C’est une chronique de temps de crise. Vu la pénurie de papier, je suis obligée de la rédiger sur quelques omoplates de mouton et autres supports tout aussi utiles que le dos de mes paquets de clopes, le papier toilette et le mur. Accessoirement j’ai tenté d’écrire sur les nuages mais ça n’a pas marché… Question, sûrement, de sculpture sur les nuages et de non-compatibilité bédouine. À la guerre comme à la guerre, surtout quand il s’agit de manque de papier à notre nationale et bien aimée Imprimerie !
Quand j’aurai usé toutes les omoplates de mouton, je serai sûrement obligée de passer par les signaux de fumée ou le t’bol. Après, il se peut que j’écrive sur les bandes rouges de notre nouveau truc appelé drapeau. Car, vous l’aurez remarqué, plus le temps passe, plus les bandes rouges augmentent en largeur… Nous avons commencé avec de timides galons. Ils ont, depuis, grossi. Et selon l’inspiration du « maître es bandes rouges » et de l’institution qui affiche royalement notre nouveau drapeau, les bandes rouges se sont mises à faire leurs intéressantes… Ici, deux misérables bandes. Là, tout un boulevard. Là-bas, en haut une largueur, en bas une autre… Nous voilà donc devenu peuple peinture rouge. Du coup et pour ne pas rester en veine, le vert s’est mis à avoir des vapeurs. Parfois vert agressif, sultanesque, parfois couleur de lendemains de crise de foie. Parfois les deux en même temps. Et pour le jaune… hé bien, le jaune tente de garder sa dignité de jaune, outragé par tant de rouge mais je n’ai pas encore vu notre étoile perdre une branche ou en gagner une. Ce qui ne saurait tarder : notre drapeau perd la tête et moi avec…
D’accord il l’a perdue, sa tête de drapeau, depuis le referendum. Et comme on lui a imposé un hymne national martial, digne des séries égyptiennes, arabe d’entre les meilleurs arabes, en guise de camisole de force, rien de bien étrange, dans ce jeu de largeur de bandes non conventionnelles et de vert en promenade des champs. Nous avons donc un drapeau baladeur et un hymne guerrier. Et tout un pays se retrouve en pleine dilatation, à l’image de tout ce rouge qui ne sait toujours pas combien il mesure. Dilatés, nous le savions…Et aujourd’hui, dilatés tout rouge, nous voilà bien, me direz-vous, mais attendez, je dois changer d’omoplate…
Me revoilà ! Veuillez accepter toutes mes excuses. Cette interruption des programmes était indépendante de ma volonté. Nous en étions où ? Ah, oui : aux bandes de drapeau, à la peinture rouge, au vert, à la dilatation des Nous Z’Autres et à l’interruption des programmes… Il y a sûrement un lien, entre la croissance exponentielle des bandes Z’à rouge et la disparition exponentielle des chaînes de télé privées. Je dis ça, je dis rien, hein ? N’allez pas raconter que j’ai dit quelque chose que je n’ai pas dit. Pas envie de me retrouver au commissariat pour et atteinte à notre drapeau Z’à bandes et pour avoir émis l’hypothèse d’une relation de cause à effet, entre ce magnifique objet à dilatation variable et nos écrans TV.
D’abord, ce que je dis ne vaut pas un niébé. De plus, ce niébé, j’y tiens quand même. Sans lui, plus de parenté à plaisanterie, entre les Ba et le reste de l’univers, par exemple. Mais la prudence me conseille quand même de changer de sujet. Je n’ai pas envie de me prendre trois mois de prison avec sursis, pour apologie de notre ancien drapeau. Interlude : je dois encore changer d’omoplate. Celle que j’utilisais appartenait à un agneau. Pendant que je farfouille dans mes omoplates, moment pub : la Mauritanie, joli port de pêche, possède un climat polaire propice aux balades en moto neige.
N’empêche… C’était beau toute cette assemblée d’islamistes politiques et « modérés » (j’ai quand même vu quelques têtes qu’on ne peut qualifier de modérées et quelques barbes très vindicatives… J’ai pas dit de nom ! Hé, ho!) sous ce vert et rouge et jaune à dilatation géométriquement variable et réunis chaleureusement, autour du leader du Hamas, pour parler de la Palestine…
Il en faut, du rouge, pour parler de la Palestine ! Beaucoup de rouge. Et il en faut, des brainstorming sur les Palestiniens, pour que le martyr des uns devienne le fonds de commerce des autres… Beaucoup de rouge. C’est peut-être pour cela que les bandes rouges ont soudain grossi : pour saluer le malheur des Palestiniens. Peut-être qu’une fois le leader du Hamas reparti, les bandes rouges vont maigrir. Peut-être…
Pause ! Je passe au dos de mes paquets de clopes : écrire une chronique entre deux « Fumer tue », c’est rock and roll ! Mais passons sur ce « tue »… En écrivant entre ces épitaphes nicotinées, je ne peux m’empêcher de penser à Paul Auster qui répondit, à quelqu’un qui lui demandait « Pourquoi fumez-vous ? – Parce que j’aime tousser »… Madame l’Imprimerie Nationale, franchement, z’êtes pas drôle ! Bref et re-bref, nous avons perdu le Nord mais nous n’avons pas perdu le rouge. Nous avons perdu le Sénat mais pas le pot de peinture. Nous avons perdu l’immobilité mais nous avons hérité de la dilatation. Et l’Imprimerie nationale a perdu le papier…
Qui a dit, il y a fort longtemps : « Mauritaniens, Mauritaniennes, peuple de héros….et blablabla, et blablabla… » ? Il en faut, de l’héroïsme, pour supporter tout ce rouge. À force, ce drapeau, il va ressembler à la muleta des matadores dans une arène : tout rouge ! Et nous fonçant, comme des dératés, tête la première, énervés par tant de rouge à largeurs variables… Mon stock de supports improbables d’écriture étant épuisé et moi, passablement énervée par ceci et par tant de rouge, je vais donc arrêter ce gymkhana et aller me coucher. Il brandit quoi, le matador, quand il a fini d’agiter sa muleta? La queue et les oreilles… Salut.
Mariem mint DERWICH
source lecalame.info