RFI : Monsieur le président, les ministres français ces derniers temps ont un peu boudé la Mauritanie. Il y a eu très peu de visites officielles depuis votre réélection en 2014. Est-ce qu’on peut dire que vos relations étaient meilleures quand Nicolas Sarkozy était au pouvoir ?
Mohamed Ould Abdel Aziz : Oui, il y avait peut-être plus d’échanges, mais ça ne veut pas forcément dire que les relations étaient meilleures. Les raisons il faut les chercher ici [en France], pas en Mauritanie.
Est-ce que l’élection de François Fillon serait une bonne nouvelle pour vous, le retour de la droite au pouvoir en France ?
Nous suivons avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe actuellement au niveau des élections en France et de toute façon on est obligés de continuer à entretenir de bons rapports avec la France. Je ne pense pas que ce soit une question d’homme.
Sur la question du terrorisme, les jihadistes du nord du Mali étendent leur influence maintenant jusqu’à Mopti, au centre du pays, grâce notamment à des complicités dans la communauté peule. Est-ce que ça vous inquiète ?
Tout ce qui se passe au Mali nous inquiète. Effectivement, le problème est en train de s’étendre du nord vers le sud, malheureusement, alors qu’il y avait déjà des difficultés qui se trouvaient au nord du pays et qui ne sont pas maîtrisées. Nous voyons que la situation s’aggrave. Au lieu d’être maîtrisée, elle s’aggrave maintenant.
Le président IBK n’en fait pas assez ? Ne fait pas ce qu’il faut ?
Non, les Maliens font tout ce qu’ils peuvent faire, mais la situation est extrêmement difficile. Et elle est alimentée aussi par des tensions qui sont extérieures au Mali, malheureusement. On parle de rébellion au nord du Mali, on parle de terrorisme et on parle malheureusement moins du trafic de drogue qui sévit dans la région, qui alimente un peu tout ça. La seule source de financement, de soutien, après bien sûr le paiement de rançons, c’est le trafic de drogue.
La Mauritanie est imperméable à ces trafics ?
Oui, nous faisons en tout cas beaucoup d’efforts. C’est vrai qu’il est très, très difficile de dire que la Mauritanie est imperméable. Nous avons un million de kilomètres carrés à gérer, à sécuriser et à rendre imperméables. Mais en tout cas nous faisons beaucoup d’efforts et ça a donné des résultats probants, visibles.
Il n’y a plus d’incidents en Mauritanie depuis 2011. Vous tolérez cependant la présenced’anciens responsables d’Ansar Dine comme Senda Ould Boumama , l’ancien porte-parole de ce mouvement, d’anciens chefs d’al-Qaïda comme Abou Hafs al-Mauritani, qui ont pignon sur rue. Est-ce que ce n’est pas imprudent de votre part de les accueillir dans votre pays ?
D’abord il s’agit de Mauritaniens. Boumama, c’est un Mauritanien qui a été le porte-parole d’Aqmi au niveau de Tombouctou, qui a dirigé des opérations. Le deuxième, c’était le porte-parole et le conseiller islamique – je pense – de Ben Laden. Et effectivement, ils sont en Mauritanie, ils vivent paisiblement et ils n'ont aucun problème. Ce sont des gens qui sont repentis et on ne peut pas les rejeter.
Vous ne craignez pas qu’un jour ils reprennent le jihad à vos dépens ?
Ils ne peuvent pas reprendre parce qu’ils sont même recherchés par des jihadistes ces gens-là.
Dernièrement, le Sénégal a annoncé avoir arrêté plusieurs présumés terroristes ou complices de terrorisme. Pourquoi n’y a-t-il jamais d’arrestations de ce genre en Mauritanie ?
Il n’y a plus de terroristes chez nous. Les seuls terroristes que nous avons sont en prison. On ne peut pas les sortir de la prison pour les arrêter ! Nous en avons au minimum une quarantaine dont certains sont condamnés à mort. Nous avons eu à libérer 36 terroristes. Parmi les 70 ou les 80 qu’ont détenait, 36 sont sortis et il n’y en a eu que deux qui ont récidivé. Les autres sont restés, on leur a fait lancer des projets et ils sont restés chez eux, ils sont en Mauritanie.
Un mot de vos relations avec le Maroc : pourquoi depuis plusieurs années à ma connaissance la Mauritanie n’a plus d’ambassadeur au Maroc ?
Il n’y a pas d’ambassadeur effectivement, mais nous avons un chargé d’affaires. Nous avons une ambassade ouverte. Les relations sont relativement bonnes.
Qu’est-ce qui bloque ? Quel est le grain de sable aujourd’hui entre vos deux pays ?
Je ne pense pas qu’il y ait un grain de sable. Pratiquement, nous entretenons les mêmes relations avec tous les pays. Mais nous souffrons effectivement de ces problèmes du Maghreb qui n’arrivent pas à avancer. C’est tout.
Justement, le Maroc tape très fort avec insistance à la porte de la Cédéao. Est-ce que la Mauritanie prévoit aussi de retourner, elle, au sein de l’organisation ouest-africaine ?
Je ne pense pas que ce soit un effet domino. Nous sommes en discussion pour un partenariat avec la Cédéao, depuis quelques années d’ailleurs. Nous sommes en phase de conclure des accords avec eux très bientôt.
Pas de réintégration à l’ordre du jour ?
Ce n’est pas envisagé pour le moment. D’abord nous sommes un pays du Maghreb, et de l'Afrique de l'Ouest...
Vous avez quitté la Cédéao pour rejoindre l’Union du Maghreb arabe, l'UMA. Est-ce que vous avez fait le bon choix ?
Oui, à l’époque on a fait le bon choix et on va continuer à travailler pour la création du grand Maghreb.
En Mauritanie, le Sénat a rejeté le projet de réforme constitutionnelle qui était proposé au vote. Pourquoi aujourd’hui contourner la position des sénateurs que vous aviez sollicités pour aller vers un référendum ? Pourquoi tenez-vous tellement à cette réforme constitutionnelle ?
Je n’y tiens pas, seulement nous avons eu à faire un dialogue entre la majorité présidentielle et une grande partie de l’opposition. Et c’est ça les résultats de ce dialogue. Ça a été préconisé.
Mais c’est aujourd’hui vous qui avez décidé d’aller au référendum ?
Oui, c’est par respect à ce dialogue.
Mais un dialogue qui n’était pas inclusif ?
En tout cas il l’a été à 90 %.
Est-ce que la priorité pour la Mauritanie n’est pas ailleurs que dans cette réforme ? Cette suppression du Sénat, ce changement de drapeau ?
Nous avons plusieurs priorités, mais celle-là aussi en fait partie. Nous n’avons que des priorités chez nous. Nous sommes un pays en développement.
Vous irez donc jusqu’au référendum ?
Bien sûr. Il aura lieu très prochainement. Nous pensons le faire dans quelques mois, juste à la fin de l’été, probablement.
Dans le projet de réforme constitutionnelle, il n’est pas question de réformer le nombre de mandats que peut accomplir un président. Est-ce que d’autres réformes d’ici 2019 peuvent être prévues ?
Ce sont les dossiers que nous avons actuellement sur la table.
Vous quitterez donc le pouvoir en 2019 ? C’est promis ?
Oui, j’attends 2019 pour respecter la Constitution.
Est-ce que vous pensez déjà à un dauphin ?
D’ici à 2019 on est en train de réfléchir à tout cela. Nous sommes en 2017. De toute façon la Constitution sera respectée et c’est l’essentiel.
Très prochainement, le 23 avril, devrait se tenir une audience concernant le cas d’un jeune blogueur qui a été condamné à mort pour apostasie en 2014. Son dossier a été depuis réexaminé. S’il est relâché à l’issue de la prochaine audience, est-ce que sa sécurité pourra être garantie en Mauritanie ?
Oui, vous savez, la situation est extrêmement difficile, dans la mesure où c’est une affaire qui est pendante au niveau de la justice. Si jamais il est libéré par la justice, l'Etat est là pour le sécuriser comme tous les autres Mauritaniens.
Est-ce que vous auriez un message à adresser à ceux qui lui sont violemment hostiles ?
Nous devons tous, aussi bien pouvoir, que population, qu’organisations civiles, laisser ce problème entre les mains de la justice. Nul autre que la justice n’est habilité à appliquer la loi chez nous.
source RFI