Le Calame : Un nouveau viol a défrayé la chronique à Nouakchott, émouvant toute l’opinion. Quelle est la réaction du père de famille et du parlementaire que vous êtes ?
Yayha Aboubecrine : Le viol est un crime odieux dénoncé par la Charia et rejeté par le bon sens. Il s'apparente plus à la conduite animale sauvage qu'à un comportement humain. Je le condamne de toute ma force et considère que sa récurrence dans notre pays, ces dernières années, donne l'impression d'une indulgence des autorités à l'égard de ses auteurs, soit par défaut d'arsenal judiciaire, soit par non-application des peines dissuasives. Je profite de l’occasion qui m’est offerte ici pour exprimer ma solidarité envers la dernière fille violée en concomitance avec les célébrations commémoratives du 64ème anniversaire de notre fête nationale, et, bien évidemment aussi, envers toutes celles qui l'ont précédée. Je me souviens encore de cette fille mineure – si je me rappelle bien, elle s'appelait Warda – qui fut abusée par un homme plus âgé que son père. Ce fut déjà un drame douloureux ce jour-là. Il y a aussi, si ma mémoire est bonne, le cas de la petite fille innocente agressée et brûlée à Arafat. J’implore Allah le Tout-Puissant de les couvrir de Sa grande miséricorde et d’accorder patience à leur famille.
- Le parlement mauritanien a rejeté à deux reprises l’adoption d’une loi visant les violences faites aux femmes. Ne pensez-vous que le temps est venu de l’adopter afin de sanctionner les auteurs de telles horreurs contre les femmes et surtout les petites filles ?
- Comme je l'ai mentionné en répondant à la question précédente, je crois que promulguer une loi pour renforcer la place des femmes ou limiter les atteintes à leur honneur est une revendication de tous qui doit être rapidement satisfaite. Quant à celle présentée à deux reprises à l'Assemblée nationale et dont l’une des versions fut retirée par le gouvernement, je crois qu'elle ne reflète pas le sérieux de celui-ci, en ce que nombre de députés et autres juristes, universitaires et acteurs de la Société civile avaient présenté des observations sur toutes les versions soumises, relevant des contradictions de leur contenu avec la Charia. Ceci est bien entendu inacceptable dans un pays dont la Constitution stipule que ses lois sont puisées de la Charia et ne peuvent en aucun cas s'y opposer. Mais qu'est-ce qui empêche le gouvernement d'apporter les amendements nécessaires pour sortir cette loi du cercle de la controverse, la présenter au législateur de manière à l’adopter et, plus important encore, au peuple de l’accepter, en sa qualité de plus grand législateur ?
- D’habitude très actif, Tawassoul est devenu très discret sur le terrain politique depuis la dernière présidentielle où son candidat était arrivé en troisième position. Que répondez-vous à ceux qui parlent de perte de terrain ou de repli stratégique ?
- Il ne sera pas facile pour quiconque analysant objectivement les résultats de la récente élection présidentielle d’affirmer que Tawassoul recule. Si le critère de base est le nombre d'électeurs, alors ceux qui ont voté pour son candidat à cette élection ont été plus nombreux que ceux qui ont voté pour sa liste nationale, arrivée en deuxième position à l'époque. 20 000 électeurs en plus, alors que l’écart entre les deux échéances électorales n'était que d'un an, ce n’est pas peu... Le candidat de notre parti est aussi le seul à n'avoir annoncé sa candidature que moins de deux semaines avant l'ouverture officielle des candidatures, ce qui est bien sûr un facteur d'influence.
Quant à l'efficacité post-électorale, Tawassoul est entré dans la saison politique de l'année en cours avant tous les autres, en menant des activités sur le terrain avec des voyages, la diffusion de communiqués politiques et l’organisation de rencontres avec des militants et divers autres acteurs, parallèlement à son activisme avec tous les partenaires de l'opposition. Dans tous les cas, parler d'un recul du parti n’est pas crédible et n’est attestée par aucun fait réel sur l’échiquier politique. On prétendait une impopularité de Tawassoul avant les élections législatives : nous nous sommes positionnés en seconde position, malgré les fraudes et les violations qui ont entaché le processus. Nous avons également participé à l’élection présidentielle et y avons obtenu la troisième place ; un résultat respectable en dépit du retard pris dans la préparation et la détermination de la nature de notre participation.
- Au lendemain de la présidentielle, le président Ghazouani a proposé un dialogue politique inclusif pour « régler les problèmes du pays ». Comment avez-vous accueilli cette offre ? Quels sont pour Tawassoul, les questions prioritaires à qui pourraient figurer à l’agenda de ce projet ?
- Concernant l’appel à dialoguer du pouvoir représenté par le président de la République, il est bien sûr bienvenu, puisque notre vision au sein du parti pour résoudre tous les problèmes du pays repose sur un dialogue inclusif qui n'exclut personne et où aucun sujet n’est tabou. Cependant, des doutes demeurent toujours dans nos esprits quant au sérieux du gouvernement, compte-tenu de la manière avec laquelle il a répondu aux appels précédents, ainsi qu'à sa façon d’interagir avec les résultats des dialogues antérieurs. Nous pouvons rappeler ici l'appel du Président lors de son premier mandat à un dialogue inclusif n'excluant aucun sujet ni aucune personne. Mais une fois les préparatifs lancés, ce dialogue fut unilatéralement arrêté avant même la fin des concertations avec les partenaires. En général, nous, à Tawassoul, nous tendons les mains et les pieds pour réussir un dialogue sérieux, en plaçant l'intérêt de la Nation avant tout.
- Après des divisions enregistrées lors de la présentation des candidatures à la présidentielle, l’opposition semble avoir perdu la voix. À qui la faute ? Pourrait-elle se retrouver autour d’une feuille de route commune à l’occasion du dialogue en gestation ?
- Je ne pense pas que ce qui s'est passé lors de la dernière élection présidentielle soit dû à une division mais plutôt à une approche politique spécifique, puisque l'opposition a mené une série de discussions avant l’élection et posé tous les scénarii possibles, dont le plus important était celui d’un candidat unique, une exigence de certains opposants. Mais il y avait en même temps une autre approche méritoire, à savoir laisser participer tout groupe politique qui se sentait capable de s’engager dans la course électorale, afin d’attirer le maximum d’électeurs. C'est cette approche qui a finalement prévalu et permis aux candidats de l'opposition de réunir au total plus de 40% des suffrages. Puis, après l’élection, nous avons atteint un niveau de communication acceptable entre la majorité des composantes de l’opposition en divers espaces, que ce soit au Parlement, au sein de l’Institution de l’opposition démocratique ou ailleurs. Quant à son regroupement autour d’une feuille de route commune pour le dialogue, il est très logique.
- Vous avez entendu les promesses du président de la République lors de la campagne présidentielle, de son discours d’investiture puis la Déclaration de politique générale du Premier ministre devant le Parlement. Qu’en pensez-vous ?
- En ce qui concerne les engagements du président de la République et de son Premier ministre, ils ne sont, pour nous, pas plus que des promesses et nous espérons la concrétisation de celles qui servent l'intérêt de cette nation épuisée. Mais la vérité, c’est que les expériences antérieures relatives aux paroles données par les dirigeants font que nous sommes peu enthousiastes, sans oublier le fait que les mesures prises jusqu'à présent ne donnent pas l'impression d’arriver à des résultats positifs.
Alors que le premier de ces engagements était de frapper d'une main de fer les personnes trempées dans la corruption et la gabegie, nous avons constaté des nominations bénéficier à des prévaricateurs dont la corruption a été confirmée. Nous avons également vu le mécanisme par lequel sont attribués les marchés publics, toujours inchangé, en plus de la confusion dans des procédures dont l’objectif premier peut être la consommation médiatique.
- Au lendemain de nomination et la composition de son gouvernement, le Premier ministre Moctar ould Diay a annoncé la réduction du prix du ciment puis de certains produits vitaux, comme le riz ou l’huile. Selon vous, où en est-on, depuis ?
- Nous saluons naturellement les mesures concrètes visant à réduire la pression sur les citoyens, notamment en ce qui concerne les prix, mais la vérité est que les réductions annoncées sont encore bien en-deçà du niveau requis. Les prix du ciment dans notre région se situant autour de 30 000 MRO (plus ou moins), il est illogique de qualifier d’acquis une réduction de 3 000 ou 4 000 MRO. Ceci s’applique au reste des biens de consommation indispensables, comme le riz qui tourne toujours autour de 7 500 MRO. Mais, à l’intérieur, la situation est plus grave et pourrait empirer. On peut élargir cette situation sur tous les produits (sucre, lait, huile...). Autant dire que la réduction opérée est très formelle et n'allège pas le fardeau de l’inflation sur les citoyens et leurs souffrances.
- Depuis l’ouverture des classes, les parents d’élèves, les enseignants et les promoteurs des écoles privées ne cessent d’exiger la révision de la loi d’orientation qui supprime le français dans les trois premières années du Fondamental. Beaucoup de parents avaient envoyé leurs enfants dans le Privé, les mieux lotis dans les établissements privés à programme français. Que pensez-vous de leur combat ?
- Le problème de l'éducation dans ce pays est un problème radical qui n'est pas seulement lié à la question de la langue mais qui s'étend au-delà à d'autres problèmes structurels, tels que le personnel pédagogique, les infrastructures et les programmes. Ce qui est actuellement entrepris porte sur une expérimentation s’inscrivant dans le cadre des expériences passées caractérisées par l'improvisation et la démagogie et dont les victimes sont les enfants soumis à des niveaux et formations en chute constante. Quant à la question de la langue, elle doit faire l'objet d'un dialogue interne qui ne soit pas axé sur la politique ou l'idéologie. Si cela se réalise, nous serons forcément d'accord.
- Les associations des langues nationales pulaar, soninké et wolof continuent par ailleurs à réclamer l’officialisation de leur langue respective avant leur introduction dans le système éducatif. Que pensez-vous de cette revendication ?
- Les langues nationales sont des langues authentiques dans ce pays et doivent occuper leur propre place comme elles doivent être un outil essentiel d’éducation. Je considère la demande de leur officialisation, après la langue arabe, comme une requête légitime et valable. Si cela est fait, nous ferons un grand pas dans la réalisation de l’objectif tant souhaité de l'harmonie entre tous les habitants de ce pays.
Propos recueillis par Dalay Lam