Quasiment toujours conséquence, en d’autres pays, d’une extrême pauvreté où l'individu est réellement ou se croit incapable d'assurer sa subsistance quotidienne, notamment en raison d'une maladie chronique ou d'un handicap physique, la mendicité n’est pas, en Mauritanie, soumise à ce seul critère. Il y existe bel et bien des gens bien portants qui y recourent afin tout simplement de collecter de l’argent sans effort.
Une culture de la mendicité que certains poètes n’ont pas manqué de consolider depuis les temps les plus anciens, comme en témoigne notre histoire littéraire, en couvrant d’éloges intéressés les chefs de tribu et de religion, les dignitaires et autres guerriers variablement valeureux dans les faits. Puis, lorsque l'homme s'est déplacé du désert aux cités et que les liens familiaux se sont affaiblis, les places publiques, mosquées, carrefours routiers et marchés sont devenus des espaces appropriés pour l'épanouissement de la culture du gain facile, dans sa forme et méthodologie actuelles adaptées à la réalité de la ville.
Riches mendiants
Il n'est plus possible d’établir une distinction entre ceux qui sont contraints de mendier à cause de leur pauvreté, et ceux qui y recourent dans le seul but d’amasser de l'argent et de s'enrichir rapidement. À Nouadhibou, c’est à divers titres et slogans que la mendicité a envahi la rue. Dimension religieuse, tout d’abord, exploitant les rassemblements des gens dans les mosquées. Dès la fin de chaque prière, des dizaines de mendiants se lèvent, appelant à diverses causes, construction d'une mosquée ou soins médicaux, par exemple.
Certaines organisations qui prétendent se vouer à des œuvres caritatives, notamment la prise en charge d’orphelins et d’infortunés en besoins spécifiques, s’avancent même à se prévaloir abusivement de recommandations d’autorités religieuses. La mendicité a ses secrets que seuls les mendiants peuvent révéler. Sont même parfois obligés de taire : impossible en effet à qui s’est ainsi improprement enrichi d’exposer les faits et détails de ses revenus. Il existe bel et bien de riches mendiants possesseurs de biens immobiliers et de taxis qui n’en prétendent pas moins être pauvres et sans ressources.
Errant d'un endroit à l'autre, la plupart des mendiants de Nouadhibou préfèrent généralement les rues bondées de piétons. Quelques-uns d'entre eux stationnent en des zones particulièrement prolifiques en raison des fortes affluences qu’elles attirent. Au point de devenir objet de monopole pour certains de ces quémandeurs qui peuvent alors s’autoriser à louer leur place à un autre.
Où en est l'État ? Où en sommes-nous, chacun d’entre nous ?
L'État a commencé à traiter ces réalités à partir de 2020. Un projet de lutte contre la mendicité s’est alors formé autour d’un comité regroupant, sous l’égide du ministère de l'Intérieur, diverses institutions : les ministères de la Santé, des Affaires sociales et de l'Orientation islamique, le secrétariat d'État chargé de la lutte contre l'analphabétisme et de l'éducation originale, les commissions de la Sécurité alimentaire, des droits de l'Homme, de la lutte contre la pauvreté et de l'insertion. Le Comité des mosquées et des sanctuaires a supervisé la coordination des travaux entre ces secteurs. Mais, si l'État lui a alloué un budget conséquent et a reçu un grand soutien médiatique, le projet est malheureusement entré dans un tourbillon de déplacements d'un secteur gouvernemental à l'autre, ce qui a amené certains à se poser des questions.
L'échec de notre génération a atteint un niveau honteux. Posons-nous chacun la question : à quel point penchons-nous pour les choses toutes faites qui nous demandent le moins d'efforts possible ? N’est-ce pas le peu d’entrain de l’État à développer des opportunités d'emploi qui pousse les chômeurs à chercher un moyen de subsistance par tous les moyens dont le plus simple est la mendicité ? Quelle est notre part de responsabilité, parents, quand nous nous révélons incapables d'élever correctement nos enfants pour en faire des personnes responsables et ambitieuses, prêtes à vivre et à se battre pour atteindre de nobles objectifs, plutôt que de céder au désespoir et de suivre la plus courte et la moins coûteuse voie, en termes d'efforts et de temps ?Ou faut-il se contenter d’imputer l'échec du système éducatif, devenu énorme fabrique de chômeurs au lieu de produire des énergies capables de s'adapter au marché du travail, créatives et soucieuses d'exploiter toutes les opportunités de gravir les échelons du succès ?
L’inacceptable
Ce que je ne peux accepter, c'est la mendicité d’hommes en bonne santé. J’en vois trop, cela me blesse et je ne peux l'expliquer. Bien sûr, nous acceptons généralement les mendiants et les aidons lorsqu'il s'agit de personnes âgées ou en besoins spéciaux car nous sommes tous bien conscients de l’effroyable manque de projets et de lois pour protéger les uns et les autres. Nous admettons que l'injustice et l'ignorance affligent ces personnes et que la désinvolture de la société à leur égard contribue à propager la mendicité. Oui, nous sommes tous responsables de cette situation.
Je peux aussi être parfois enclin à accepter la mendicité de femmes en bonne santé et de leurs enfants en cette tâche « pénible », même si j’enrage de voir une mère poussant sa progéniture à mendier, profitant de son jeune âge et de son corps chétif pour attirer la compassion des gens dans la rue. J’ai, de la maternité, une plus haute et profonde considération. Je la pressens noble et fort sentiment poussant la maman à prier jour et nuit, travailler dur et dur pour faire vivre ses petits. Et non pas à exhiber leurs petits corps frissonnant dans les jours de grand froid ou sous le soleil brûlant afin d’éveiller la pitié des passants.
Comment y remédier ?
La mendicité n'est pas le résultat d'un seul facteur, elle est la résultante de plusieurs dont le traitement nécessite une réflexion pertinente dans un système intégré pour atteindre le résultat souhaité. On commencera ici par souhaiter que notre État s’applique à y faire face sur la base des orientations générales de notre religion. Cela nécessite de prendre des mesures simultanément efficaces pour la prévenir, avant qu'elle ne se produise, et la combattre, sitôt qu’elle apparaît. On entendra ici l’importance primordiale qu’il convient de donner à la répartition de l’argent. Lorsque la compassion et l’empathie se manifestent dans la société, l'écart entre les pauvres et les riches se réduit, les graines de la sécurité sociale et la prévention de nombreux crimes motivés par le besoin et la pauvreté sont à même de germer.
Voilà qui place la zakat en moteur de la sécurité des conditions sociales, économiques et sécuritaires. Il s’agit de la bien activer et mettre en œuvre, conformément aux dispositions de la Chari’a. Troisième pilier de l’islam, après la shahada et la salat, la zakat est un devoir non négociable et juste personnalisé le temps de son calcul – 2,5% des revenus annuels de chacun – afin que nul ne puisse s’arroger un profit quelconque de sa contribution. Les revenus de cet impôt religieux doivent en priorité subvenir aux besoins des familles pauvres, élever leur niveau scientifique et sanitaire, alléger la charge de l'État dans ces tâches. Et bien d’autres formes de contribution restent encore à promouvoir en cet esprit spécifiquement musulman de l’entraide sociale.
Outre les legs, dons, aumônes et autres expiations qui contribuent à accroître l'interdépendance et la solidarité entre les membres de la société, on peut imaginer une base spécifique et hautement sécurisée de données relatives aux familles pauvres, intégrant toutes les informations économiques et sociales sur chaque membre d’entre elles, afin que l'aide, en espèces et/ou nature, puisse être dirigée sur une base mensuelle, récurrente, d'urgence ou exceptionnelle. On prendra tout particulièrement soin des bidonvilles, en en élevant le niveau de services et d’infrastructures, en y étendant le rôle de l'assistance sociale et en mettant en œuvre des programmes pour occuper le temps libre des enfants, des jeunes, des femmes et des personnes âgées. Bref, une véritable gestion de la proximité, en plein respect du Droit du voisin dont Mohamed (PBL) s’appliqua si souvent à rappeler la primauté dans l’établissement d’une société pacifiée… (À suivre)
Cheikh Ahmed ould Mohamed
Ingénieur
Chef du service Études et Développement
Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)
lecalame