Suite à ma précédente sur les accidents et Enquêtes, Mohamed S-B qui semble suivre le développement de l'affaire de l'avion ukrainien abattu par les iraniens me demande de l'éclairer sur la suite des enquêtes, sur les indemnisations et pourquoi les pilotes n'ont pas émis de message. A propos de l'enquête juridique, en recherche de responsabilité, je lui répondrais qu'elle est pour l'essentiel terminée dès lors que la responsabilité de l'accident est reconnue par les iraniens eux-mêmes. L'enquête technique, quant à elle, pourrait se poursuivre afin de tirer le maximum d'informations et d'enseignements possibles et susceptibles d'améliorer la sécurité aérienne.
Pour ce qui est de la non communication de l'équipage, il est important de savoir que quand une panne ou incident surviennent, la réaction de l'équipage suit impérativement dans l'ordre suivant:
1. FLY, Piloter l'avion, c'est en première priorité le mettre dans une situation contrôlée ( en attitude et en vitesse);
2. ensuite NAVIGATE, Naviguer, c'est diriger l'avion vers un terrain ou suivant un cheminement choisis en fonction des circonstances;
3. Seulement alors vient le moment du COMMUNICATE, Communiquer pour émettre des messages d'urgence, de secours ou d'information . Le temps pris par la communication avec le contrôleur aérien avant la stabilisation de l'attitude et de la trajectoire de l'avion sera au détriment de la sécurité de celui-ci et tout son environnement;
4. enfin, le Traitement de la panne. Quant aux indemnisations des victimes et de tous ceux qui auront subit un préjudice, je m'empresse de rappeler qu'il s'agit de questions éminemment juridiques et que, personnellement, je n'entends rien au droit.
Néanmoins, je peux apporter un certain nombre d'éléments qui, je l'espère, pourraient aider à comprendre ce genre de problématiques très complexes à démêler.
Dans le transport aérien international, il pèse sur le transporteur une présomption de responsabilité, hors la force majeure ou la faute inexcusable de la victime. La Convention de Varsovie (1929) a initialement limité cette responsabilité à 8 300 DTS (1 DTS = 1,315 $). Ce seuil avait été doublé par le protocole de La Haye (1955). En 1965, les USA trouvant ce niveau d'indemnisation non satisfaisant refusèrent ce plafonnement sur ou vers leur territoire et à tout citoyen américain. Et en 1966, sous leur l'impulsion, l'indemnisation avait été portée, à titre provisoire, à 75.000 $ par le Protocole de Montréal, sans limitation de responsabilité du transporteur, en attendant l'aboutissement du Protocole de Guatemala City qui était alors en discussion. Il en résulta le relèvement du seuil à 100.000 DTS. On le voit, le déplafonnement de la responsabilité était en marche, le consumérisme des passagers y poussant. Ainsi, l'Europe est passée à 320.000 € (1997), le Japon à 1.000.000 $, les USA à 3.000.000 $, puis à 9.000.000 $ après l'attentat de Lockerbie. Il faut préciser qu'un principe similaire d'indemnisation existe (protocoles 3 et 4 de Montréal) pour les dommages aux bagages (1000 DTS), le retard subi (4150 DTS) et le dommage aux marchandises (17 DTS par kg).
Rappelons-nous que des extraits de ces protocoles étaient étaient imprimés au verso des billets de voyage des passagers avant leur remplacement par les billets électroniques. J'ajoute que des assurances contractuelles garantissant des niveaux d'indemnisation plus élevés peuvent être convenues entre les parties lors de la finalisation du contrat de transport (l'achat du billet).
En matière de compétence juridictionnelle, le dispositif de Varsovie donne au voyageur le choix entre quatre juridictions: le tribunal du lieu d'achat du billet, le siège du transporteur, le siège d'un établissement principal du transporteur, le tribunal de la destination. L'accord de Miami, entré en vigueur le premier novembre 1996, a admis le principe d'une cinquième juridiction, le domicile. Miami ouvre aussi aux compagnies aériennes trois options: un accord américain, un accord européen et un accord pour le reste des compagnies du monde. Le choix de l'option, une fois fait, est définitif. Chacune de ces options garantit un niveau d'indemnisation qui se répercutera directement sur les primes d'assurance, ce qui peut conditionner le choix, surtout pour les petites compagnies.
Dans le cas qui nous concerne, personne à ce stade ne semble pouvoir envisager la faute inexcusable des passagers. Dès lors, les ayant-droits des victimes sont en droit de demander un niveau maximum d'indemnisation à la compagnie. Celle-ci, à travers les assurances, va se retourner contre l'État iranien qui va sans doute commencer par se défendre. Bataille d'avocats. A bord du vol de la compagnie ukrainienne avaient pris place des passagers de différentes nationalités. Comme pratiqué par toutes les compagnies aériennes, on peut parier sans risque de se tromper d'y trouver des passagers voyageant dans les mêmes classes, vers les mêmes destinations qui ont acheté des billets à des prix différents, suivant les tarifs appliqués à chacun, ceci par la magie du Yield Management ( appelé aussi Revenue Management, c'est une technique de gestion des capacités visant à avoir les meilleures recettes unitaires à travers l'optimisation des remplissages). Ces passagers peuvent aussi se trouver indemnisés différemment. Pourquoi?
L'indemnisation maximale à laquelle le passager peut prétendre est fonction de l'option choisie par la compagnie ukrainienne (Miami): un niveau haut pour l'option américaine, un niveau moindre pour l'européenne. Sinon, c'est le régime général pour tous les autres. Supposons que dans ce dernier cas un citoyen mauritanien figure parmi les victimes; au lieu des millions de dollars dans l'option américaine, ou de centaines de milliers d'euros pour l'option européenne, il pourrait prétendre à 100.000 DTS, à moins de se voir proposer les dispositions de la charia ( يةّد ْال .(Est-ce que ce n'est pas ainsi que les victimes de l'accident d'Air Mauritanie à Tidjikja avaient été indemnisées, encore qu'on était dans le cadre d'un transport domestique? Pour conclure, je peux dire à Mohamed S-B que les enquêtes techniques donnent généralement lieu à une coopération internationale, ce à quoi l'Iran ne semble pas avoir dérogé.
Quant aux indemnisations, il faut retenir que selon l'option choisie par la compagnie aérienne, les montants espérés varient entre plusieurs millions de dollars (jusqu'à 8 millions $, Lockerbie pour mémoire), 320.000 € pour l'option européenne avec versement immédiat d'un montant de 10 % dans les 10 jours (Règlement européen 2027/97 du 9/10/97) ou 100.000 DTS (131.500 $ ). Les ayant-droits des victimes peuvent bénéficier du privilège de la cinquième juridiction. De longues discutions entre les avocats des différentes parties sont en vue qui détermineront qui payera, combien et à qui, tandis que l'exploitation et la sécurité aériennes tireront d'importants enseignements de l'enquête technique. 17/01/2020.
Brahim Boihy.
Pour ce qui est de la non communication de l'équipage, il est important de savoir que quand une panne ou incident surviennent, la réaction de l'équipage suit impérativement dans l'ordre suivant:
1. FLY, Piloter l'avion, c'est en première priorité le mettre dans une situation contrôlée ( en attitude et en vitesse);
2. ensuite NAVIGATE, Naviguer, c'est diriger l'avion vers un terrain ou suivant un cheminement choisis en fonction des circonstances;
3. Seulement alors vient le moment du COMMUNICATE, Communiquer pour émettre des messages d'urgence, de secours ou d'information . Le temps pris par la communication avec le contrôleur aérien avant la stabilisation de l'attitude et de la trajectoire de l'avion sera au détriment de la sécurité de celui-ci et tout son environnement;
4. enfin, le Traitement de la panne. Quant aux indemnisations des victimes et de tous ceux qui auront subit un préjudice, je m'empresse de rappeler qu'il s'agit de questions éminemment juridiques et que, personnellement, je n'entends rien au droit.
Néanmoins, je peux apporter un certain nombre d'éléments qui, je l'espère, pourraient aider à comprendre ce genre de problématiques très complexes à démêler.
Dans le transport aérien international, il pèse sur le transporteur une présomption de responsabilité, hors la force majeure ou la faute inexcusable de la victime. La Convention de Varsovie (1929) a initialement limité cette responsabilité à 8 300 DTS (1 DTS = 1,315 $). Ce seuil avait été doublé par le protocole de La Haye (1955). En 1965, les USA trouvant ce niveau d'indemnisation non satisfaisant refusèrent ce plafonnement sur ou vers leur territoire et à tout citoyen américain. Et en 1966, sous leur l'impulsion, l'indemnisation avait été portée, à titre provisoire, à 75.000 $ par le Protocole de Montréal, sans limitation de responsabilité du transporteur, en attendant l'aboutissement du Protocole de Guatemala City qui était alors en discussion. Il en résulta le relèvement du seuil à 100.000 DTS. On le voit, le déplafonnement de la responsabilité était en marche, le consumérisme des passagers y poussant. Ainsi, l'Europe est passée à 320.000 € (1997), le Japon à 1.000.000 $, les USA à 3.000.000 $, puis à 9.000.000 $ après l'attentat de Lockerbie. Il faut préciser qu'un principe similaire d'indemnisation existe (protocoles 3 et 4 de Montréal) pour les dommages aux bagages (1000 DTS), le retard subi (4150 DTS) et le dommage aux marchandises (17 DTS par kg).
Rappelons-nous que des extraits de ces protocoles étaient étaient imprimés au verso des billets de voyage des passagers avant leur remplacement par les billets électroniques. J'ajoute que des assurances contractuelles garantissant des niveaux d'indemnisation plus élevés peuvent être convenues entre les parties lors de la finalisation du contrat de transport (l'achat du billet).
En matière de compétence juridictionnelle, le dispositif de Varsovie donne au voyageur le choix entre quatre juridictions: le tribunal du lieu d'achat du billet, le siège du transporteur, le siège d'un établissement principal du transporteur, le tribunal de la destination. L'accord de Miami, entré en vigueur le premier novembre 1996, a admis le principe d'une cinquième juridiction, le domicile. Miami ouvre aussi aux compagnies aériennes trois options: un accord américain, un accord européen et un accord pour le reste des compagnies du monde. Le choix de l'option, une fois fait, est définitif. Chacune de ces options garantit un niveau d'indemnisation qui se répercutera directement sur les primes d'assurance, ce qui peut conditionner le choix, surtout pour les petites compagnies.
Dans le cas qui nous concerne, personne à ce stade ne semble pouvoir envisager la faute inexcusable des passagers. Dès lors, les ayant-droits des victimes sont en droit de demander un niveau maximum d'indemnisation à la compagnie. Celle-ci, à travers les assurances, va se retourner contre l'État iranien qui va sans doute commencer par se défendre. Bataille d'avocats. A bord du vol de la compagnie ukrainienne avaient pris place des passagers de différentes nationalités. Comme pratiqué par toutes les compagnies aériennes, on peut parier sans risque de se tromper d'y trouver des passagers voyageant dans les mêmes classes, vers les mêmes destinations qui ont acheté des billets à des prix différents, suivant les tarifs appliqués à chacun, ceci par la magie du Yield Management ( appelé aussi Revenue Management, c'est une technique de gestion des capacités visant à avoir les meilleures recettes unitaires à travers l'optimisation des remplissages). Ces passagers peuvent aussi se trouver indemnisés différemment. Pourquoi?
L'indemnisation maximale à laquelle le passager peut prétendre est fonction de l'option choisie par la compagnie ukrainienne (Miami): un niveau haut pour l'option américaine, un niveau moindre pour l'européenne. Sinon, c'est le régime général pour tous les autres. Supposons que dans ce dernier cas un citoyen mauritanien figure parmi les victimes; au lieu des millions de dollars dans l'option américaine, ou de centaines de milliers d'euros pour l'option européenne, il pourrait prétendre à 100.000 DTS, à moins de se voir proposer les dispositions de la charia ( يةّد ْال .(Est-ce que ce n'est pas ainsi que les victimes de l'accident d'Air Mauritanie à Tidjikja avaient été indemnisées, encore qu'on était dans le cadre d'un transport domestique? Pour conclure, je peux dire à Mohamed S-B que les enquêtes techniques donnent généralement lieu à une coopération internationale, ce à quoi l'Iran ne semble pas avoir dérogé.
Quant aux indemnisations, il faut retenir que selon l'option choisie par la compagnie aérienne, les montants espérés varient entre plusieurs millions de dollars (jusqu'à 8 millions $, Lockerbie pour mémoire), 320.000 € pour l'option européenne avec versement immédiat d'un montant de 10 % dans les 10 jours (Règlement européen 2027/97 du 9/10/97) ou 100.000 DTS (131.500 $ ). Les ayant-droits des victimes peuvent bénéficier du privilège de la cinquième juridiction. De longues discutions entre les avocats des différentes parties sont en vue qui détermineront qui payera, combien et à qui, tandis que l'exploitation et la sécurité aériennes tireront d'importants enseignements de l'enquête technique. 17/01/2020.
Brahim Boihy.