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"Tonnerre au dessus des Vagues" d’El Ghassem Ould Ahmedou: Un essai poétique ou un poème cognitif?

Vendredi 21 Avril 2017 - 13:33

"Tonnerre au dessus des Vagues" d’El Ghassem Ould Ahmedou: Un essai poétique ou un poème cognitif?

En ouvrant pour la première fois le dernier ouvrage d’El Ghassem O. AhmedouTonnerre au-dessus des Vagues (éditions Joussour/Ponts, 2017), je m’attendais, franchement, à un essai, dans la ligne de Le génie des sables, publié par l’auteur en 1991 ou  une étude à la manière de La mahadra ou l’école à dos de chameaux (L’Harmattan, 1996). A ce sujet, le sous-titre de l’oeuvre« Pensées sur un monde à la dérive » est en lui-même fort explicite ; le mot « pensées » au pluriel fait penser, sans équivoque possible, au genre cognitif et aux différents registres de ce genre (le subjectif, le polémique; ou l’objectif, l’historique etc.), plutôt qu’à tout autre genre ou registre. L’avant-propos aussi, sûrement, entraine dans la même attente : En six phrases, réparties en autant de paragraphes, l’auteur précise son sujet et décline son projet d’écriture : « L’actualité interpelle sur les violences et les guerres en Terre d’Islam. Autour de nous un monde s’écroule comme un château de cartes. Le sang des innocents coule à flots (…) L’attitude de certains pays trahi un déficit d’humanisme… » (p.5)

Cela frise, on le sent, le libelle ; le pamphlet.

Si on ajoute à tout ce qui précède, que sur les quatre œuvres qu’on lui connaît déjà, El Ghassem O. Ahmedou n’a publié qu’un seul texte non cognitif ; Le dernier des nomades ; un roman, et que l’exergue (une citation de Daniel Cohn-Bendit) évoque l’engagement de gauche en faveur des causes gauchistes, on est davantage porté à croire que le petit opuscule de 73 pages qu’on a entre les mains est bien un essai, une étude ou un factum. Un essai poétique ?

Sommes-nous donc en présence d’une œuvre de réflexion personnelle et subjective, sur les problèmes de notre temps : Les guerres qui ravagent les pays d’Islam, les drames des réfugiés économiques ou de guerre, la propagation des maux qui touchent aux relations de l’homme avec son frère l’homme ? Après avoir écrit sur des sujets qui concernent spécifiquement l’espace nomade et  mauritanien en particulier, El Ghassem Ould Ahmedou donne-t-il, dans ce livre, un essai ou une étude sur des problématiques plus universelles ?

Nous avons la réponse dès la page 7 ;la typographie du texte parle : Une suite de phrases nominales esseulées dans une ligne chacune, sans ponctuation, figurant des vers (ou des versets), regroupées en  séquences à la manière des strophes… autant de caractéristique de la poésie, donc. Un long poème cognitif de 73 pages, déroulé comme un rouleau d’instantanés du monde en folie, captés par le focus omniscient et omniprésent de la conscience d’un témoin qui se sent meurtri, lanciné dans chaque portion de son âme par les atrocités qu’inflige l’actualité à ses sens.

Voilà résumée la grande équivoque de cette œuvre d’ElGhassem Ould Ahmedou.

Un poème, donc. Mais un poème…d’idées, de pensées. L’auteur partage avec nous, en même temps que les images imprimées par le spectacle affligeant de notre monde dans sa conscience et dans son âme, les réflexions que lui inspire ce spectacle ; comme s’il avait fait siennes, d’un seul élan, la définition par Goethe de la poésie : « Qu'est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image. »et celle de V. Hugo dans Les Orientales :«Tout est sujet ; tout relève de l'art ; tout a droit de cité en poésie (...) le poète est libre.»Il est libre d’associer ses idées et points de vue, exprimés de manière décisive et péremptoire, avec les élans de son cœur et les larmes de ses yeux ; d’associer les belles métaphores filées avec les plus didactiques et argumentativesdes propositions ; d’associer le rationnel avec l’irrationnel, la sensibilité avec la raison et d’enfiler encore d’autres  associations inattendues.

Goethe, ne nous soulage-t-il d’ailleurs pas de l’embarras générique et formel où nous plonge, inévitablement, la comparaison entre le titre et le sous-titre de cet ouvrage avec la composition du corps du texte, lui qui, s’interrogeant « Qu'est-ce que la poésie ? » répond aussitôt : « Une pensée dans une image.»

El Ghassem nous livre, donc, ses pensées sur un monde à la dérive, à travers la compilation, à la manière du défilement ininterrompu de diapositives, de scènes parfois très dures ; voire franchement insupportables, de la bêtise de l’homme aujourd’hui : Corps déchiquetés/Corps brisés/Espoirs laminés/Vies exterminées

Cette séquence revient, anaphorique,  à plusieurs endroits du texte (pp. 48, 49, 52, 53, 60…), comme si l’auteur voulait infliger au lecteur la vision horripilante des images mortifères qu’offre le monde où nous vivons ; comme s’il voulait donner à appréhender ce Long tremblement qui traverse l’humanité (p.7), cet Apocalypse dévastateur (p. 13) et ces Folles rumeurs  sur le destin/Sur le rythme de la vie/Sur les Hommes(p.13).Et il décrit la situation sous forme d’un Tsunami déchaîné/Au nom des libertés/Au nom des démocraties/Au nom de l’Humanité (p.14).Voici peint le tableau général, le cadre dans lequel se déroule le désastre : Un monde dévasté, emporté dans un tourbillon apocalyptique, transformé en champ de ruines.

Mais El Ghassem O. Ahmedou ne s’arrête pas là. En effet, persistant toujours dans le choix qu’il a fait de partager avec le lecteur ses pensées sous forme de scènes de l’actualité ; il enfile, l’une après l’autre, avec une insistance qu’on pourrait trouver sadique (peut-on d’ailleurs parler sur les atrocités d’aujourd’hui sans l’être un peu ?) des descriptions de différents foyers des tensions et  de désordres du monde en folie : L’Irak, la Syrie, la Lybie, la Tunisie, le Mali, sont tous en ruines, transformés en poussières : Poussières des grandes métropoles/Bagdad Damas Babylone/Alep Tripoli Tunis/Tombouctou/Bamako/Autres villes…(p. 17),

Dans ce tableau apocalyptique où les bombes, les gravats et la mort reviennent presque à chaque page, des événements de l’actualité vive surgissent de manière obsessionnelle : L’image d’Aylan, l’enfant syrien, fils de migrants kurdes dont le corps sans vie a été rejeté par les vagues sur une plage turque le 2 septembre 2015, revient comme une hantise, au point de transmuter, sémantiquement, le nom propre « Aylan » en un nom commun, une synecdoque de tous les enfants de réfugiés morts noyés dans la Méditerranée: Par dizaines tous les jours/Elans des Aylan brisés/Destin des Aylan interrompu/Têtes des Aylan couchées sur les plages/Regards droits dans l’éternité/Dans le vide/Par delà les vagues (p.35)

D’autres événements de l’actualité vive habitent la conscience et l’âme meurtrie du poète ;les gardes frontières qui ferment la voie de l’espérance et de la délivrance aux réfugiés : Les gardes frontières sont l’amère réalité /Shengen déshabillée/Shengen violée/Comble de la désillusion(p.31)

Nous abordons, à ce niveau, une autre dimension, un autre thème du texte : la dénonciation. El Ghassem Ould Ahmedou dénonce, avec véhémence, tour à tour, le printemps arabe qui a déçu les attentes des peuples et n’a produit que ruines et immigration : Ô printemps arabe tant clamé/Roses et fleurs devenus épines/Poussières des grandes métropoles (P. 17)

Le monde musulman, tout entier, est tantôt fustigé, tantôt harangué :« Où es-tu Islam ; répété sur une dizaine de pages (39 à 50) sur un ton de reproche pour avoir perdu l’« Essence pure de la paix /Essence pure du Pardon » qu’on trouve dans « Le vrai Islam du Salaf/ Le vrai Islam de la Source/ De la civilisation/ De la Fraternité » Chaque fois, deux images de l’Islam, l’une positive, méliorative, invoquée et appelée et l’autre négative, rejetée et vouée aux gémonies sont mises côte à côte ; El Ghassem tire beaucoup de ressources poétiques de cette figure de style ; l’antithèse. L’auteur semble plus sensible au supplice des femmes musulmanes, des mères surtout, dont les enfants vont mourir pour une cause insensée :Femmes d’Islam/Vos youyous ont nourri la prospérité/ efforts continus et bras infatigables/La terre encensée par vos larmes….(page 46)

La même chose est faite de l’Occident qui tourne le dos à ses valeurs et qui a droit à presque le même nombre de pages (pp.51 à 60) de fustigation et d’exhortation à retrouver l’esprit de ses valeurs et, très concrètement, à accueillir les réfugiés au nom de ces mêmes valeurs :Ouvre tes frontières à ces vagues/Ecoute la clameur des innocents/De ceux qui ont quitté la guerre/Le ravage des missiles

Ici, l’auteur avoue plus compter sur les « citoyens d’Occident », plutôt que sur les Etats et les gouvernements :Citoyens d’Occident/Entendez-vous les soupirs/Les impacts des bombes/Et l’odeur des fumées  (p.51).

Trois grands moments marquent donc  ce poème à l’évidence engagé :

  • La description du monde d’aujourd’hui, ses guerres et leurs horreurs, dont la plus abjecte est qu’on se bat partout contre un « ennemi inconnu » ; ses menteries et l’hypocrisie de ses faiseurs d’actualité ; l’illusion démocratique et la vanité des théories des droits de l’homme ; Ses victimes aussi ; l’auteur fait une grand place aux victimes.
  • La mise en exergue, à titre d’exemplum, de quelques foyers incandescents dans le monde d’aujourd’hui.
  • L’exhortation des forces vives du monde (les musulmans ; les femmes surtout, les imams, les citoyens d’Occident, les papes, les rabbins) à un ressaisissement humain et humanitaire pour une Sainte alliance qui met fin aux guerres de religions et apportePaix et salut sur l’univers (p.69)où il n’y aura Jamais plus de terreur/Jamais plus de violence(mais)Quelque part une nouvelle naissance (p.71)

Les quatre dernières pages renouent avec l’espérance et l’optimisme et l’on voit l’auteur décrire le dénouement de la tragédie sous par la belle métaphore d’une pluie providentielle qui s’annonce sur un pays désertique :Grondement éloigné du Tonnerre/Tonnerre au dessus des vagues (p.73) 

El Ghassem nous livre, dans une sorte d’essai poétique ou de poème cognitif sa vision de la disharmonie de notre monde actuel, pris dans la tourmente de ses turpitudes accumulées durant des siècles de mal gouvernance, de désertion de l’humain du cœur et de l’esprit de l’espèce humaine…Un monde où l’homme, pour s’être cru Dieu sur terre, n’arrive plus à gérer les créatures monstrueuses qu’il a inventées et qui s’appellent guerres, conflits de religions, frontières, xénophobie, impérialisme, etc. Un monde dont le salut réside dans le repentir ; c’est-à-dire la communion avec le Sahara et les valeurs Des hommes en fête (qui) célèbrent l’hospitalité p.72 ; un Sahara mythifié qui Berce les nouveaux esprits/Enchantés par le débordement/ Enchantés par la nouvelle musique…p.73.

Idoumou O. Med Lemine

Professeur de littérature et écrivain

source mauriactu.info

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