Les Mauritaniens se posent beaucoup de questions sur ce qui se passe entre les ancien et nouveau présidents de la République. Ils s’inquiètent même des implications politiques, voire sécuritaires, que pourraient avoir ces agitations au sommet de l’État. En bref, un combat pour le contrôle du pouvoir, entre deux généraux l’ayant partagé pendant des décennies, connaissant et maîtrisant, l’un et l’autre, ses diverses officines des renseignements. Chacun s’est tissé un réseau de relations fidèles et disposant de capacités analogues de nuisance, avec, tout de même, une petite longueur d’avance pour l’actuel locataire du Palais… puisqu’il occupe celui-ci.
Pourquoi Ould Abdel Aziz a-t-il engagé un bras de fer ?
En quelque sorte, le retour de l’ex-Président et les manœuvres qu’il a engagées ont relégué au second plan les festivités de l’Indépendance que le pouvoir voulait très grandioses. La politique a pris le devant, poussant ainsi le président Ghazwani à siffler la fin des gesticulations au sein de l’UPR dont le contrôle s’est imposé en enjeu principal du moment. Ould Abdel Aziz en revendiquait la paternité et la légitimité de contrôle, tandis que Ghazwani s’y opposait, en sa qualité de président de la République. Mais, selon Ould Abdel Aziz, les textes interdisent à un président de la République de diriger un parti politique. Fondateur de l’UPR alors qu’il était lui-même au Palais, il avait tout de même trouvé l’astuce d’en nommer à sa guise le président et comptait bien, une fois quitté le pouvoir, faire valoir sa qualité de fondateur. L’ambiguïté a provoqué des fissures au sein du parti fondamentalement dévolu au pouvoir en place. Une écrasante majorité de son directoire et des élus a fini par lâcher l’ex-président et reconnaît Ghazwani comme seule et unique référence de l’UPR. Le parti, disent-ils, n’est la propriété de personne.
À ce feuilleton à rebondissements est venu s’ajouter le limogeage du patron de la Garde présidentielle, un corps également fondé par Ould Abdel Aziz et qui lui a servi de bras armé durant tout son règne. Placé à la tête du bataillon quelque temps avant la passation de pouvoir, le chef du BASEP, un des fidèles d’Ould Abdel Aziz, aurait reçu des coups de fil de son ancien patron. À quelles fins ? Mystère pour le moment, le contenu de ses communications n’étant pas rendu public. Ghazwani n’aurait pas voulu en faire le déballage… du moins pour l’instant. L’homme sait manifestement garder la tête froide et… les atouts dans sa manche.
Une chose est cependant certaine : intervenue quelques heures avant le démarrage des festivités du 28 Novembre, la présidence a changé de plan, confiant la sécurité présidentielle à un autre bataillon, celui des commandos paras d’Atar, les fameux et redoutables BCP. Puis le président Ghazwani écourte son séjour à Akjoujt et regagne la capitale pour, entend-on dire alors, diriger la « résistance». Et de procéder illico à des nominations au sein de l’État-major de la Garde nationale. Même si le ministre de la Défense a déclaré, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, qu’il n’y a eu « aucune tentative de coup d’État » et que « la situation est sous contrôle », des doutes subsistent sur ces manœuvres peu ordinaires.
Dans la foulée de ces limogeages, l’étau se resserre autour de l’ex-président qui voit ses fidèles le lâcher de presque toutes parts ; lui signifiera-t-on l’interdiction de quitter le territoire national ? Et l’on assiste, depuis, comme à un déballage des finances publiques. Ould Abdel Aziz est accusé d’avoir vidé les caisses de l’État, grevant particulièrement l’avenir des générations futures. Les Mauritaniens apprennent qu’Ould Djay, l’ex-ministre des Finances du président sortant, a été convoqué d’urgence au Palais, à propos de transferts opérés au profit d’Ould Abdel Aziz, et qu’Ould Ghazwani l’aurait chargé de prévenir son ancien patron de restituer, au plus vite, les sommes évadées qui « appartiennent aux Mauritaniens ». Quelques jours avant le retour de l’ex-Président, des rumeurs annonçant le lancement imminent d’audits sur sa gestion circulaient dans les salons de Nouakchott. Et l’on nous sert de surcroît une histoire de centaines de V8 parquées dans une cour de TevraghZeïna…
Bref, le nouveau pouvoir semble visiblement s’intéresser à la gestion de l’ancien président. Suffisant pour inquiéter celui-ci, tant elle est décriée. On se rappelle que les leaders de l’opposition réclamaient, avant même son départ des affaires, l’audit des dix dernières années de cette gestion. Et qui de mieux, pour ce faire, qu’un compagnon de 40 ans du principal accusé qu’il servit dans l’ombre et la discrétion ?
Battre le fer à temps
Dernières questions : comment les deux amis en sont arrivés à ce point de quasi-rupture ? Avaient-ils signé un deal que l’actuel Président n’a pas voulu respecter ou pu, tant l’ancien a laissé de passif impossible à assumer sans clarification publique ? On s’interrogeait, depuis l’intronisation de Ghazwani, sur lequel des deux commettrait la première faute. Les Mauritaniens doutaient de la sincérité d’Ould Abdel Aziz cédant son fauteuil à son ami et de la capacité de Ghazwani à s’émanciper de son alter ego. Nombre d’observateurs s’attendaient à un clash. Et aujourd’hui, Ghazwani semble avoir réussi à pousser son ami à l’erreur. Mais Ould Abdel Aziz, le grand spécialiste des plans B, voire C, D et jusqu’à Z, s’avouera-t-il vaincu ? Baissera-t-il les armes ? Wait and se.
Ce qui est enfin sûr, c’est qu’il vient d’offrir, à Ghazwani, l’occasion de s’imposer et de rompre définitivement avec le système de son prédécesseur, en opérant des changements que les Mauritaniens attendent depuis qu’il a hérité du pouvoir. Que fera-t-il de cette victoire ? Telle est, en définitive, la grande question posée à notre actuel Président. Le temps à y répondre déterminera la valeur de son indéniable succès et le plus tôt paraît le mieux : c’est bien quand il est chaud qu’il faut battre le fer…
DL
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