Le Calame : La pandémie du COVID 19 a mis à nu les problèmes d’approvisionnement en produits pharmaceutiques dans presque tous les pays du monde. La Mauritanie n’a pas échappé à cette réalité. Quelle évaluation vous faites des mesures prises pour lutter contre cette pandémie ? Et quels enseignements doit tirer notre pays de cette épreuve pour améliorer son système de santé ?
-Dr. Cheikh Tidiane Thiongane : Permettez-moi dans mon entame de rendre un vibrant hommage tout le personnel de santé du pays pour le sacrifice énorme consenti et le dévouement dont ils ont fait montre dans la lutte contre le Coronavirus. La pandémie du COVID-19 a surpris plus d'un. Le virus a franchi les frontières avec la vitesse de l'éclair provoquant un chamboulement dans les meilleurs systèmes de santé au monde. La subite augmentation de la demande en médicaments et en matériel médical a entraîné des ruptures de stocks à certains niveaux de la chaîne d'approvisionnement. En ce qui concerne la Mauritanie, les médicaments de première ligne n'ont pas connu de rupture totale chez les distributeurs locaux. Pour le consommable médical à proprement parler, il faut remarquer qu'une certaine communication abusive et inappropriée a conduit à un rush inexplicable dans les officines pour achat de masque chirurgicaux, de gel hydroalcoolique et même de chloroquine et d'Hydroxychloroquine, d'où les ruptures constatés à une certaine période. Il faut se féliciter néanmoins de la vigilance des autorités sanitaires qui ont pris des dispositions idoines pour maintenir des stocks de sécurité notamment à la CAMEC pour répondre à l'urgence de l'heure.
À mon avis la prise en charge précoce de la gestion de l'épidémie, l'anticipation des mesures barrières, des dispositions administratives et sécuritaires ont permis au pays de cerner le mal et le contenir assez tôt. Seulement il faut éviter le relâchement et le triomphalisme prématuré, pour éviter l'installation d'une deuxième vague de l'épidémie. Faudrait-Il aussi que les responsables de la santé établissent une évaluation pragmatique en toute objectivité de la situation nationale et proposer des solutions structurelles aux difficultés rencontrées pendant cette période.
1. Une amélioration des plateaux techniques à toutes les stations de la pyramide sanitaire.
2. La formation continue des professionnels de santé et de meilleures conditions de travail dans les structures de santé. La formation de spécialistes dans certains secteurs encore déficitaires. La recherche médicale et la publication des travaux et des échanges avec tous les réseaux de recherche du monde. Certes des efforts réels sont constatés, cependant il reste encore à faire.
3. Le redéploiement harmonieux du personnel médical sur l'étendue du territoire national. La Mauritanie ne manque pas de compétences pour la prise en charge de la santé de ses populations, des enseignements doivent être tirés de cette douloureuse expérience pour franchir un pas de plus vers le progrès.
Comme beaucoup de pays en développement, la Mauritanie ne dispose pas d’infrastructures de fabrication de médicaments. Comment assure-t-elle aujourd’hui l’approvisionnement de ses établissements publics (hôpitaux, dispensaires …) et les nombreuses officines de pharmacies privées ?
-Sur l'approvisionnement médico-pharmaceutique, le pays est encore totalement dépendant de l'importation.
1. La CAMEC, pour les structures publiques, détient le monopole sur certaines molécules;
2. Les Grossistes privés qui assurent la distribution au niveau des officines et des dépôts privés.
À dire vrai les ruptures sont récurrentes, et il urge de trouver des solutions définitives à la fourniture de médicaments et de consommables médicaux.
La production locale de certaines préparations doit être sérieusement envisagée. Elle permet:
1. Une meilleure disponibilité de molécules de première nécessité.
2. Une réduction du coût de ses molécules;
3. Une éradication du trafic de faux médicaments;
4. Une réduction des importations de médicaments;
5. Des emplois pour les jeunes diplômés;
6. Couverture de la sous-région pour certaines catégories de médicaments.
Cette production peut dans un premier temps se limiter à des classes thérapeutiques figurant dans le système:
- les solutés massifs;
- le paracétamol;
- l'amoxicilline et antibiotiques du système;
- anti diarrhéiques, antiparasitaires;
- solutions antiseptiques, etc.
Aujourd'hui le gel ou la solution hydroalcoolique et les masques peuvent être fabriqués sur place si les matières premières sont disponibles. Ce qui pouvait réduire de façon drastique les coûts de ces derniers.
Le Ministère et la Direction de la Pharmacie et des Laboratoires sont dans une logique de changement du secteur pharmaceutique, ce qui est le souhait des professionnels et des populations. Ce changement nécessite néanmoins du temps et des dispositions applicables au contexte local par étape et une association des organisations professionnelles du médicament.
La volonté politique est réelle, l'espoir d'un changement est autorisé.
-Quel rôle ont joué les pharmaciens dans la prise en charge de la pandémie du COVID-19 ? Disposaient-ils de produits de première urgence, comme les masques et les tests et gèles hydroalocooliques, par exemple ?
-La contribution des pharmaciens ne peut se limiter à la fourniture de gel hydroalcoolique et de masques. Les pharmaciens sont des professionnels de santé qui ont des responsabilités et des devoirs vis à vis des populations. Ils ont participé à la sensibilisation contre le coronavirus sur le terrain parce que plus proches de la base et très écoutés d'une manière générale.
Comme dit précédemment, les ruptures en matériel nécessaire pour les mesures barrières (gants, masques et gels) étaient inévitables dans les officines. Ils ont aussi dénoncé la spéculation inhumaine de ces produits sur le marché. Il faut en féliciter les services du ministère de la Santé par la DPL qui ne manqueront pas de sanctionner la cupidité de certains de ces acteurs. J'approuve aussi les actions discrètes mais efficaces des collègues dans les zones les plus déshéritées du fait du confinement et du couvre-feu. Le pharmacien est un acteur social qu'il convient de connaître et de reconnaitre.
-Que pensez-vous de l’utilisation de l’hydroxychloroquine et l’azithromicyne pour traiter le COVID 19 et de la controverse qu’elle a suscitée au sein des spécialistes malgré des résultats encourageants enregistrés un peu partout?
-Il faut rappeler que nous sommes en présence d'une urgence. Dans un état de guerre sanitaire, la procédure scientifique exigée pour la validation d'un protocole thérapeutique ne peut être tenue avec la même rigueur. La chloroquine n'est pas une nouvelle molécule. Elle a été utilisée pendant des décennies dans le traitement préventif et curatif du paludisme et des pathologies rhumatismales autre autres.
Cette nouvelle indication dans la prise en charge des pathologies virales n'est pas nouvelle non plus. À mon avis, la balance bénéfice/ risque est en faveur des bénéfices selon les différents auteurs. Toutefois une autorisation du ministère est obligatoire pour sa prescription médicale dans cette optique.
Le respect des précautions d'emploi et le traitement sous surveillance médicale demeurent obligatoire.
C'est une occasion pour dénoncer l'automédication et la délivrance tout azimut en pharmacie ces derniers temps. De toutes les façons, l'hydroxychloroquine (PLAQUENIL) n'est jamais indiquée à titre préventif. Ainsi pour lutter contre l'automédication, sa délivrance doit être soumise à la présentation d'une prescription médicale stricte. Le plus grand dommage de cette automédication demeure la rupture de stock au détriment des malades de rhumatologie et de dermatologie en traitement longue durée.
Ce traitement est d'ailleurs en expérimentation clinique dans plusieurs pays au même titre que d'autres molécules susceptibles de proposer des solutions essentielles pour l'éradication de la maladie.
-On entend souvent certains médecins et pharmaciens parler de médicaments d’origine ou de produits français qui seraient plus efficaces et donc plus chers, comme on entend également parler de médicaments génériques. Qu’est-ce qui fait leur différence?
-L'efficacité d'une spécialité pharmaceutique n'est pas fonction de son origine géographique ou bien de son coût. Ce qui est différent du médicament d'origine d'une substance médicamenteuse.
Le princeps correspond à la première spécialité de cette substance fabriquée par un laboratoire déterminé. On peut parler de médicaments d'origine. Dans ce sens tous les médicaments ne sont pas d'origine Française. Cette mentalité très répandue dans toutes les couches sociales de Mauritanie doit être combattue. Elle ne reflète aucune vérité scientifique. Le pays dispose d'un laboratoire de contrôle de la qualité des médicaments et de la DPL pour la traçabilité de tous les médicaments importés. Cette idée entraîne une confusion malheureuse entre dénomination commune internationale (DCI) et nom de marque des médicaments. Un nom de marque correspond à une spécialité d'un laboratoire donné.
On ne peut pas et on ne doit pas prescrire un nom de marque Marocain et exiger la fabrication Française. À la limite demander le générique Français!
Une remarque, les patients Mauritaniens nous reviennent souvent avec des ordonnances de produits Indiens ou Maghrébins prescrits par des spécialistes de renommée mondiale.
Je termine par une question. Quelle est la nationalité d'un médicament dont le principe actif est Brésilien, les excipients viennent d'Inde, de Chine, de Roumanie, le contenant fabriqué en France et l'emballage assuré par une usine espagnole, et manufacturé en Allemagne?
IL FAUT AVOIR CONFIANCE EN SON MÉDECIN ET À SON PHARMACIEN.
-On apprend régulièrement, à travers les médias, la saisie puis l’incinération de produits pharmaceutiques introduits frauduleusement dans le pays et qui sont parfois vendus dans les pharmacies. Ces agissements ne contribuent-ils pas à décrédibiliser la profession ?
-Le Ministère de la santé par la direction des pharmacies et du laboratoire exerce périodiquement un contrôle dans les officines et dépôts pharmaceutiques privés pour des inspections inopinées dans le cadre de l'exercice de la profession. Il vérifie le respect du cadre légal de la vente de médicaments en Mauritanie et la stricte application de la loi pharmaceutique qui définit l'exercice de la profession pharmaceutique. Dans ce cadre les produits impropres à la consommation et autres médicaments n'ayant pas reçu d'agrément des autorités sanitaires pour la vente sur le territoire national sont systématiquement saisis et détruits. Il faut également signaler le caractère particulier du secteur pharmaceutique dans le pays.
La majorité des structures pharmaceutiques ne sont sous le contrôle direct et la propriété de pharmaciens. Une profession très mal connue dans le pays et souvent assimilée à un aspect purement mercantile, des vendeurs de comprimés et pire de simples distributeurs de médicaments en milieu hospitalier. Ce qu'il faut retenir, le pharmacien comme le médecin appartient au corps médical avec une spécification comme pour toutes les spécialités médicales. Il devient pharmacien à l'issue de longues études universitaires couronnées par la soutenance d'une thèse de Doctorat. Une profession honorable qui occupe une fonction stratégique dans tout système de santé.
Donc en aucun cas ces spécialistes du médicament, assermentés de surcroît ne peuvent et ne doivent être à l'origine de certaines pratiques nuisibles aux populations.
Le secteur pharmaceutique n'est pas un monopole du pharmacien mais plutôt un secteur libéralisé. Dès lors les collègues ne peuvent être les coupables désignés du manque de confiance des populations. Je me permets de féliciter les nouvelles autorités sanitaires qui ont ouvert un champ d'application de la législation et des réformes idoines pour remettre de l'ordre dans le secteur. Une occasion pour exprimer notre gratitude au ministre de la santé qui ne ménage aucun effort pour la réforme du secteur pharmaceutique. L'ordre et les associations professionnelles doivent être impliqués davantage pour une meilleure application des directives gouvernementales et le respect des dispositions.
Le secteur pharmaceutique est un des leviers indispensables dans un système de santé efficace et efficient.
-Depuis bientôt 9 mois, le ministère de la santé entreprend de mettre de l’ordre dans le secteur de la pharmacie. Les officines sont désormais obligées de respecter, entre autres conditions, une certaine distance par rapport aux structures de santé. Comment le pharmacien que vous êtes a-t-il accueilli cette décision? Peut-elle permettre d’assainir le secteur ? Sinon, que faudrait-il faire d’autre ?
-L'assainissement du secteur pharmaceutique est une condition sine qua none pour l'émergence d'un système de santé qui réponde aux besoins des populations. Un bon diagnostic constitue le socle d'une bonne thérapeutique. Les meilleurs médecins au monde ne peuvent soulager ou soigner leurs patients sans médicaments efficaces. Le secteur pharmaceutique est le maillon faible de notre système de santé. Il faut l'admettre, et soutenir les efforts des autorités pour y mettre de l'ordre. En amont, la problématique doit être exposée avec rigueur et stratifiée en fonction des priorités de l'heure. La distanciation des officines privées est une des solutions surtout pour endiguer la concurrence sauvage constatée et favoriser l'application de l'homologation des prix des médicaments. Seulement certains problèmes demeurent récurrents. À mon humble avis, la restructuration du secteur doit passer par une plus grande responsabilisation des pharmaciens.
La libéralisation a entraîné les fonctions de pharmaciens directeurs techniques dans les officines, et les grossistes. Celles-ci ne sont pas encore garanties et encadrées par une réglementation rigoureusement suivie et contrôlée.
Il faut je pense définir un statut du directeur technique, définir ses prérogatives, ses responsabilités, et son traitement dans l'entreprise. Le Directeur technique étant l'interlocuteur des services techniques, doit pouvoir assurer et assumer des décisions et les faire exécuter au sein de la structure.
Généralement, le Directeur technique est juste considéré comme une justification administrative et juridique en cas de contrôle. Ce sont des meubles pour la décoration réglementaire de l'entreprise. Ce phénomène doit être inversé par une législation ou une nouvelle réglementation dans la loi pharmaceutique où une ébauche est déjà présentée sans suivi effectif. La liste des failles est connue des professionnels, cependant leur résolution doit se faire par étape. Personnellement je fais encore confiance à l'équipe qui pilote ces changements et la soutient. Il ne saurait en être autrement d'ailleurs car je suis un professionnel, je vis de ma profession et je ne souhaite pas une dénaturation de son exercice. Déjà les premières mesures ont fini de faire leurs preuves et les inspections coordonnées ont semé le doute dans la tête des contrevenants abonnés aux actes délictueux. Une fierté pour nous tous. L'étouffement du secteur connaît un relâchement dans toutes les structures administratives du pays. BRAVO Monsieur le ministre. On s'attend à une poursuite de l’œuvre incha Allah. L'espoir est permis.
-Que pensez-vous de l’harmonisation des tarifs des médicaments au niveau national ? Peut-elle permettre aux patients d’accéder aux médicaments de qualité et à des prix abordables ?
-L'homologation des prix du médicament permet de maîtriser la concurrence malsaine et une réduction contrôlée du coût des médicaments dans le pays. Le franco-port est une pratique universelle dans le milieu pharmaceutique. En dehors du coût du transport, le prix de revient du médicament doit être le même sur l'ensemble du territoire national. La vraie question s'est la disponibilité de médicaments de qualité à des coûts abordables pour les populations.
POUR TERMINER, J'ATTIRE L'ATTENTION SUR LA DANGEROSITÉ DU CORONAVIRUS. LE TEMPS N'EST PAS AU RELÂCHEMENT. LES MESURES GOUVERNEMENTALES DOIVENT ÊTRE RIGOUREUSEMENT SUIVIES.
Le virus qui continue sa mutation et l'hypothèse d'une immunité reste peu fiable. Les chercheurs parlent encore d'anticorps immunisants pour une période réduite.
Donc la riposte est dans une phase où la mobilisation de tous et de toutes demeure plus qu’indispensable. Les restrictions demeurent nécessaires pour la lutte contre le coronavirus. SUIVRE LES RESTRICTIONS IMPOSÉES PAR LES AUTORITÉS. DISTANCIATION SOCIALE. CONFINEMENT. GESTES BARRIÈRES.
ÉVITER LES FAKES NEWS ET LES DISTILLEURS DE FAUSSES INFORMATIONS.
QU'ALLAH NOUS PROTÈGE ET SAUVE LA MAURITANIE.
Propos recueillis par Dalay Lam
lecalame.info