Relayant une information plus surprenante qu’inattendue, le Journal en ligne 360Afrique.com du 9 Mars 2019 faisait état d’une énorme polémique en Mauritanie. À la Une de son actualité en effet, sur les réseaux sociaux, dans les salons et les transports en commun, tant urbains qu’interurbains, le débat faisait rage autour de deux milliards de dollars annoncés gelés dans une banque émiratie.
Toujours bédouins après soixante années d’étatisation, les Mauritaniens ont gardé cet étrange goût d’inventer une histoire de toutes pièces, puis d’en lancer la rumeur et d’en contempler les flammes, comme le pyromane qui met le feu à une forêt, monter et descendre le long de l’opinion publique. Les femmes du cru, qui se préparaient pour la fête du 8 Mars 2019, se virent ainsi dotées d’un savoureux cadeau : une nouvelle à colporter ! L’effet ne se fit pas attendre. Chargé par des batteries alcalines accumulatrices d’énergie solaire, le téléphone arabe fonctionna à merveille.
Les Mauritaniens sont au nombre de quatre millions. Mais, à raison d’au moins cent vingt colportages par personne, c’est quasiment cinq cent millions de versions de cette histoire qui s’employèrent à marteler qu’« Ould Abdel Aziz avait transféré, aux Émirats Arabes Unis, deux milliards de dollars et ce montant se retrouvait « gelé », à la demande du « gendarme américain », en attendant de mettre un nom sur le compte crédité de cette faramineuse somme.
Al Jazeera s’en mêle
Après les femmes du marché, les vendeurs de pain et de charbon, les fonctionnaires à la retraite réunis à la porte Est de la Mauripost, les politiciens dans les salons, l’information lancée par un quelconque blogueur prit de la hauteur. Le quotidien Londonien Al Qods et la chaîne qatarie Al Jazieea s’en emparèrent à leur tour : recrudescence instantanée des flammes, entraînant dans la danse plusieurs associations mauritaniennes de lutte contre la corruption, des hommes politiques, un député – et non des moindres : Abdel Selam ould Horma, président du Parti Sawab– et quelques dirigeants de Tawassoul, le premier parti d’opposition.
L’incendie provoqué par le pyromane se propagea ainsi très vite et ses multiples foyers ne purent être circonscrits par les pompiers qui prenaient la défense d’un Mohamed ould Abdel Aziz fragilisé par le peu du temps qui lui restait – à peine quatre mois – avant de quitter le pouvoir. Harcelé, acculé, indexé et très critiqué par une opinion publique mauritanienne qui ne voulait lui faire aucun cadeau en cette fin de règne de dix ans, véritable échec sur le plan économique et politique, Mohamed ould Abdel Aziz chercha à limiter les dégâts, en tentant de minimiser l’événement. Dans une sortie médiatique qu’il espérait apaisante, il répondit à la question concernant ladite rumeur : « seul le temps et l’histoire permettront d’éclairer l’opinion sur ce supposé scandale », avant d’ajouter : « beaucoup d’affaires sur de prétendus détournements, de fait inventés de toutes pièces, se sont dégonflées par la suite ».
Le 22 Mars 2019, à peine deux semaines après le lancement de l’alerte et comme pour mettre fin à la rumeur, le Parquet général près la Cour suprême du pays la démentait, après avoir diligenté une enquête auprès des autorités judiciaires de Dubaï, sur la base de vérifications menées par toutes les instances chargées du contrôle de transfert des capitaux. Seulement voilà : les conclusions de cette crédible instance judicaire n’ont pas convaincu tout le monde. Et même si elles ont convaincu une partie de l’opinion, il manquait les conclusions des Américains sur cette affaire. L’argent gelé dans une banque ou une institution financière émiratie appartenait-il ou non à Mohamed ould Abdel Aziz ? Le cas échéant, c’était donc un bien de l’État mauritanien. Dans le cas contraire et puisque cet argent existe bel et bien – comme l’a confirmé le gendarme américain – à qui donc appartient-il ? That is the question. Essayons d’y voir plus clair.
Dépotoir de fonds détournés
Le journal Al-Qods Al-Arabi de Londres avait précisé, dans sa reprise susdite de l’information, que des blogueurs mauritaniens avaient demandé au prince Mohammed bin Rashid, l’homme fort des Émirats arabes unis et souverain de Dubaï, d’intervenir personnellement pour faire restituer les fonds mauritaniens déposés dans son pays. Le journal mettait ainsi en évidence l’intérêt accordé par des mauritaniens à ce scandale assimilé à un « pillage de deux milliards de dollars de fonds publics mauritaniens » déposés secrètement dans une banque. Les critiques vis-à-vis de Dubaï allaient jusqu’à qualifier le pays de « dépotoir de fonds détournés », notant que le transfert de cette somme énorme serait passé inaperçu si le Trésor américain n’avait pas fouiné son nez dans les comptes engloutisseurs de tant de dollars américains versés à la Mauritanie. Et le journal de citer la supplique, au nom d’Allah, d’un ces blogueurs à Ben Rashid, de restituer, à la Mauritanie dont« le peuple mauritanien meurt de faim et de manque de médicaments », toute les sommes appartenant à des mauritaniens proches du pouvoir ». Abderrahmane Weddady, l’un de ces célèbres blogueurs, avait même dit au prince que les deux milliards de dollars gelés à Dubaï représentaient environ 720 milliards d’ouguiyas, soit l’équivalent de deux années et demie du budget de l’État mauritanien, dix ans de celui de l’armée, onze du secteur de la santé et quinze de l’éducation ».
Les questions que se posaient les Mauritaniens au sujet de cette affaire n’ont toujours pas trouvé de réponses. Sidi Mohamed ould Maham, un homme toujours à cheval sur les tenants et les aboutissants de questions liées aux « finances occultes », quand il était ministre porte-parole du gouvernement, répondit à une question au cours d’un point de presse rapportant alors un conseil de ministres : « […] des journalistes et un blogueur ont été entendus par la police financière, pour connaître la source qui a lancé l’alerte dans les organes de presse et sur les réseaux sociaux […] ». Mais il ne démentit pas l’existence de la somme transférée à Dubai, laissant ainsi penser qu’il en savait un peu ou beaucoup là-dessus.
Pour autant, c’est avec moins de tapage que l’affaire semble revenir aujourd’hui sur le tapis. Le journal en ligne « Chezvlane », daté du dimanche 26 Janvier 2020, a relayé une information de saharamedias selon laquelle l’ancien président de l’Union Pour la République (UPR), ledit Sidi Mohamed ould Maham, exprimait son entière disponibilité à collaborer avec toute enquête parlementaire ou administrative relative à sa gestion de la chose publique dans l’exercice des fonctions qu’il a occupées.
Dans un tweet sur sa page Facebook, il dit croire en la nécessité de cultiver la transparence et la probité dans la vie publique, ainsi qu’en la nécessité que le Parlement prenne ses responsabilités d’institution de contrôle fort sur la gestion de la chose publique. Et d’ajouter que les Mauritaniens ont le droit de connaître, dans les moindres détails, l’utilisation de leurs ressources et d’être édifiés sur les biens acquis par leurs responsables.
Une petite déclaration qui peut faire des vagues ? Quand, aigri par le coup fourré que lui fit son grand ami poursuivant sa femme pour détournement des deniers publics, alors qu’elle était directrice générale de la TVM et lui ministre porte-parole du Gouvernement, Ould Maham affirme, dans un style qu’il maîtrise si bien, que « les Mauritaniens ont le droit de connaître, dans les moindres détails, l’utilisation de leurs ressources et d’être édifiés sur les biens acquis par les responsables », cela vaut ce que ça vaut. Aurait-il réellement dit, comme certains le rapportent, au sujet de l’argent obtenu des Lybiens contre la « livraison » de Senoussi : « S’ils ont payé un million de dollars et après ? », cela semble le situer très près des affaires qui dépassent les millions de billets américains. Sait-il alors vraiment quelque chose sur ces « fonds de Dubaï qui n’ont finalement pas trouvé d’acquéreur » ou quoi que ce soit d’autre qui puisse enfoncer son vieil (ex-)ami ?
Le tour est joué
Je n’en sais personnellement rien mais une chose est sûre. De toute évidence, les fameux deux milliards existent physiquement. De toute aussi évidence, ils sont placés dans une banque à Dubaï. Et la question : « à qui appartiennent-ils ? » ; reste bel et bien posée. Puisqu’Ould Abdel Aziz nie catégoriquement qu’ils soient les siens. Puisque les Américains ont demandé leur gel. Et, puisqu’ils sont en des banques émiraties et proviennent de la Mauritanie, est-ce donc… – je dois bien mesurer mes mots pour ne pas me retrouver colocataire avec mon cousin réfugié en France ! – que les Américains, les Émiratis et les Mauritaniens n’ont toujours pas trouvé une solution à l’amiable pour clôturer ce dossier ? Une solution à l’amiable qui « trahirait » Ould Abdel Aziz, en restituant à la Mauritanie le montant sur lequel aucune étiquette d’identification n’a pu être collée, en tous cas officiellement, du style financements de projets d’investissement et de développement, voire prêt à taux réduit pour la Mauritanie ?
Ce qui est également certain c’est que ni les États-Unis d’Amérique, ni les Émirats Arabes Unis, ni la Mauritanie, ni même Ould Abdel Aziz n’ont intérêt à ce que l’énigme des deux milliards de dollars reste posée. Pour la simple raison que les premiers sont très attachés à entretenir de très bonnes relations avec la troisième qui dispose d’énormes quantités de gaz dont l’exploitation profitera aux sociétés américaines liées au milliardaire qui préside actuellement aux destinées des États-Unis. Pour l’autre aussi simple raison que les Émirats n’ont aucun intérêt que de l’argent appartenant aux pauvres citoyens mauritaniens soit gelé ou surgelé pour le plaisir d’Ould Abdel Aziz ou des Américains. Et pour enfin une dernière raison : si ces dollars appartiennent à Ould Abdel Aziz, comme beaucoup le pensent, celui-ci n’a aucun intérêt à ce que son nom reste lié à une histoire d’argent qu’il ne pourra plus jamais récupérer.
Le tour est donc peut-être déjà joué. Chacune des parties en a eu pour son compte. Mais le plus grand gagnant reste sans doute les Émirats qui ont « blanchi », par le biais d’une coopération intelligente, deux milliards de dollars atterris chez eux en Mars 2019…cent cinquante jours avant la cérémonie d’investiture du président Ould El Ghazwani. Peut-on en conclure que celui-ci a remporté une « grande » victoire diplomatique, jouant au pompier pour éteindre un incendie dont les cendres sont encore chaudes, près d’un an après sa déclaration ?
Mohamed Chighali