Le Calame : Vous venez d’essuyer le refus des pouvoir publics pour la tenue d’une conférence de presse qui devrait se tenir le mardi 10 octobre, pour faire le point sur les résultats d’une pétition sur l’esclavage en Mauritanie que vous aviez lancée, il y a quelques mois. Quels sont les motifs qu’on vous a opposés ?
Ahmedou Vall Messaoud : Rien, sinon, le fait du prince, le président Mohamed Ould Abel Aziz considère que la Mauritanie est sa chose privée, et qu’il peut la régenter à sa guise. Comme bon lui semble. Pourtant comme je l’ai rappelé au moment de la notification par le Hakem de Tevragh Zeina, de l’interdiction de la conférence de presse, la Constitution mauritanienne est extrêmement claire dans ce domaine. Ould Abdel Aziz, doit savoir, étant le garant de ladite constitution qu’elle consacre la sacralité des libertés d’opinion, d’expression, d’association, de réunions, de déplacements et de manifestations. Ces énoncés constitutionnels s’imposent à tous les acteurs de l’espace public et à toutes les autorités administratives du pays. Au demeurant, aucune raison ne saurait être évoquée pour suspendre les droits et libertés des citoyens, que celles prévues en cas de crise politique majeure. Cette interdiction s’inscrit en droite ligne des dérives autoritaires du pouvoir en place qui s’est matérialisée par l’interpellation, l’audition et la mise sous contrôle judiciaire des sénateurs, syndicalistes et journalistes. Pour sa part, le sénateur Ould Ghadda croupit en prison depuis bientôt 2 mois, sans jugement alors qu’il bénéficie de l’immunité parlementaire. Son seul crime aura été de voter contre les amendements constitutionnels et d’être le président de la commission sénatoriale chargée de faire la lumière sur les marchés de gré à gré ces dix dernières années.
Certaines informations, qui nous sont parvenues par ailleurs, laissent entendre que le gouvernement mauritanien aurait subi des pressions de la part des autorités françaises, qui ne voient pas d’un bon œil cette conférence de presse qui met au devant de la scène publique la responsabilité historique de la France dans la persistance de l’esclavage en Mauritanie. A ce sujet, la déclaration du porte-parole du gouvernement, Mohamed Lemine Ould Cheikh (notre Goebbels national) lors des commentaires des travaux du conseil du conseil hebdomadaire du jeudi 6 octobre dernier, donnent à penser que la conférence ne serait pas autorisée. Et que la décision a été prise en conseil des ministres.
Vous dénoncez souvent l’attitude de la France, la puissance colonisatrice, qui n’aurait pas combattu avec fermeté l’esclavage en Mauritanie. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Avec l’arrivée au pouvoir d’E. Macron, qui avait déclaré, lors de son séjour à Alger que la colonisation était un crime contre l’humanité. Donc, toute l’intelligentsia africaine avait bien accueilli ces propos et pensait que l’esclavage, qui est la forme la plus cruelle de l’exploitation de l’homme par l’homme étant défini par Aristote, il y après de 3 mille ans comme le statut social d’un homme qui appartient à un homme. A fortiori, la situation en Mauritanie s’est caractérisée, depuis 1848 jusqu’à nos jours par la non application du décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage dans les colonies et celui du 12 décembre 1905 destiné à réprimer la traite des esclaves dans toute l’étendue de l’Afrique occidentale et au Congo. En d’autres termes, malgré l’abolition de 1848, sous l’impulsion du secrétaire d’Etat à la guerre et aux colonies, Victoire Schoelcher qui a permis la libération des millions d’esclaves dans toutes les colonies françaises, aux Antilles et en Guadeloupe. En Mauritanie, le statu quo a été maintenu. Les esclaves avant 1848 sont demeurés esclaves après 1848. Et ceux de 1905 sont demeurés esclaves après 1905. Comme a dit un colon belge, aux Congolais, avant l’indépendance, égal après l’indépendance, rien ne change.
Plus grave encore, l’esclavage en Mauritanie a été utilisé par l’administration coloniale locale, tant par Faidherbe que par Coppolani pour faire pression sur les tribus arabo-berbères, comme l’a dit en 1854, le gouverneur Faidherbe, les esclaves fuyant les tribus en guerre contre la France seront libérés, ceux qui fuient les tribus amies à la France seront remis à leurs maîtres. Coppolani avait lui aussi rassuré en 1904 Baba Ould Cheikh Sidiya et les chefs de tribus arabo-berbères dans le cadre de la stratégie de la colonisation pacifique de la Mauritanie que rien ne sera changé au statut des esclaves s’ils acceptent la colonisation française. De même le colonel Gouraud, s’adressant aux populations de l’Adrar, en 1907 avait tenu les propos suivants : si vous acceptez la colonisation française, vous pouvez conserver vos moutons, vos ânes et vos esclaves.
Durant toute la période coloniale, l’esclavage a toujours fait l’objet d’un marchandage et d’une arme de pression et de dissuasion du colonisateur français sur les tribus arabo-berbères au point que les fugitifs, qui ont cru aux dispositions de la législation française et qui s’étaient réfugiés dans les postes coloniaux, sous le drapeau français étaient, sans état d’âme et sans remords, remis entre les mains de leurs maîtres qui étaient venus les chercher et qui n’hésitaient pas à les exécuter pour donner l’exemple aux autres esclaves qui tentaient de fuir un esclavage cruel, comme cela était le cas, en 1871, de la jeune femme réfugiée dans la localité de Gandiol, près de Saint Louis. En vérité, sur le territoire de la Mauritanie, pendant la période coloniale où flotte le drapeau français, emblème de paix, de liberté, d’égalité et de justice, le vrai visage de la France n’a été vu nulle part : la France des droits de l’homme, la France de la révolution de 1789, la France maternelle, bonne, généreuse et juste qui est selon les mots d Eduard Herriot « la plus haute personne morale qui soit au monde et que tout bon français doit servir comme telle. » André Malraux a dit également que ‘’la France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes’’.
Aussi étrange que cela puisse paraitre, et depuis quatorze siècles, l’islam a interdit de réduire quiconque en esclavage, croyant ou non croyant, Blancs ou Noirs, selon l’Esclavage en Terre d’Islam de Maleck Chabel. Le Prophète Mohamed (PSL) a été le premier à libérer Bilal. De son côté, le 2e Khalife, Oumar Ibn Khattab avait dit aux notables d’Egypte : de quel droit mettez-vous des hommes esclaves alors que leur mère les ont engendrés libres ?
Contrairement à ces illustres défenseurs de l’Islam, nos Imams présentent une image déformée de cette religion. Ainsi, pas plus tard qu’hier, la Fondation Sahel, dirigée par Brahim Ould Bilal, a dénoncé l’attitude d’un Imam qui faisait l’apologie de l’esclavage à Teyarett, quartier périphérique de Nouakchott.
Dans le même temps, les sondes américaines voyageurs I et II lancées dans l’espace, depuis 40 ans ont donné leur position respectivement à 17 milliards et 20 milliards de kilomètres de la terre. C’est souligner ici, la distance qui nous sépare des autres pays. Et le président Trump a ordonné, il ya 2 mois à la NASA d’envoyer un vol habité dans moins de dix ans sur la planète Mars, cinquante ans après que Armstrong a lancé sa célèbre phrase sur la lune : « un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité ».
-Pourquoi une telle initiative alors même que le gouvernement d’Ould Abdel Aziz a érigé cette pratique en crime contre l’humanité?
D’abord ce n’est pas Ould Abdel Aziz qui a criminalisé l’esclavage en Mauritanie, mais les Nations Unies, lors de la conférence de Durban en 2001 en Afrique du Sud qui ont déclaré que « le Racisme, la discrimination raciale, la Xénophobie sont des crimes contre l’humanité ». Pour être plus précis, le texte est le suivant : « nous reconnaissons que l’esclavage et la traite des esclaves et en particulier, la traite transatlantique ont été des tragédies effroyables dans l’histoire de l’humanité. Non seulement en raison de leur barbarie odieuse, mais encore par une ampleur de leur caractère organisé et tout spécialement leur négation de l’essence des victimes. » J’ajoute que même si Ould Abdel Aziz a érigé l’esclavage en crime contre l’humanité, le verdict rendu à Néma, dans le dossier 110 -2016, en appel dans l’affaire des dames : Fatimétou Mint Hamdi et Fatimata Zayid et leurs dix enfants soumis en esclavage pendant quarante ans par les deux criminels, Hanana Ould Sidi Mohamed et Khlifa Ould Hmeyada qui n’ont écopé, en tout et pour tout que 5 ans de prison dont 4 avec sursis et un an ferme et une légère amende, alors que la loi 31 -2015 stipule un minimum de dix ans et un maximum de 20 ans. Les verdicts prononcés en la matière sont considérés comme des faits anodins, de simples faits divers.
Peut-on parler aujourd’hui de deux Manifestes des Haratines pour les droits politiques, économiques et sociaux, après le départ ou l’exclusion d’Ould Handeya et des ses amis ?
-C’est le régime dans sa stratégie de conquête et de conservation du pouvoir, qui applique la méthode de Machiavel « diviser pour régner. » C’est ainsi qu’il est parvenu à débaucher plusieurs cadres des partis de l’opposition, il a multiplié par dix le nombre de syndicats pour les affaiblir, ainsi que les Ongs de défense des droits de l’homme. Ce qui est surprenant c’est que les efforts qu’il met en œuvre à déstabiliser ces formations de défense des droits de l’homme, s’il en avait consenti, ne serait que la moitié, pour éradiquer l’esclavage, le débat serait clos. Nous sommes conscients de cette politique que mène le pouvoir d’Ould Abdel Aziz, nous y résistons. D’ailleurs certains cadres de l’autre tendance devaient participer à notre conférence de presse. Nous allons nous mobiliser pour que la marche à l’occasion du 4e anniversaire du Manifeste puisse se faire ensemble.
Propos recueillis par Dalay Lam
source lecalame.info