La cour d'appel de Paris doit se prononcer mercredi sur la remise à la justice internationale de Félicien Kabuga, accusé d'être le "financier" du génocide au Rwanda et qui tente par tous les moyens d'être jugé en France après plus de 25 ans de cavale.
L'octogénaire, longtemps l'un des fugitifs les plus recherchés au monde, invoque son état de santé et la crainte d'une justice partiale pour refuser son transfert à Arusha, en Tanzanie, où siège le tribunal de l'ONU qui doit le juger pour génocide et crimes contre l'humanité.
La chambre de l'instruction de la cour d'appel devrait vraisemblablement donner un avis favorable à l'exécution du mandat d'arrêt, au grand dam de la défense.
Les magistrats ne sont en effet tenus qu'à un contrôle assez formel de la validité du mandat d'arrêt émis par le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), la structure chargée d'achever les travaux du Tribunal international pour le Rwanda (TPIR).
Même en cas d'avis favorable, Félicien Kabuga pourra encore saisir la Cour de cassation, qui aura deux mois pour se prononcer, avant une remise au MTPI dans un délai d'un mois supplémentaire.
A l'audience du 27 mai, les avocats de l'homme d'affaires ont toutefois demandé à la cour de suspendre sa décision pour transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Selon eux, la loi française viole la Constitution en ne prévoyant pas un contrôle plus approfondi des mandats d'arrêt de la justice internationale.
Félicien Kabuga, arrêté le 16 mai en banlieue parisienne, est notamment accusé d'avoir créé, avec d'autres individus, les milices hutu Interahamwe, principaux bras armés du génocide de 1994 qui fit, selon l'ONU, 800.000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi. Et d'avoir mis sa fortune à contribution pour acheminer des milliers de machettes aux miliciens.
Mais l'ancien président de la tristement célèbre Radio télévision libre des Mille collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, conteste l'intégralité des sept chefs d'inculpations.
- La Haye ou Arusha ? -
"Tout cela ce sont des mensonges. Les Tutsi, je les ai aidés dans tout ce que je faisais, dans mes affaires, je leur faisais crédit. Je n'allais pas tuer mes clients", a déclaré Félicien Kabuga, en kyniarwanda, à l'audience du 27 mai.
Lors des deux heures et demie de débats, le vieil homme, âgé de 84 ans selon le mandat d'arrêt, de 87 ans selon lui, est resté assis sur un fauteuil roulant au centre de la salle, à proximité de sa famille, quasi immobile, mais régulièrement contraint d'ôter son masque pour cracher et se moucher.
L'état de santé de M. Kabuga, qui a subi l'an dernier une ablation du côlon dans un hôpital parisien et souffre de "délires" selon ses avocats, est d'ailleurs au coeur des contestations de la défense.
Celle-ci met en avant le cas de sept accusés du TPIR mal soignés, dont un décédé avant son procès. Outre les maladies endémiques et l'état du système de santé tanzanien, les avocats invoquent aussi la crise sanitaire liée au Covid-19.
Pour tenir compte de la pandémie, le procureur du MTPI avait d'ailleurs demandé à un juge de modifier le mandat d'arrêt pour organiser une remise du suspect à l'antenne du tribunal international de La Haye, au Pays-Bas. Requête refusée, ce qui n'empêche toutefois pas une escale dans cette ville, le temps d'organiser un transfert sûr vers la Tanzanie.
Enfin, les avocats de M. Kabuga craignent que, une fois en Tanzanie, le MTPI ne décide de remettre leur client aux autorités rwandaises, contournant ainsi le refus de la France de livrer les suspects du génocide à Kigali.
C'est pourquoi la défense a écrit mardi au MTPI pour lui demander officiellement de se dessaisir au profit de la justice française, qui a déjà jugé et condamné trois génocidaires.