Après la mascarade du referendum et de son cortège d’irrégularités, de mensonges, de manipulation des masses, de déni de démocratie ; après l’absurdité d’une pseudo-histoire qu’on nous a vendue comme fait établi, reconnu (sauf pour les chantres d’un passé fantasmé et manipulé, point de vérités historiques, dans tout ce blabla nauséabond et idéologique), après l’assassinat de notre drapeau, après la sale guerre contre Bouamatou, la chasse aux sénateurs, aux syndicalistes et aux journalistes, après toute cette médiocrité érigée en intelligence politique, j’avais décidé de poser mon stylo, d’arrêter d’écrire… Je ne pouvais concevoir d’y persévérer, dans un monde où rien n’est vrai, où tout n’est qu’argumentaire stérile, où la moindre pensée critique est passée à la trappe, où réfléchir est un crime.
J’étais fatiguée. Si fatiguée. Si fatiguée d’avoir accompagné, depuis plus de vingt ans, la lente descente aux enfers de notre si beau pays qui mérite mieux que tout ça ; d’avoir assisté, impuissante, au morcellement de nos sociétés, aux pokers menteurs, aux achats des consciences, aux achats des dignités, aux comportements tellement indignes que nous en avons dépassé la honte…Si fatiguée d’avoir cru qu’après Taya, nous verrions, enfin, pointer un semblant de perspectives. Si fatiguée d’avoir pensé que, libérée, la parole allait aboutir à une vraie remise en question de nos manières d’agir et de nous penser, que nous ne verrions plus toutes ces humanités courir après l’argent, écrire pour l’argent, trahir pour l’argent, vendre père et mère pour l’argent… et quelques miettes de pouvoir.
Si fatiguée, si fatiguée… Fatiguée par la Majorité où toujours les mêmes applaudissent, depuis des décennies ; fatiguée par une Opposition incapable de porter un vrai projet de société et qui a montré ses limites, lors du referendum et dans son obstination à boycotter, laissant le champ libre à tout.Fatiguée par un peuple qui accepte tout, tout, sans que cela ne l’empêche de se lever le matin…Fatiguée par ce théâtre où tout est faux et artificiel, sauf le pouvoir suprême, celui qui décide tout, celui qui impose tout, celui qui se mure dans son silence et qui, de temps en temps, apparaît dans un quartier, à la « rencontre des citoyens », puis qui remonte dans sa voiture climatisée et rentre dans son monde où l’eau coule toujours aux robinets, où il n’y a pas de coupures de courant, où Internet fonctionne bien, où les frigos sont toujours pleins, où, quand on est malade, on prend l’avion et l’on part se faire soigner à l’étranger, où l’on envoie ses enfants au Lycée français,tout en clamant l’arabité de la Nation…
J’ai alors pris du temps pour moi, dans ce trou noir qu’est Nouakchott, trou noir qui absorbe toutes les énergies. Je me suis roulée en boule et j’ai soufflé.Puis est arrivée la dernière humiliation, pour notre pays, la dernière négation, le mensonge ultime : le nouvel hymne national…Le point d’orgue d’une manipulation qui a commencé il y a des décennies, d’un plan soigneusement concocté, pensé, préparé par les zélotes de l’arabité pure et dure, purement idéologique. Non, je ne suis pas dans la théorie du complot. Je ne l’ai jamais été. Mais il faut, parfois, appeler un chat un chat.Nous avions une chance de redresser la tête, avec fierté, et d’inscrire nos arcs-en-ciel en ce nouvel hymne ; nous avions la chance de nous regarder dans nos diversités, d’inscrire nos mémoires, diverses, au fronton d’une pensée républicaine.
Mais, hélas, n’est pas Nelson Mandela qui veut; n’est pas l’Afrique du Sud qui veut. N’est pas visionnaire et courageux qui veut. Je rêvais d’un hymne où l’arabe côtoierait le pulaar, le soninké, le wolof et tutti quanti… Je rêvais d’une vraie avant-garde de la pensée et non pas de cet appel aux cimetières, aux morts, aux mensonges.Je rêvais de demain, pas d’hier.Je rêvais… Et nous voilà affublés d’un nouveau roman national, d’un drapeau hideux, avec son sang idéologique, et d’un hymne à la gloire d’une Nation plus arabe que les Arabes, plus arabe que l’arabité qu’elle est censée détenir, tout au moins dans sa façon de se percevoir, dans ces espaces sahélo-sahariens…
Game over. La partie est terminée.Ils ont gagné. « Ils »? Ils, les ultra-sectaires, les ultra-nationalistes, les ultra-racistes, les ultra…D’une poignée de guerriers arabes, les Hassan qui ont vaincu les Berbères locaux, ils ont fait un monument à une « pureté » de la race…en oubliant tout ce que ce concept de pureté a fait de mal et réveillé de vieux démons. « Ils » ont massacré notre jeune pays, en regardant, avec des yeux doux, des idéologies lointaines qu’ils ne maîtrisaient pas : quanddes hommes et des femmes, des écrivain et des intellectuels, ont pensé, en Egypte, en Syrie, en Irak ou au Liban, « la Nation arabe », ouvrant un vrai débat, de vrais échanges, quand ces mêmes théoriciens, qui cherchaient une identité, au monde arabe musulman morcelé par les guerres successives et par la mainmise du pouvoir ottoman, sur une partie de ce monde, ont proposé des concepts, cela avait sens, c’ÉTAIT sens; alors que, chez nous, nos « ILS » se sont contentés de copier-coller, sans ouvrir aucun débat ni argumentaire. C’est toujours plus facile…Nos « ILS » ont cru noyer l’arbre, en inondant ses racines prétendument perdues lors de la colonisation française…
Alors oui, je vais dire quelque chose qui va choquer nombre d’entre vous, mais je demande, à ces gens-là, de prendre le temps de réfléchir, avant de m’insulter.Notre pays, nos politiques, ont inventé un concept très pervers et très malin : le génocide pacifique…Il n’est pas besoin de tuer, pour faire, d’un pays, une seule couleur. Non, c’est contreproductif et vous expose aux foudres des bailleurs de fonds et de la Communauté internationale. Il suffit, juste, de faire en sorte que ceux dont vous ne voulez plus s’en aillent d’eux-mêmes. Simple, terriblement efficace, terriblement efficace…
Ainsi les noirs de ce pays ont entamé, aux lendemains des années de sang, le lent et silencieux exode vers d’autres pays… Ils sont des milliers et des milliers qui vivent à l’étranger, maintenant, chassés par cette idéologie tueuse. Et il en part encore tous les jours.
Ces exilés formentde fortes diasporas,en certains pays, et je ne crois pas me tromper si j’avance le chiffre de plusieurs dizaines de milliers des nôtres partis sur les chemins de l’exil car étrangers culturels en leur propre pays. Ce phénomène ira en s’accentuant, feutré, invisible… Mais il se poursuivra. Et, à la fin, il n’y aura plus qu’une seule ethnie, en Mauritanie, Mère de tous les Arabes.
Ceux qui font semblant de ne pas voir ceci sont aussi coupables que ceux qui l’ont planifié. Salut,
Mariem mint Derwich
source lecalame.info