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Trois questions à Mme Siniya Haidara, présidente de l’Association des Femmes éducatrices pour la promotion des droits humains : « Le PM et son programme sont déconnectés des Mauritaniens »

Jeudi 10 Février 2022 - 11:53

Le Calame : Vous avez écouté la déclaration de politique générale du Premier ministre devant les députés. Qu’en pensez-vous ?
 

Siniya Haïdara : Oui, nous avons ouï le discours bilan et perspectives du Premier ministre (PM) devant les députés. Nous l’avons entendu décrire la situation du pays, bien loin de la réalité que nous éprouvons, au point d’avoir cru, à un moment, qu’il parlait d’une autre Mauritanie, pas celle en laquelle nous vivons tous. Nous avons entendu un PM vanter les résultats positifs des actions de son gouvernement ; les « quelques petits problèmes » qui existent seraient dus, selon lui, aux effets négatifs de la pandémie du Covid – 19.

Le PM balance mécaniquement « son »taux de la croissance qu’il estime à 5,6 % du PIB en 2022. Cela voudrait dire que le pays aurait progressé économiquement, devenu un peu plus riche. Mais où est passé ce petit surplus de richesse ? Quel sens peut avoir ce chiffre pour les 99 % des mauritaniens qui peinent à couvrir leurs besoins alimentaires quotidiens ? Le PM jubile alors que l’écrasante majorité des Mauritaniens éprouvent tout le mal du monde à accéder aux services de base (santé, éducation, eau potable et énergie).
 

Non, le PM est passé à côté. Il n’a convaincu personne. Les nombreux mauritaniens avec lesquels nous échangeons ne croient pas un instant que ce gouvernement, avec à  sa tête monsieur Mohamed ould Bilal, soit capable de les soustraire de leur misère. Les biens du pays qui nous appartiennent, à nous tous, sont dilapidés sous nos yeux ; la gabegie bat plus que jamais bat son plein. La facture bien salée du bâtiment de l’Assemblée nationale en est l’exemple le plus frappant et le plus récent. Nos milliards jetés pour un « machin »où les députés déclarent en plénière s’écorcher les jambes en cherchant à prendre place sur un mobilier inadapté. Allez-y comprendre cette « volonté » du PM à bien gérer les affaires publiques.
 

À en croire celui-ci, l’action du gouvernement serait focalisée sur les priorités définies dans le programme du président de la République, qui s’articulerait autour de quatre axes stratégiques dont le deuxième serait « une économie résiliente et engagée sur le chemin de l’émergence ». Quelle « émergence » si éloignée de nos préoccupations quotidiennes ! Nous, Mauritaniens, voudrions d’abord assurer les trois repas quotidiens à nos familles, réussir à envoyer nos enfants à l’école, soigner notre grippe quand nous tombons malades, arrêter de boire de l’eau souillée, transportée à coups de jerricans… En un mot, le PM et son programme sont déconnectés des Mauritaniens.

 

Vous présidez l’Association des femmes éducatrices pour la promotion des droits humains. Veuillez nous parler de la réforme du système éducatif, de « l’école républicaine » - cette volonté du Président de la République - mais aussi de la place des filles dans nos écoles.
 

- Il est clair que l’actuel système éducatif mauritanien produit des élèves de niveau très faible. Les 5% d’admis au baccalauréat 2021 sont un indicateur qui devrait inquiéter les décideurs et les amener à agir plus efficacement. Faites le tour des ministres et des grands commis de l’État et revenez nous qui parmi eux envoie ses enfants dans notre « bonne école » publique. Eux ont les moyens et le choix.

Pour être efficace, une refonte du système éducatif doit être le fait de vrais techniciens, loin des tiraillements politiciens qui ont jusque-là miné toutes les tentatives de réformes.
 

En ce qui concerne les jeunes filles dans nos écoles, la situation n’est pas reluisante. Présentes dans les petites classes, elles disparaissent au fur et à mesure qu’on avance dans le cursus. L’école coûte cher. Quand des parents de situation matérielle modeste doivent choisir, ils préfèrent continuer à envoyer les garçons à l’école. Les filles quittent très souvent l’école pour être mariées. Depuis des décennies, l’État mauritanien a développé des actions en faveur de la scolarisation des filles mais il faut des mesures plus incitatives pour l’améliorer.

 

Vous êtes activiste des droits humains. Pouvez-vous évaluer, en quelques lignes, leur état dans notre pays ? Que dites-vous du rejet, à deux reprises, de la loi sur le genre ?
 

- Force est de reconnaître qu’actuellement, les droits humains ont bien reculé en Mauritanie. Les libertés individuelles et collectives sont confisquées par le régime actuel. Pour un oui ou un non, les lanceurs d’alerte sont mis en prison. La torture est devenue monnaie courante. Les expropriations foncières, tant agricoles qu’à usage d’habitation, continuent de plus  belle (Feralla, Dar El Barka, N’Gawlé, quartiers périphériques de Nouakchott…)
 

Que dire des violences faites aux femmes ? Les auteurs d’agressions graves contre les femmes et filles développent un sentiment d’impunité ; la justice mauritanienne et sa police judiciaire sont très machos, elles traînent les pieds quand nous leur présentons des cas patents. Elles doivent être plus fermes avec les criminels et autre délinquants ; la protection des mauritaniennes n’en sera que meilleure.

Oui, nous avons été très déçues par le rejet répété du projet de loi sur le genre. Nous réfléchissons sur une nouvelle stratégie de plaidoyer en faveur de l’adoption de cette loi et vous promettons de revenir en détail sur cette question – et bien d’autres – d’ici peu. Merci de votre attention à notre lutte.

 

Propos recueillis par Dalay Lam lecalame

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