L’interview exclusive accordée par le président Ghazouani au journal « Le Monde », la semaine dernière, officialise notamment le « conflit » en cours entre l’actuel locataire du Palais et son prédécesseur. Sans être un scoop – toute la presse mauritanienne en faisait état depuis la fête de l’Indépendance – l’information est importante dans sa forme et il convient d’en décrypter les signes en et entre ses lignes. Le choix du journal, l’ordonnance de l’interview, chaque phrase, chaque mot, tout est pesé dans les « confidences » du fils du marabout…
Conflit ? Un terme bien trop guerrier dans la bouche d’Ould Ghazouani qui ne l’emploie même pas pour qualifier la situation du G5, objet apparemment central, au demeurant, de l’interview. Le thème justifiait à lui seul le choix du journal « Le Monde », plaçant ainsi celle-ci en message international – avec adresse toute spéciale à la France et à l’UE… – et le glissement progressif, au cours de l’entretien, vers l’examen de la situation intérieure en Mauritanie où, pas plus qu’ailleurs, « on ne peut pas faire de développement durable sans une situation de sécurité convenable » paraît couler éminemment de source.
Après avoir insisté sur l’importance, dans son programme, du volet social où « nous devons poursuivre un travail entamé » – clin d’œil du côté de la continuité et discret hommage à son prédécesseur : utile préambule… – le président mauritanien peut enfin aborder, huitième question de l’interview, ce qui le différencie d’Ould Abdel Aziz… en commençant par demander à « ne pas nous limiter à cette recherche de la différence » avec « mon frère, mon ami » ! Velours, velours… Invoquant alors « l’intérêt du pays », c’est en l’éminente stature que lui confère sa nouvelle charge publique qu’Ould Ghazouani expose, immédiatement en suivant, une conviction : « faire œuvre d’ouverture en direction de l’opposition » lui « permettra de bien travailler ».
Serait-ce sur ce point précis que s’est bâti « le décalage entre les visions et appréciations » [des deux hommes] « d’une situation donnée » ? Une simple divergence conjoncturelle, donc ; en tout cas pas un « fossé profond » contrairement à ce qu’en a déduit une opinion nationale inquiète de « l’environnement politique » actuel assez agité, versus majorité… Cependant la clôture de cet « épisode », impérative mais à ce jour inconnue du Président – « Je ne sais pas », tient celui-ci à préciser – pourrait ne pas se faire « d’une façon qui convienne à tout le monde », contrairement aux « efforts » et à l’espérance du nouveau maître du Palais. En deux lignes, voilà soudain le gant de velours juste ce qu’il faut retiré pour rappeler la main de fer…
Avant de la re-ganter aussitôt, en démentant tout lien entre le différend passager et le « changement » à la tête du BASEP, nécessité « assez banale », pour « quelqu’un qui arrive à un poste aussi sensible que le mien », de « modeler sa sécurité »… Exit donc les « fausses rumeurs » d’arrestations, interrogatoires et mises en résidence surveillée. Simple péripétie de la volonté de changement si fréquemment avancée lors de la campagne électorale… Encore et toujours la fameuse « changité dans le stabilement » si bien croquée par notre regretté Habib ould Mahfoudh, il y a de ça un quart de siècle ? Mais à la différence de 1992, ce n’est pas « on prend les mêmes et l’on recommence ». Ould Abdel Aziz n’a pas dicté, à son ami de quarante ans, la décision de revoir la direction du BASEP : on peut, à tout le moins, tenir cela pour très probable. Et celui-là aurait donc été instruit, par là même et s’il en doutait encore, qu’il n’est plus aujourd’hui le patron. Ni du BASEP, ni de l’État, ni de la République. Ni, par voie de conséquence, de l’UPR, lui ont rappelé ses si naturellement opportunistes caciques.
Très probable plutôt que certain ? On ne peut pas totalement exclure en effet qu’à avoir « fait beaucoup de choses [ensemble] depuis une quinzaine d’années », une telle paire de stratèges se soit secrètement entendue d’un plan pour assurer la continuité par le changement. Jeux de rôles et frictions judicieusement circonstanciées à l’appui, épargnant à chacun des deux compères une position de girouette fort peu compatible avec leur commune affiche d’hommes de principe. On aurait alors une tout autre lecture du décalage entre leur vision respective, non plus conjoncturel mais structurel, histoire d’offrir la plus grande perpétuité possible au régime, avec toujours deux fers bien différenciés au chaud. Aziz-Ghazouani, bifaces d’une même pièce ? Une hypothèse que l’opposition devrait bien se garder de trop tôt abandonner…
Mais « on ne peut pas faire de développement durable sans une situation de sécurité convenable ». Deux fers au chaud ne sont guère plaisants aux investisseurs, notamment institutionnels, à moins de les mettre dans le secret de la combine, indiscrétion au demeurant fatale au secret ainsi trop vite abandonné à Polichinelle… On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : en tous les cas de figure, c’est bien le détenteur du pouvoir politique qui tient les atouts majeurs et les enjeux miniers – gaziers ou autres… – si propices aux enchères et surenchères, ne semblent pas pouvoir damer le pion, à l’heure actuelle, à la nécessité de relancer sans plus tarder une dynamique avec les bailleurs plutôt poussive depuis quelque temps. Une autre manche perdue par Ould Abdel Aziz. La dernière ? A-t-il jamais renoncé à un seul de ses désirs ? S’il s’agit, pour lui, d’avoir obsessionnellement toujours le dernier mot, faudra-t-il donc attendre le dernier sien ? Encore une fois, restons vigilants.
Ahmed ould Cheikh