- De la peine capitale à la libération
Ould Mkhaitir a en fin de compte échappé à la peine de mort. Jusqu’ici, du moins. Pourtant, la cour criminelle et la cour d’appel de Nouadhibou ont déjà, tour à tour, prononcé cette lourde peine à son encontre. Et là, ce Jeudi 9 novembre 2017, le jeune blogueur, à qui il est reproché d’avoir rédigé un article attentatoire au Saint Prophète, Paix et salut sur lui, voit sa peine réduite par la cour d’appel de Nouadhibou, autrement recomposée, à deux ans de prison et 60.000 Ouguiyas d’amende, seulement. Ce qui équivaut à une libération, l’intéressé ayant déjà purgé près de trois ans en détention.
Accueillie un peu partout en Mauritanie, avec un vaste mouvement de protestation, cette sentence a suscité de nombreuses manifestations de rue, avec leur cortège de barricades, de pneus brûlés, de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes, de blessés, d’échauffourées, de bris de vitres etc…
A Nouakchott, à Nouadhibou, comme dans une ou deux autres grandes villes, de nombreux manifestants réclamant la tête du prévenu, sont sortis après la prière du Vendredi pour vilipender le blogueur et cracher leur colère contre la justice qui, selon eux, n’a pas prononcé «la peine de mort prévue dans des cas pareils par les prescriptions de l’Islam, validées par le rite malékite». Ces manifs, dont des artères de la capitale portent encore de remarquables stigmates, avaient aussi parfois vu la participation de brigands mus par la volonté de profiter de la chienlit pour commettre des crimes et délits.
A regarder tout ça de près, on ne peut que relever certaines incohérences :
Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article.» Pourtant, ce code pénal a été élaboré en collaboration avec d’éminents oulémas mauritaniens dont les disciples sont ceux qui s’élèvent aujourd’hui avec véhémence contre la sentence prononcée jeudi.
Outre ces incohérences, il y a lieu de souligner que les derniers développements nés de l’affaire M’Khaitir ont produit une image dévoyée de la réalité mauritanienne. Les observateurs non avertis, ceux qui ne sont pas au fait des subtilités de la société mauritanienne, pourraient facilement croire que le peuple mauritanien n’est pas tolérant, voire qu’il est foncièrement violent et fanatique et que le pouvoir du général Abdelaziz est l’unique et incontournable rempart contre l’extrémisme rampant. Or, tout cela n’est pas totalement vrai : si certains peuvent déceler des relents extrémistes ici ou là parmi les manifestants, l’écrasante majorité de ceux qui battent aujourd’hui le macadam faisait partie des manifestants chaleureusement accueillis en 2014 par le président Abdelaziz devant les grilles du palais présidentiel et devant lesquels il s’était engagé à appliquer la loi dans toute sa rigueur, en ce qui concerne ce dossier.
Floués par les lourdes condamnations en cour criminelle et en cour d’appel, ces manifestants ont jugé provocatrice la sentence du jeudi portant réduction excessive et brutale de la peine retenue pour sanctionner ce prévenu poursuivi pour un sacrilège ayant heurté la conscience de plus de deux milliards de musulmans.
La réaction de la foule à cette sentence a été proportionnelle au choc. Mais à l’heure qu’il est, il y a eu un calme précaire consécutif surtout au pourvoi en cassation qui a fait l’objet d’un grand renfort de publicité mais qui sera, tout compte fait, sans grands effets. Attendons la suite.
Ely Abdalla
source lecalame.info