Le collège des avocats, mauritaniens et français, assurant la défense des treize sénateurs et sénatrices, des quatre journalistes, des deux syndicalistes et des trois opérateurs économiques, inculpés de corruption active et/ou passive, dans l’affaire dite « treize sénateurs et consorts», a déposé, la semaine dernière, devant le Pôle de lutte contre la corruption une requête tendant à clore le dossier par un non-lieu général pour toutes les personnes citées dans cette procédure Aussi simple que claire, l’argumentation y est développée selon un processus des plus classiques : après un rappel de la procédure mettant en évidence divers vices de forme – notamment l’arbitraire de l’arrestation d’Ould Ghadda et l’accomplissement des différents actes de procédure , un vendredi, le jour même de l’Aïd, jour on ne peut plus férié, en Mauritanie – le collectif s’est attaché à démontrer qu’après plus de six mois d’instruction, aucun des « éléments constitutifs des infractions » n’a été établi, […] aucun élément matériel nouveau à charge versé au dossier », à tel point que « les accusations premières [crimes transfrontaliers, ndr] ont été abandonnées ».
Notant que le réquisitoire du ministère public se résume, aujourd’hui, aux accusations de « corruption d’agents publics nationaux » et de «corruption dans le secteur privé », les avocats s’appliquent alors à rappeler le cadre légal de la corruption, en chacun de ces deux cadres. « Passive, quand elle est du fait du corrompu ; active, quand elle est du fait du corrupteur », la corruption se caractérise par « un abus de fonctions » – publiques, pour ce qui est des agents publics nationaux ; professionnelles, en ce qui concerne le secteur privé – « au détriment de l’État, d’un organisme autonome, d’une institution indépendante, d’une collectivité gouvernementale, d’une fondation, d’une entreprise privée ou d’un individu ».
Dans tous les cas, l’élément matériel prouvant la corruption est « l’existence d’une offre ou d’une promesse », en ce qui concerne le corrupteur, et, l’acceptation, par le corrompu, de cette offre ou de cette promesse. Et, encore faut-il, à l’accusation, démontrer « l’existence d’un lien de causalité » entre celles-ci et « l’accomplissement au détriment de la collectivité, entité publique ou privée, de l’acte abusif ». Des opérateurs économiques auraient ainsi versé de l’argent à des sénateurs, à des journalistes et à des syndicalistes.
Mais, si les éventuelles preuves de tels versements pouvaient être établies, en quoi ces avantages seraient-ils indus, voire illicites ; où se situerait « l’abus » de fonctions susceptible de leur être associé? Quels abus ? Le Ministère public croit détenir la réponse, en ce qui concerne les sénateurs : avoir exercé leur droit de vote contre les modifications de la Constitution présentées et défendues par le gouvernement.
Et la défense de s’étonner : le devoir des parlementaires n’est-il pas justement de se prononcer, personnellement, en leur âme et conscience, sur les textes soumis à leur jugement ? Leur droit de vote, positif, neutre ou négatif, n’est-il pas strictement personnel ? Est-ce si étonnant que seuls douze sénateurs, sur les cinquante-six que compte la Haute Chambre, aient voté en faveur de la suppression de leur propre assemblée ? En dépit du résultat du referendum, « trente-cinq d’entre eux ont choisi de continuer à siéger, bien que l’accès au bâtiment leur soit interdit et leurs sit-in réprimés par les autorités : […] est-ce la marque d’élus corrompus ? » Pour ce qui est des journalistes et des syndicalistes, quels sont les actes accomplis ou inaccomplis « en violation de leurs devoirs » – cf. l’article 7 de la loi n°2016.14 – susceptibles de soutenir la thèse de la corruption ?
La défense de la liberté d’expression et des droits des travailleurs ? Et le collectif des avocats de marteler : « En réalité, les journalistes et syndicalistes ont constamment agi conformément à leurs fonctions, leurs mandats et leur éthique. Les journalistes ont poursuivi leur activité médiatique […], les syndicalistes […] la défense de leur adhérents, [bien que les uns et les autres aient vu leur activité] fortement perturbée par les mesures de contrôle judiciaire dont ils font l’objet ». On entend bien le filigrane : qui abuse donc, aujourd’hui, de son pouvoir et de ses fonctions ? Quel illicite ?
Avant de conclure sur un rappel général des engagements de l’État mauritanien à protéger les libertés publiques –notamment en matière d’expression, de réunion, d’association, de commerce, de dons ou donations – engagements soutenus auprès de nombreux États dont ceux de la Francophonie, de l’Union Européenne et de l’Union Africaine , le collectif des avocats n’a pas manqué d’insister sur « l’absence, [en toute cette affaire, ndr], d’une quelconque offre d’avantage illicite », matériel ou financier.
Et de rappeler que « la loi mauritanienne ne sanctionne pas le financement de partis politiques ». Le président de la République n’a-t-il pas fait lui-même appel à des opérateurs économiques, pour financer ses campagnes électorales, notamment celles de 2009, auprès de Mohamed Bouamatou ? « Une pratique répandue », tenait même à souligner le chef de l’État, dans sa récente interview à Jeune Afrique…
Quant au financement de la presse écrite et des organisations syndicales, s’il « n’existe aucune loi mauritanienne [le] réglementant », c’est précisément grâce aux « subventions et dons de la part de mécènes et philanthropes » que l’une et les autres peuvent accomplir leurs missions. « Un moyen parfaitement légal de les aider […], surtout dans un pays où la presse indépendante est particulièrement fragile ». En peu de mots, voilà la thèse de l’accusation réduite à néant.
Pire : retournée contre l’accusateur. Dire le droit, tout simplement… Nul besoin, en effet, d’un dossier de mille pages, ni même cent, ni même dix, pour reconnaître l’évidence : « l’ensemble des personnalités poursuivies dans le cadre de ladite information judiciaire, […] toutes de statuts très distincts les unes des autres, [n’ont en commun que] d’avoir chacune, dans le domaine qui est le sien, professionnel ou politique, manifesté un désaccord public avec la réforme constitutionnelle soumise à referendum.
Or elles n’ont fait qu’exercer leurs libertés, garanties [et] protégées par l’article 10 de la Constitution et les conventions internationales auxquelles la Mauritanie a adhéré. […] Le Ministère public opère une confusion dangereuse, entre une infraction de droit commun – la corruption – et […] la manifestation publique de convictions et d’engagements politiques ; c’est-à-dire, entre un délit et un droit, ce qui revient à nier le droit ».
« Nous sommes, ici », pose calmement le collège des Avocats « au cœur même de la définition d’une démocratie soucieuse de respecter ses valeurs, consistant à opérer une distinction, nette et définitive, entre les oppositions politiques, l’estime et le respect qui doivent entourer toute expression publique, même divergente. […]
Aussi nous vous demandons, messieurs les juges, de bien vouloir ordonner la clôture de l’information de cette procédure qui n’a que trop duré, sans que le Parquet ne présente des éléments à sa charge contre les inculpés ; déclarer qu’il n’y a point, en l’occurrence, d’infraction à la loi ; prononcer un non-lieu général, pour l’ensemble des inculpés ; et ordonner la mise en liberté immédiate du sénateur Mohamed ould Ghadda. » Les avocats seront-ils entendus ?
Le droit prévaudra-t-il aux contingences politiques ? Les jeunes juges mauritaniens, ayant en charge ce dossier seront-ils, contrairement à leurs ainés, capables de dire « Non » au procureur de la République dans une affaire strictement politique ? Des questions que les mauritaniens se posent en grande majorité, non sans angoisse.
Ben Abdalla
source lecalame.com
Notant que le réquisitoire du ministère public se résume, aujourd’hui, aux accusations de « corruption d’agents publics nationaux » et de «corruption dans le secteur privé », les avocats s’appliquent alors à rappeler le cadre légal de la corruption, en chacun de ces deux cadres. « Passive, quand elle est du fait du corrompu ; active, quand elle est du fait du corrupteur », la corruption se caractérise par « un abus de fonctions » – publiques, pour ce qui est des agents publics nationaux ; professionnelles, en ce qui concerne le secteur privé – « au détriment de l’État, d’un organisme autonome, d’une institution indépendante, d’une collectivité gouvernementale, d’une fondation, d’une entreprise privée ou d’un individu ».
Dans tous les cas, l’élément matériel prouvant la corruption est « l’existence d’une offre ou d’une promesse », en ce qui concerne le corrupteur, et, l’acceptation, par le corrompu, de cette offre ou de cette promesse. Et, encore faut-il, à l’accusation, démontrer « l’existence d’un lien de causalité » entre celles-ci et « l’accomplissement au détriment de la collectivité, entité publique ou privée, de l’acte abusif ». Des opérateurs économiques auraient ainsi versé de l’argent à des sénateurs, à des journalistes et à des syndicalistes.
Mais, si les éventuelles preuves de tels versements pouvaient être établies, en quoi ces avantages seraient-ils indus, voire illicites ; où se situerait « l’abus » de fonctions susceptible de leur être associé? Quels abus ? Le Ministère public croit détenir la réponse, en ce qui concerne les sénateurs : avoir exercé leur droit de vote contre les modifications de la Constitution présentées et défendues par le gouvernement.
Et la défense de s’étonner : le devoir des parlementaires n’est-il pas justement de se prononcer, personnellement, en leur âme et conscience, sur les textes soumis à leur jugement ? Leur droit de vote, positif, neutre ou négatif, n’est-il pas strictement personnel ? Est-ce si étonnant que seuls douze sénateurs, sur les cinquante-six que compte la Haute Chambre, aient voté en faveur de la suppression de leur propre assemblée ? En dépit du résultat du referendum, « trente-cinq d’entre eux ont choisi de continuer à siéger, bien que l’accès au bâtiment leur soit interdit et leurs sit-in réprimés par les autorités : […] est-ce la marque d’élus corrompus ? » Pour ce qui est des journalistes et des syndicalistes, quels sont les actes accomplis ou inaccomplis « en violation de leurs devoirs » – cf. l’article 7 de la loi n°2016.14 – susceptibles de soutenir la thèse de la corruption ?
La défense de la liberté d’expression et des droits des travailleurs ? Et le collectif des avocats de marteler : « En réalité, les journalistes et syndicalistes ont constamment agi conformément à leurs fonctions, leurs mandats et leur éthique. Les journalistes ont poursuivi leur activité médiatique […], les syndicalistes […] la défense de leur adhérents, [bien que les uns et les autres aient vu leur activité] fortement perturbée par les mesures de contrôle judiciaire dont ils font l’objet ». On entend bien le filigrane : qui abuse donc, aujourd’hui, de son pouvoir et de ses fonctions ? Quel illicite ?
Avant de conclure sur un rappel général des engagements de l’État mauritanien à protéger les libertés publiques –notamment en matière d’expression, de réunion, d’association, de commerce, de dons ou donations – engagements soutenus auprès de nombreux États dont ceux de la Francophonie, de l’Union Européenne et de l’Union Africaine , le collectif des avocats n’a pas manqué d’insister sur « l’absence, [en toute cette affaire, ndr], d’une quelconque offre d’avantage illicite », matériel ou financier.
Et de rappeler que « la loi mauritanienne ne sanctionne pas le financement de partis politiques ». Le président de la République n’a-t-il pas fait lui-même appel à des opérateurs économiques, pour financer ses campagnes électorales, notamment celles de 2009, auprès de Mohamed Bouamatou ? « Une pratique répandue », tenait même à souligner le chef de l’État, dans sa récente interview à Jeune Afrique…
Quant au financement de la presse écrite et des organisations syndicales, s’il « n’existe aucune loi mauritanienne [le] réglementant », c’est précisément grâce aux « subventions et dons de la part de mécènes et philanthropes » que l’une et les autres peuvent accomplir leurs missions. « Un moyen parfaitement légal de les aider […], surtout dans un pays où la presse indépendante est particulièrement fragile ». En peu de mots, voilà la thèse de l’accusation réduite à néant.
Pire : retournée contre l’accusateur. Dire le droit, tout simplement… Nul besoin, en effet, d’un dossier de mille pages, ni même cent, ni même dix, pour reconnaître l’évidence : « l’ensemble des personnalités poursuivies dans le cadre de ladite information judiciaire, […] toutes de statuts très distincts les unes des autres, [n’ont en commun que] d’avoir chacune, dans le domaine qui est le sien, professionnel ou politique, manifesté un désaccord public avec la réforme constitutionnelle soumise à referendum.
Or elles n’ont fait qu’exercer leurs libertés, garanties [et] protégées par l’article 10 de la Constitution et les conventions internationales auxquelles la Mauritanie a adhéré. […] Le Ministère public opère une confusion dangereuse, entre une infraction de droit commun – la corruption – et […] la manifestation publique de convictions et d’engagements politiques ; c’est-à-dire, entre un délit et un droit, ce qui revient à nier le droit ».
« Nous sommes, ici », pose calmement le collège des Avocats « au cœur même de la définition d’une démocratie soucieuse de respecter ses valeurs, consistant à opérer une distinction, nette et définitive, entre les oppositions politiques, l’estime et le respect qui doivent entourer toute expression publique, même divergente. […]
Aussi nous vous demandons, messieurs les juges, de bien vouloir ordonner la clôture de l’information de cette procédure qui n’a que trop duré, sans que le Parquet ne présente des éléments à sa charge contre les inculpés ; déclarer qu’il n’y a point, en l’occurrence, d’infraction à la loi ; prononcer un non-lieu général, pour l’ensemble des inculpés ; et ordonner la mise en liberté immédiate du sénateur Mohamed ould Ghadda. » Les avocats seront-ils entendus ?
Le droit prévaudra-t-il aux contingences politiques ? Les jeunes juges mauritaniens, ayant en charge ce dossier seront-ils, contrairement à leurs ainés, capables de dire « Non » au procureur de la République dans une affaire strictement politique ? Des questions que les mauritaniens se posent en grande majorité, non sans angoisse.
Ben Abdalla
source lecalame.com