Figurant au rang des premières composantes ayant fréquenté l’école française et pourvoyeuse de fonctionnaires pour la haute administration pendant les premières années de l’indépendance aux côtés des Idawalis et des maures de Boutilimit, la communauté négro-mauritanienne -terme regroupant les communautés non arabe et haratine- se sent aujourd'hui de plus en plus marginalisée en Mauritanie.
Un sentiment renforcé par le poids de l’histoire récente (événements de 1989) et un présent de moins en moins rassurant, en dépit de toutes les professions de foi officielles sur une unité nationale garantie par une harmonieuse cohabitation communautaire tissée par l’histoire, la religion, le sang, la culture…
La question du passif humanitaire (déportations, exécutions extra judiciaires particulièrement chez les militaires, expropriations terriennes) reste vivace dans les esprits malgré une ébauche de solution initiée par le régime civil du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, poursuivie après le mouvement «rectificatif» de Mohamed Ould Abdel Aziz.
Cette procédure a débouché sur le retour au pays de près de 25.000 anciens déportés au Sénégal et des indemnisations relativement maigres pour les familles des militaires tués et les rescapés.
Toutefois celle-ci ne règle pas le problème de l’impunité des présumés auteurs de ces graves crimes de sang. En fait, ces militaires «sont couverts» par une loi d'amnistie controversée, contestée par les familles des victimes et les ONG de défense des droits humains, et adoptée en mai 2003, sous le règne de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Ce qui, aux yeux de nombreux observateurs, partisans de la justice transitionnelle, laisse entière l’équation de la vérité, préalable à toute idée de pardon et de réconciliation nationale.
Autant dire que la Mauritanie n’est pas arrivée à exorciser ses vieux démons ni à solder les comptes des années agitées du régime Taya, ex-patron de l’actuel chef de l’Etat.
A cela est venu se greffer l’épineuse question de l’accaparement des terres par la communauté maure dans la vallée du fleuve Sénégal.
Pire encore, l'opération d’enrôlement des Mauritaniens, entamée en 2011 par l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (ANRPTS) est venu aggravée les clivages raciaux. Cette institution, dirigée par un proche du président Mohamed Ould Abdel Aziz, elle est accusée de tous les maux et dénoncée à la fois à l’intérieur du pays et à l'extérieur par la diaspora mauritanienne, notamment par le Collectif des Mauritaniens de France (CMAF).
Ces dénonciations stigmatisent «un travail scandaleusement discriminatoire» dont le résultat sera «un véritable génocide biologique et rendra apatride des centaines de milliers de Mauritaniens originaires de la vallée du fleuve», se plaint ce haut cadre établi en France.
C'est dans ce cadre que s'inscrivent les revendications de plusieurs partis politiques d'obédience négro-mauritanienne (PlEJ, AJD/MR, APR, MPR, etc.), mais aussi de plusieurs associations et ONG dont ”Touche pas à ma nationalité" (TPMN) qui lutte contre l'enrôlement discriminatoire et plus récemment le "Mouvement pour la jeunesse de Mauritanie" (MPJM) à l'origine de la manifestation pacifique de dimanche dernier réclamant "l'assouplissement des conditions d'enrôlement pour l'accès aux pièces d'état civil". Dix jeunes de ce mouvement citoyen sont placés en détention provisoire depuis lundi soir.
Il faut du reste rappeler que cette opération d'enrôlement continue depuis son lancement en 2011 de susciter des manifestations dont l'une s'est soldée par la mort d'un jeune garçon à Maghama, dans la région de Gorgol, au sud du pays.
Pour ces jeunes, l'horizon qui était déjà tracé en pointillés devient plus compliqué encore pour nombre d'entre eux compte tenu des problèmes liés à l'enrôlement.
En outre, les communautés négro-africaines originaires de la vallée du fleuve s'estiment de plus en plus marginalisées au sein de l'armée nationale, particulièrement au sein de la police et de la haute hiérarchie militaire. De même, sont-elles de moins en moins présentes dans les hautes fonctions de l'Etat et plus rares encore dans la sphère économique.
Certains intellectuels n’hésitent pas à justifier cette situation par le statut de ”minorité” de la communauté négro-mauritanienne, comme si au sein de la République, le traitement des citoyens et l’accès à leur droit devaient découler du poids démographique de chaque communauté.
En atteste la passe d'armes entre deux députés de l'Assemblée nationale. Mahfoud Ould Jeyd, un député de la mouvance présidentielle, avait appelé à faire uniquement usage de l'arabe (langue officielle) au sein du Parlement et d'éviter la traduction en français ou les langues nationales au sein de cette institution, tout en sachant que certains membres des communautés négro-mauritaniennes ne parlent pas l'arabe. Proposition qui avait fait réagir violemment la députée de l'AJD/MR Saoudatou Wane qui avait souligné: "il y a parmi la classe politique mauritanienne ceux qui combattent les noirs. Certains font tout pour exclure les noirs", qualifiant certains parlementaires "d'hypocrites et de racistes".
Du coup, pour l'AJD/MR, nous sommes face aujourd'hui aux signaux «d’ébullition d’un système en voie d’explosion, car ayant atteint un point de non-retour dans l’injustice».
Il n'est pas le seul à mettre en garde contre les dérives d'un système qui n'a qu'un objectif: marginaliser certaines couches de la population mauritanienne. C'est dans ce cadre aussi que s'inscrit la démarche du "Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines" qui souhaitent une plus grande représentativité de cette communauté au sein des sphères politico-économiques et sécuritaire du pays.
Il reste à se demander si les autorités de Nouakchott prêteront attention à toutes ces revendications légitimes pour une cohésion de l'unité nationale tant souhaitée par la population, mais qui semble ne pas être une priorité pour les dirigeants politiques.
Cheikh Sidya
source afrique.le360.ma