Sa position géographique lui confère un attrait géostratégique. Mais au-delà de ce positionnement naturel enviable, - à savoir le trait d'union entre les deux Afriques noire et blanche- l'aubaine pourrait se transformer en quiproquo selon les circonstances, menant ainsi à un dessous de carte venimeux. En effet une rivalité géopolitique entre un Occident (Otan) toujours conquérant, pris de cours par les appétits naissants d'un autre pôle (Brics) mené par la Chine et la Russie, risque de sonner le tocsin d'un espoir apaisé, de la Mauritanie au golfe de Guinée. La récente intervention de l'activiste panafricaniste, la franco-camerounaise Nathalie Yamb qui fustige notre pays en le qualifiant de "cheval de Troie" de l'Occident, illustre bien la position géographique convoitée de la Mauritanie, mais également les méfaits inhérents à cette posture à double tranchant.
Depuis le 24 février 2022, suite à l'"Opération Spéciale" déclenchée par Moscou contre Kiev, le monde est entré dans un tourbillon dangereux. Chaque partie cherche à placer ses pions en vue de contrôler les routes qui approvisionnent en énergie fossile( pétrole, gaz naturel). L'Afrique qui était le parent pauvre de cet enjeu pour les USA, attire aussitôt un regard intéressé, surtout depuis que la Russie a commencé à s'y implanter. L'épicentre de la lutte d'influence entre les pays de l'OTAN d'un côté, la Russie, la Chine de l'autre, se mesure par et surtout dans la conduite inébranlable de la guerre en Ukraine, pour l'instant. Mais cet épicentre belliciste risque de se déplacer en 2024-2025 vers la mer de Chine, avec l'éventuelle "récupération" de l'île de Taiwan par l'empire du milieu.. Pour le moment seuls les effets secondaires du conflit Russie-Ukraine touchent les pays du Sahel, la Mauritanie, le Sénégal, jusqu'aux contrées lointaines du golfe de Guinée. Prudence... Face à cette situation mondiale qui peut à tout instant dégénérer en conflit nucléaire, la Mauritanie doit adopter une attitude équilibrée...., ne serait-ce que pour l'Histoire. Nous entretenons une vieille coopération militaire avec la France qui forme surtout certains de nos commandos dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Soit. Notre Collège de Défense a des liens étroits avec celui de l'Otan bien avant la guerre en Ukraine, dans le seul but d'acquérir et de bénéficier de l'expérience et de la formation adéquate de cette institution militaire occidentale. Jusque là tout est normal.
Cependant nous devons éviter toute attitude qui pourrait faire croire à la partie adverse notre alignement sur l'une ou l'autre. N'oublions pas que nous sommes entourés au Nord par l'Algérie, alliée de Moscou, au sud-est par le Mali, allié de Moscou également; au Sud par le Sénégal, un pays voisin et amical qui entre dans une période pré- électorale dont on ignore encore les conséquences. Car tout ce qui se passe de bon ou de mauvais au pays de la "téranga", rive gauche, aura des répercussions sur le sol mauritanien, rive droite....
A/ Faut-il craindre une situation explosive au Sénégal?
Rien ne sera plus comme avant au Sénégal, un pays qu'on qualifiait de "locomotive" de la démocratie pluraliste, d'exemple de "bonne gouvernance" en Afrique francophone, voire même au-delà... C'est que le premier président du pays, Léopold Sédar Senghor était un académicien, un Sérère tolérant bercé dans la culture judéo-chrétienne proche des valeurs occidentales. La France a fait de ce pays une sorte de laboratoire, une vitrine pour concrétiser son influence sur son pré-carré ouest-africain. Raison pour laquelle Senghor dans le souci de préserver cet acquis, a su démissionner au moment opportun afin de céder le pouvoir à son dauphin Abdou Diouf. Et depuis le naturel , avec ses querelles intestines, ses rivalités ethniques, ses pratiques dolosives, est revenu au galop.
La bataille pour le fauteuil présidentiel a donné à chaque fois, après le départ du chantre de la négritude une image écornée du Sénégal, pourtant une terre de brillants universitaires, de célèbres avocats etc...Tantôt c'est Diouf contre Wade, si ce n'est Wade contre Macky Sall, ce dernier contre Ousmane Sonko, à telle enseigne qu'on est arrivé en 2023 à un point de non-retour, autrement à une confrontation sanguinaire.. Ce qu'on croyait être une bataille pour la démocratie entre deux prétendants au pouvoir, - projet contre projet, n'est ni plus ni moins qu'une question de leadership à connotation ethnique.
En effet Macky Sall ayant placé sur orbite ses satellites à savoir les présidents de Gambie et de Guinée Bissau par l'entregent des troupes de la Cedeao (aviation du Nigéria) au moment où un autre Peul, le général Muhammadou Buhari était à la tête du Nigéria, n'acceptera jamais qu'un "petit bambin casamançais" se mette au travers de son chemin...Au-delà de l'exploitation du gaz et des convoitises qu'elle suscite auprès du Qatar, de la Turquie, de la France etc..., nous assistons à une querelle beaucoup plus subtile, prosaïque même parce que mesquine, entre un orgueil Peul démesuré et une inopportune fierté Mandingue incarnée par Sonko.
C'est une bataille d'ego que même les marabouts sénégalais auront du mal à juguler. Macky Sall fera son 3éme mandat, sans doute avec le soutien des Occidentaux. Ousmane Sonko, qui a raison sur toute la ligne et supporté par ses jeunes partisans, essayera de semer le chaos. Le Sénégal risque de sombrer et seule l'intervention de l'Armée pourrait être salutaire. Ainsi le cemga du Sénégal, le général de corps d'Armée Cissé, un ami de la France, sortira du bois.
L'intérêt de la Mauritanie est que le pouvoir reste entre les mains de Macky Sall., un homme qu'on connaît très bien et qu'on a vu esquisser des mots en Hassaniya...Qui dit mieux?
B/ Entre l'équilibrisme ou la confrontation permanente, il faut choisir:
Ce n'est pas un choix cornélien qui est posé à la Mauritanie, mais plutôt une politique du discernement entre ce qui est bon ou mauvais pour notre pays. Si la situation géographique de la Mauritanie lui confère une position géostratégique envieuse aux yeux des grandes puissances, le devoir des pouvoirs publics est de mener à profit cet avantage dans le seul intérêt supérieur de la nation. La sagesse nous recommande qu'être au-dessus de la mêlée procure un champ de vision plus propice à une station équilibrée que partisane, vis-à-vis des deux protagonistes que sont les Occidentaux et la Russie, deux pôles antagonistes qui se livrent à une rivalité mortelle depuis le 24 février 2022.
Les deux ministères régaliens( Défense et Affaires Etrangères) de Mauritanie concernés par cette confrontation géopolitique, de près ou de loin, doivent prendre toutes les dispositions nécessaires à la quiétude et à la sécurité des citoyens. Ne dit-on pas que le président Mohamed Ould Ghazwani est un homme de maturité étendue, consensuel, un adepte du juste milieu? Alors de quoi aurions-nous peur?
ELY OULD SIDAHMED KROMBELE, FRANCE