ministre, c’est quelque chose. Imaginez Margaret Thatcher criant sous les arbres, pour demander, aux Anglais, de voter en faveur d’un referendum lui permettant d’engager la guerre des Malouines.
Un Premier ministre négociant, avec les taxis-brousse des environs de Djiguenni. Imaginez un ministre qui raconte des « histoires ». Un ministre qui ment. Un ministre qui invente. Un ministre qui danse. Un ministre qui chante. Qui déchante. Qui applaudit. Qui rit sous cape. Qui se contredit. Qui dit, le matin, ce qu’il nie, le soir. Un ministre qui bluffe. Un ministre qui bourre. Un ministre qui grimace. Un ministre, c’est un lieutenant du Président. J’ai soudain envie de citer un vieil adage esclavagiste : « La graisse de l’esclave est tributaire de son maître ». Salut.
Sneiba El Kory
source lecalame.info