Pour le président de la Mauritanie, « on ne peut pas demander aux Français ou à d’autres d’assurer notre sécurité. C’est la mission de l’armée mauritanienne, comme la mission de l’armée française est de protéger son territoire »
Les faits –
En ce 27 septembre, le président Ghazouani enchaîne les audiences, dont celle du nouveau commandant de la force Barkhane, le général Michon, avant un conseil de défense. « Vous n’avez que dix minutes, le chef de l’Etat a une journée chargée », enjoint le chef du protocole. Ce dernier recevra finalement l’Opinion plus d’une heure dans son bureau de la présidence. Au jeu des questions-réponses, l’ancien chef d’état-major de l’armée, à la réputation de taiseux, répond avec mesure, sans être avare d’explications sur des sujets militaires, diplomatiques et religieux qui lui tiennent à cœur.
Depuis 2011, la Mauritanie n’a plus subi d’attentats alors que vos voisins ne sont pas épargnés. Comment avez-vous réduit la menace ?
Entre 2005 et 2007, les terroristes ont commis un certain nombre d’attentats et de prise d’otages sur notre territoire. En dehors des services de défense et de sécurité, les autres structures de l’Etat et les populations estimaient qu’elles n’avaient pas de rôle à jouer dans la lutte antiterroriste. Nous avons donc soumis au Premier ministre de l’époque l’idée de faire participer les différents départements ministériels et les citoyens à ce combat, avec la mise en place d’une stratégie globale transversale, afin qu’ils prennent conscience que nous avions une mission commune. C’est ainsi que plusieurs départements ministériels interviennent désormais pour prendre en charge la réponse à la menace (ministères des Affaires islamiques, Sécurité intérieure, Défense nationale, Enseignement originel…). La nouvelle stratégie a mis du temps à être opérationnelle mais elle a vite donné des résultats. Tous les acteurs ont contribué à son succès comme les mahadras – les écoles coraniques – qui ont joué un rôle important dans l’identification des personnes fréquentant leurs établissements respectifs.
Et sur le plan purement militaire ?
Il a fallu admettre que notre armée, organisée en régions militaires à partir de nos écoles de défense, était davantage préparée à une guerre conventionnelle qu’à un conflit asymétrique où le recours à l’armée régulière entraîne des défis logistiques lourds. Face à l’urgence, nous n’avions pas le temps d’accomplir une réforme profonde de nos forces de défense et de sécurité. Nous avons donc créé les groupes spéciaux d’intervention (GSI), des unités qui ont les mêmes caractéristiques de mobilité et de légèreté que les groupes terroristes mais plus autonomes et supérieures en hommes et en équipements. Nous avons aussi cherché à restaurer la confiance des soldats, qui avaient subi des pertes au combat, en allant traquer les terroristes dans leurs fiefs. Nous avons envoyé des unités au Mali. Elles ont affronté les terroristes victorieusement, même si nous avons subi des pertes. Cette stratégie a permis de créer un équilibre de la peur.
N’y a-t-il plus de cellules dormantes ?
Toute menace n’a pas complètement
disparu. Nous avons encore démantelé
dernièrement des cellules dormantes. Ce ne
sera probablement pas les dernières mais
nous avons de bons services de
renseignement. La sécurité de la région est
une source d’inquiétude, notamment au
Mali. Lorsque l’un de nos pays ne va pas
bien, les autres sont susceptibles d’en pâtir.
Il y a des défis de sécurité collective et de
développement à relever dans le cadre de
l’alliance des pays du G5 Sahel.
«Nous avons fait intervenir les oulémas pour
faire comprendre aux terroristes en prison
que
la voie qu’ils avaient suivie n’était pas
celle de l’islam véritable. Un bon nombre
d’entre eux sont aujourd’hui repentis et ont
pu reprendre une vie normale»
Que faites-vous pour lutter contre la radicalisation ?
Le dialogue interreligieux est un des volets de la lutte antiterroriste. Nous travaillons depuis plusieurs années à déradicaliser les personnes qui se sont dévoyées dans de faux combats religieux. Nous avons notamment fait intervenir les oulémas pour faire comprendre aux terroristes en prison que la voie qu’ils avaient suivie n’était pas celle de l’islam véritable. Un bon nombre d’entre eux sont aujourd’hui repentis et ont pu reprendre une vie normale. Nous mettons surtout l’accent sur la prévention pour éviter que des jeunes ne soient tentés par l’aventure des groupes terroristes. Ce travail commence dès le plus jeune âge à l’école moderne et dans les mahadras, à travers l’encadrement apporté par le ministère des Affaires islamiques et de l’Enseignement originel.
Il y a donc une chance pour la réinsertion…
Il ne faut pas trancher définitivement à l’égard de certains qui ont déjà payé une partie de leur dette à l’égard de la société, reconnu leurs erreurs, et se trouvent sur la bonne voie. Il faut leur donner leur chance. Notre but n’est pas de remplir les prisons, nous avons déjà suffisamment de détenus, particulièrement pour des affaires de délinquance.
En tant que descendant d’une grande famille
maraboutique, quel enseignement de l’islam
préconisez-vous ?
Je suis un musulman très attaché aux valeurs de l’islam et au rite malikite qui se traduit par l’ancrage de valeurs comme la modération, l’abnégation, l’humilité et le sens du partage et de la solidarité. Il n’y a pas de place pour le terrorisme dans notre pays.
Que pensez-vous du recours à des mercenaires étrangers comme ceux de la société Wagner, proche du Kremlin, au Mali ?
Les formations d’officiers supérieurs dispensées notamment au Collège de défense de Nouakchott permettent de créer de l’interopérabilité entre pays du Sahel. Nos responsables militaires parlent le même langage, ont une approche globale et régionale de la défense de leur et de nos territoires. Si un pays du G5 Sahel souhaite faire intervenir un nouvel acteur militaire, il devrait au préalable consulter ses partenaires de la région et avoir une approche concertée. Je viens d’envoyer une délégation à Bamako pour m’enquérir de la réalité des projets de notre voisin.
«Il ne faudrait pas considérer qu’une réorganisation du dispositif français va entraîner le chaos au Mali. Cette évolution est faite dans le but de rechercher plus d’efficacité»
Comprenez-vous les autorités maliennes qui parlent d’un abandon militaire français ?
Ce que le président Macron a annoncé en juin ne constitue pas un départ des militaires français mais une transformation du dispositif en place. Le redimensionnement de l’engagement français est censé favoriser la montée en puissance de nos armées pour prendre en charge leur propre sécurité, tout en continuant à recevoir un appui en matière de logistique, de renseignement et de formation. On ne peut pas demander aux Français, aux Américains ou à d’autres partenaires d’assurer notre propre sécurité, même si l’on souhaite continuer à bénéficier de leur aide pour rehausser le niveau de notre appareil de sécurité et de défense. En Mauritanie, nous n’avons jamais demandé aux Français d’intervenir pour anéantir des terroristes. C’est la mission de l’armée mauritanienne, comme la mission de l’armée française est de protéger son territoire.
Etes-vous satisfait de la coopération militaire française ?
Nous remercions la France pour son appui. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, j’avais sollicité son chef d’état-major des armées pour la formation des GSI. Des experts et conseillers militaires français nous ont appuyés pour organiser et dispenser nos formations. Il ne faudrait pas considérer qu’une réorganisation du dispositif français va entraîner le chaos au Mali. Cette évolution est faite dans le but de rechercher plus d’efficacité.
L’Algérie a rompu ses liens diplomatiques avec le Maroc, sur fond de tension autour du Sahara occidental et de la reprise des relations entre le royaume chérifien et Israël. Craignez-vous une escalade ?
Je ne pense pas qu’il y ait d’intention ou même les prémices d’une nouvelle escalade, et nous ne la souhaitons pas. C’est une situation qui aurait des effets négatifs pour l’intégration maghrébine qui souffre déjà de la crise libyenne. Il faut compter sur la sagesse de ces deux pays frères avec lesquels nous entretenons de très bonnes relations. Nous sommes disposés, s’ils venaient à nous le demander, à jouer un rôle de facilitateur. La Mauritanie affiche une neutralité positive dans le dossier du Sahara occidental depuis l’accord de paix d’Alger, le 5 août 1979, mettant fin aux combats avec le Polisario.
Quel est votre politique à l’égard des pays du Golfe ?
Nos relations sont excellentes avec l’ensemble de nos frères de cette région. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït ou le Qatar sont des pays amis. Le premier est un partenaire précieux qui a toujours accompagné les efforts de notre pays. Les Emirats arabes unis ont constamment répondu à nos appels. Nous avons pu mesurer la valeur de leur solidarité quand nous les avons sollicités pour financer le Collège de défense de Nouakchott. Nos relations avec le Qatar ont connu des ruptures mais nous avons tout naturellement rétabli nos liens diplomatiques et nous en sommes ravis. Nous avons nommé un chargé d’affaires à Doha, avant la réouverture d’une ambassade. Le Koweït est un de nos plus anciens partenaires, qui a toujours fait preuve de générosité à notre égard. Il vient encore de nous aider à régler une dette qui datait d’un demi-siècle. La dette principale représentait 82 millions de dollars mais était montée à près d’un milliard avec les intérêts. Les autorités koweïtiennes ont accepté de procéder à 95 % de l’annulation de ces intérêts et nous ont accordé des conditions favorables pour le traitement du principal.
L’histoire mauritanienne est émaillée de coups d’Etat et d’élections contestées. Qu’attendez-vous du dialogue en cours ?
Depuis que nous sommes aux responsabilités, nous avons fait le choix d’instaurer un climat politique apaisé. Les formations politiques ont souhaité la création d’un cadre de débat. Quand l’idée nous a été soumise, nous l’avons acceptée. Certains peuvent l’appeler dialogue et d’autres parlent de concertations politiques. La sémantique importe peu. L’essentiel est de répondre à la demande des acteurs politiques et de la société civile afin de se retrouver et débattre des questions d’intérêt général. Nous ne sommes pas en train d’apaiser des tensions qui n’existent pas aujourd’hui. Nous voulons plutôt faciliter le travail des multiples acteurs de notre pays, les accompagner pour identifier des sujets ou poser des questions pour lesquelles il faudrait apporter une réponse. Notre rôle sera à la fois celui d’arbitre et de garant pour que des idées consensuelles sortent de ces rencontres et permettent d’améliorer la gouvernance.
Pascal Airault / l’Opinion / RMI -info