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un grain de sable pour secouer la poussière...

Rencontre avec le Docteur Dia, premier psychiatre de Mauritanie

Vendredi 8 Novembre 2019 - 09:13

Qui n’a jamais entendu parler du « docteur Dia « ?  Même le dernier des Touaregs au fin fond du  Sahara connaît son nom. À l’instar de notre Croque-Mitaine, de la Fée Carabosse, de Pinocchio, il a donné son nom à une expression populaire. En Mauritanie, «on va t’emmener voir le Docteur Dia» est couramment utilisée tant pour faire mettre en garde les enfants pas sages qu’entre adultes. Sauf que Docteur Dia existe vraiment. Il exerce toujours à Nouakchott et a accepté de nous recevoir, l’écrivaine Geneviève Damas et moi, et de nous parler de son métier. 

 

L’allée de carrelages de la maison à l’allure californienne et au jardin de fleurs jaunes écloses passée, on nous fait patienter dans un vaste hall aux tons bleutés. Après quelques minutes,  on nous signale que Docteur Dia est prêt à nous recevoir. Il nous invite à prendre place dans le vaste salon mauritanien où les bleus se côtoient et on nous sert du pain de singe frais. Assis, en tenue traditionnelle, vaste toge couleur ciel, assortie à ses yeux certainement bleuis par les années, il observe.

H24Info: Docteur Dia, vous êtes le premier psychiatre de Mauritanie, exercez-vous toujours ?

Docteur Dia: Je suis retraité, donc je n’exerce plus à l’hôpital mais seulement dans une clinique que j’ai montée, la clinique du docteur Dia. Un de mes fils qui a choisi d’être psychiatre aussi, travaille avec moi.

De quelle école psychiatrique êtes-vous ?
Je n’ai pas d’école en particulier mais la psychiatrie est une discipline médicale rigoureuse où les médicaments ont indéniablement une part à jouer. Je crois aux « neurotransmetteurs ».

Ma thérapie peut-être aussi d’inspiration analytique et/ou systémique, cette dernière étant presque toujours utilisée ici puisque la société a généralement un mode de fonctionnement tribal. Mais avant tout, c’est la rencontre avec le patient qui compte.  C’est elle qui détermine la technique à utiliser.

Y a-t-il des particularités psychiatriques à la société mauritanienne ?
Plusieurs. D’abord, ici il est d’usage de dire « on est hospitalisés » et non « je suis hospitalisé ». En effet, un patient n’est jamais interné tout seul. Il est accompagné par un des membres de la famille si ce n’est de toute la famille.

Ensuite, il y a les croyances. À l’inverse du médiatique  Tobie Nathan,  je ne pense pas que la culture d’origine du patient ait une importance outre mesure. « Aux pays des marabouts », quand les patients viennent en invoquant envoûtement, Djinns et Sheitan, je les écoute et ne tire que les symptômes objectifs nécessaires au diagnostic et à la prise en charge thérapeutique.  Quand ils me disent entendre des voix, je me renseigne sur les caractéristiques. Je cherche les éléments nécessaires au diagnostic de schizophrénie, de manie, de dépression.  Quand un patient me dit qu’il est envoûté et qu’il ne prend plus de plaisir, qu’il reste toute la journée au lit, je cherche les autres symptômes pouvant signer une dépression et je le traite avec des médicaments.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai effectué  une grande partie de mes études à Dakar au Sénégal. Le professeur Collomb, remarquant que dans les villages toute la famille déménageait à côté du thérapeute quand un de leurs membres était malade, y crée l’hôpital institutionnel de FAN, où la thérapie familiale était la ligne directrice. Sous sa direction, je m’y suis intéressé. Elle a fait par la suite l’objet de ma thèse. Cette approche thérapeutique de la maladie mentale est un essai de rétablir la communication, il s’agit en particulier de groupes d’expressions verbales. J’ai aussi étudié le psychodrame.

Ma formation, je l’ai complétée en France où j’ai côtoyé des grands noms de la psychiatrie. Parmi eux, Pierre Deniker et Pierre Pichot. J’ai enrichi ma formation en faisant pendant deux ans une psychanalyse.                                                                                          

Et puis je suis revenu en Mauritanie où j’ai œuvré, après avoir pratiqué « la psychiatrie sous la tente », pour la création d’un service psychiatrie au sein de l’hôpital général. C’est ainsi qu’en 1978 le service de neuropsychiatrie a vu le jour. En 1990, a été créé l’hôpital des spécialités, comprenant psychiatrie et neurologie.

Quel avenir pour la psychiatrie en Mauritanie ?
Et ailleurs ?!, rajoute-il. L’horizon est immense. Contrairement à d’autres disciplines médicales, la multiplication des recherches en psychiatrie a permis de faire un bond énorme. Il reste encore beaucoup à faire. La connaissance de l’esprit humain est passinnante et  infinie car il est en perpétuelle évolution.

En ce qui concerne le pays, il y a un psychiatre diplômé qui est chef à l’hôpital des spécialités.  Il y près de cinq étudiants en cours de formation, un d’eux finit l’année prochaine.

Etiez -vous prédestiné à la psychiatrie ?
Je viens d’une famille d’agriculteurs, « le petit  prodige », nous a expliqué ultérieurement sa fille.  Je suis le premier à faire des études.  J’ai fait d’abord médecine.  Et puis la psychiatrie a été une question de rencontres !

Docteur Dia, nous regarde ensuite, et s’adresse à nous : Et si vous nous parliez de vous ? J’ai beaucoup parlé, à votre tour maintenant…

À la fin de la rencontre, on vient nous raccompagner. À la porte, la fille du docteur Dia court vers moi. Elle me remet le livre de son père  La psychiatrie au pays des Marabouts. Sur la première page il est inscrit: «Merci d’avoir visité le vieux psychiatre».

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