Un wali pas comme les autre(b)
Difficile bras de fer
Depuis, Ahmedou Yahya s’engagea ouvertement dans le sabotage de l’avenir de nos enfants à travers la destruction de leur scolarité. A leur tour, nos parents ne se laisseront pas faire. Ils en voulaient surtout à feu, Khattry, un proche parent, qui était à l’origine de son arrivée dans notre école, alors son intime ami, et ce malgré l’opposition et les mises en garde répétées de feu Elemine Ould Bahinina. Tous demandaient désormais son affectation, Khattry en tête.
La perte de la première manche
Quelques années après, en 1984, l’hostilité de la poignée d’individus extérieurs va atteindre son paroxysme. L’enseignant arabe, Ahmedou Yahya, usant de son influence extérieure, réussit à prendre la direction de notre école, écartant ainsi les meilleurs instituteurs de formation française y compris son propre cousin, Sidi, connu pour son grand talent et sa probité.
Nos parents s’étaient rendus compte que la direction de Ahmedou Yahya compromettait sérieusement l’avenir de leurs fils. Avant qu’il ne soit trop tard, ils décidèrent de réagir. Les premières démarches réussirent à le muter de l’école. Celui-ci réagit à son tour.
A l’aide de son grand réseau de relations, sa mutation fut aussitôt annulée.
Révoltés nos parents réagissent
Nos parents étaient révoltés. Une délégation composée d’une dizaine d’entre eux se rendit à Rosso. Accompagné par le jeune cousin, feu Jemal Ould Ahmed, je les rejoignis immédiatement. Devant la Wilaya de Rosso, un grand monde se bousculait. On en faisait partie. Tous cherchaient à rencontrer le Wali. Celui-ci, feu Elhadrami Ould Momme, était
connu pour son grand talent et sa bonne disposition à résoudre les problèmes, même les plus complexes.
Un intrus pour nous compliquer la tâche
Après près d’une heure d’attente, nous fûmes surpris de voir sortir du bureau du Wali le nommé Elbanon, un diplomate Mauritanien servant dans un pays voisin, le parent de Ahmedou Yahya et son principal manipulateur contre notre collectivité. Tout indiquait que celui-ci n’était pas là pour nous faciliter la tâche. A l’exception de moi, nos parents présents, se pressèrent pour le saluer. Il me regardait de travers. Il se libéra rapidement de l’attroupement des parents autour de lui, pressant le pas dans la direction de sa voiture garée devant la wilaya. Mon attitude l’aurait visiblement pressé à agir de la sorte.
Elhadrami Ould Momme à l’œuvre
Le wali, qui l’avait accompagné jusqu’à notre niveau, rebroussa chemin. Il se mit à discuter avec les différents attroupements de personnes qui se bousculaient afin de parler, chacun de son côté, le premier au wali. Elhadrami Ould Momme était aussi réputé pour sa méthode de travail: palabrer avec les gens dans la cour pour trouver des solutions à leurs problèmes. Seuls les gens aux dossiers délicats étaient invités à rentrer dans le bureau pour chercher solution à leurs problèmes. Il jugea notre cas comme faisant partie de cette dernière catégorie. A notre grande satisfaction, on était programmé pour être reçu à l’intérieur du bureau d’Elhadrami.
Tête-à-tête avec le wali
Quelques trois quarts d’heure après, nous étions conviés à rentrer dans le majestueux bureau de monsieur le wali. Entourés de ses principaux chefs de services, il nous demanda d’étaler au grand jour notre problème. Elhadrami fut très attentif à nos explications. Il prêta une oreille particulière à mes interventions. Sous le poids de fortes pressions sur lui, il voulait coûte que coûte maintenir Ahmedou Yahya à la direction de notre école. Il finit par comprendre que la délégation de Teichtayatt n’acceptera jamais et à n’importe quel prix une telle solution. On avait même refusé une proposition cherchant à le maintenir uniquement pour l’année en cours.
L’impasse dans les négociations
En réalité la délégation des parents ne pouvait pas se permettre de revenir bredouille chez elle. Ses membres risquaient d’être lynchés par des hordes de femmes en colère. Des vieilles femmes, connues pourtant pour leur piété et leur fidélité à leurs chefs spirituels menaient la rébellion: citons-en feues, Aminetou Mint Chaabane, Lekheila Mint Gueidiatt, Vettatt Mint Baba, et bien d’autres. Elles avaient mobilisé toutes les autres femmes à faire tomber leurs tentes et de les garder au sol jusqu’au règlement intégral du problème.
Rejet d’une solution de « partage de l’enfant »
Pour débloquer et comme solution de compromis, le wali nous pria d’accepter une proposition de solution provisoire consistant à diviser l’école en deux, uniquement pour cette fin d’année scolaire. Selon la proposition du wali l’encombrant enseignant et son neveu seront affectés à la partie de l’école réservée au groupement voisin dit « Aznavir ou Lahratine ». Quant à nous, l’administration nous trouvera deux enseignants pour la partie de l’école qui nous sera déléguée. D’ailleurs tous les bâtiments de l’école appartenaient à notre collectivité. Le wali affirmait qu’il avait déjà expérimenté avec succès ce genre de solutions ailleurs.
Je refusais catégoriquement cette proposition. J’avais expliqué au wali ce que j’ai appelé « le secret de ma présence parmi la délégation de mes parents » : je n’arrivais pas à supporter le climat de confrontation entre nos deux communautés. Je lui avais dit que la division de l’école consacrait la division de deux collectivités qui avaient toujours vécu en harmonie, alors qu’en réalité le problème ne dépassait pas la mutation d’un enseignant. Pour illustrer l’attachement de notre communauté à son école, je lui avais cité un récit célèbre: un cadi buta sur le problème de deux femmes qui se disputaient la parenté d’un enfant. Les deux femmes refusèrent plusieurs propositions avancées par le cadi. Pour les départager, celui-ci leur proposa de partager l’enfant en deux morceaux égaux. Chacune d’elle devrait se suffire de sa part. L’une d’elle accepta immédiatement la solution de partage ; l’autre, qui semblait être la vraie maman de l’enfant, s’y opposa catégoriquement. Elle proposa même de céder l’enfant en entier à l’autre pour éviter de lui nuire.
Une proposition de déblocage
Ma remarque bloqua en réalité le débat. J’en avais profité pour présenter une nouvelle proposition de compromis. Je dis que j’accepterai la proposition du wali, la solution de partage provisoire de l’école, à condition que l’administration déplace quelqu’un sur le lieu. Cet émissaire officiel devra réunir les deux collectivités dans un meeting de réconciliation. Pour l’occasion, il leur expliquera que la solution de partage sera une simple solution purement technique qui ne dépassera pas l’année scolaire en cours. Elhadrami m’interrompit aussitôt: il dit qu’il fait sienne ma proposition.
Il arrêta net la réunion. Il ordonna à ses collaborateurs de se préparer immédiatement pour « un embarquement immédiat » (un film célèbre) à Teichtayatt.
Oui: tous les chemins mènent à Teichtayatt
A peine une demi-heure après, une importante délégation, à sa tête le wali du Trarza, Elhadrami Ould Momme, prit le chemin qui mènera à notre « Rome »: Teichtayatt.
Arrivé sur le lieu ; le wali appliqua à la lettre les termes de ma proposition de compromis. Et si seulement tous les walis et administrateurs de la république s’inspiraient, même partiellement, de la bonne foi et de la sagesse d’un tel homme !
Après le succès, curieux aparté avec le wali
Avant de se séparer, Elhadrami me prit en aparté pour me chuchoter à l’oreiller cette proposition, plutôt curieuse mais qui ne manquait pas d’intelligence et de sagesse: « Cher ami, afin de mieux consolider la solidarité entre vos deux communautés, il faudra t’arranger pour faire le plus tôt possible la famille dans l’autre collectivité ». J’y ai pensé pourtant. Mon ami Keine le fera plus tard à ma place. Malheureusement la première fois ne va pas durer longtemps. La seconde oui.
(À suivre)
lecalame