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un grain de sable pour secouer la poussière...

Quand le fleuve Niger irriguait le Hodh, et les contrées transfrontalières du Mali et de la Mauritanie au 15 siècle/Par Pr El Moctar El Hacen Ahmed Salem*

Vendredi 6 Septembre 2024 - 11:22

Comme le fleuve Sénégal, le fleuve Niger prend sa source au massif du Fouta Djalon (Guinée), et se jette dans l’océan atlantique, au niveau du Nigéria maritime, avec un parcours de 4200 Km, et une traversée de 9 pays riverains. Le fleuve Niger est le troisième fleuve d’Afrique de par sa longueur après le Nil et le Congo. En termes de débits et de surfaces de Bassins, celles-ci sont dix fois plus importantes que le fleuve Sénégal, qui a une juste longueur de 1800 km. Le fleuve Niger est officiellement géré par l’ABN (autorité du bassin du Niger) comprenant 9 pays faisant partie du bassin dit élargi du fleuve (Guinée, Mali, Côte d’ivoire, Burkina, Niger, Nigéria, Bénin, Cameroun et Tchad). (Voir carte ci-dessous, source : Banque mondiale 2006 : Le bassin du fleuve Niger, vers une vision du développement durable 172p)
 

 La Mauritanie oubliée dans les pays, faisant partie du Bassin élargi du fleuve Niger :

Au 15ème siècle, le fleuve Niger est identifié dans ses limites-ouest, lors de fortes crues, au niveau des terres alluvionnaires des actuelles villes mauritaniennes de Fassala et de Bassiknou. Cette géographie ancienne du fleuve Niger en Mauritanie est attestée par deux documents de référence :

  1. LIVRE de PAUL MARTY qui a vécu entre 1882-1938 : « Etude sur l’islam et les tribus du Soudan, Tome 3, éditions collection de la revue du monde musulman, les tribus maures du Sahel et du Hodh, Paris, éditions ERNEST LEROUX, 28 rue BONAPARTE, Paris VI, 497 pages, repris en éditions de la BNF (bibliothèque nationale de France 2020) PAUL MARTY 1921.

Dans cet ouvrage, il est précisé au détail, les points géographiques suivants, à travers un projet royal d’un prince de l’empire Sonrai, qui tenait à mener sa barque vacancière en hivernage, jusqu’à même Oualata ; suivant en cela, l’écoulement généré par les contreforts du Dhar de Oualata, favorisant ainsi l’émergence de lacs et de mares en piémont :

«      

                      En 1921, toute l’extension de la cuvette du lac Faguibine (affluence du fleuve Niger) jusqu’à Ras El Maa, a été identifié topographiquement par le génie militaire du Soudan français à l’époque (actuel Mali). Et donc le projet du Canal du prince Sonrai a été bien précisé sur le terrain, et on arrivait à la conclusion que le Hodh mauritanien est bien une cuvette, comme son nom l’indique en Hassanya. Cependant, en Mauritanie, on ignore encore la géographie du territoire national, et pire, on confond parfois cette discipline d’ingénierie de l’espace, à une matière qu’on appelle aujourd’hui, dans le pays : « Histogéo » et qui n’existe même pas dans le monde, sauf dans les manuels de l’enseignement colonial, qui a ainsi regroupé, la physique et la chimie, la philosophie à la sociologie, et du coup, l’histoire à la géographie.

  1. Revue « Afrique, Archéologie, Arts » numéro 5/2007-2009/ p. 119-128 « Sites de pêche dans la région du Lac Faguibine à la transition Néolithique-Protohistoire »

Dans cette revue, il est écrit : « Le Faguibine est une vaste dépression située au nord-ouest du bassin subsidient du Delta intérieur du Niger, bordée au nord, par un accident tectonique majeur rectiligne. Alimenté par les crues du fleuve, ce lac est aujourd’hui presque totalement asséché. Sur l’ancienne île Fondogoro, un abri présente des peintures rupestres, à proximité d’une zone de pêche protohistorique (DA08, Raimbault et al. 2006). Les méandres du défluent situé à l’extrémité ouest de la dépression lacustre constituent le Canal de Sonni Ali en référence éponyme au souverain de l’empire Songhay, Sonni Ali Ber (1464-1492). Les Tariks rapportent qu’il avait pour projet d’y aménager un cours d’eau navigable jusqu’à Oualata, afin de pouvoir intervenir rapidement, à la frontière ouest de l’empire. Cette vallée asséchée traverse un massif dunaire de sables orange vif, qui recouvrent des sables blancs fins plus anciens, occupés à l’époque protohistorique. » Figure 1 - Localisation des sites du Canal de Sonni Ali (Lac Faguibine) au Mali et agencement des sites sur sable blanc dans les niveaux inter dunaires de l’erg récent :

                                                                    Et traces lacustres sur les plaines dunaires asséchées aujourd’hui :

La Mauritanie orientale transfrontalière avec le Mali est donc, dans le bassin du fleuve Niger, et ce, à travers les lacs du système hydrologique de Faguibine :

Dans la toile (Wikipédia),il est noté que : « Le système Figuibine réunit cinq lacs interconnectés alimentés par deux marigots effluents  du Niger entre les villes de Diré  et de Tombouctou  : le marigot de Kondi long de 64 km et le marigot de Tassakane long de 104 km, les deux fusionnant peu avant le lac Télé pour former le marigot de Goundam. Les cinq lacs (lacs TéléTakaraGouberKamango  et Figuibine) couvrent une superficie de 86 000 hectares.

Un bras du fleuve Niger, le Farabango, alimente en période de crue le lac Télé grâce à deux effluents du Niger appelés marigots, aux lits irréguliers et mal dessinés (marigots de Tassakane et de Kondi). Ceux-ci se rejoignent au niveau de Kaney, pour constituer le marigot de Goundam qui se déverse dans le lac Télé. Du Télé, les eaux passent sans obstacle important vers le lac Takara qui lui-même se déverse par-dessus le seuil de Kamaïna (côte 251 m) pour alimenter le lac Figuibine. Celui-ci inonde une superficie de 54 000 hectares. Lorsqu'il est inondé jusqu'à Ras El Ma (extrémité ouest), c'est-à-dire lorsque la crue atteint la cote 252 m, les eaux envahissent le lac Gouber puis le lac Kamango. Enfin lors des crues les plus importantes, les eaux peuvent par un chenal continuer leur route depuis le lac Figuibine vers deux grandes étendues inondables nommées Daounas Kaïna et Daounas Berry. Celles-ci n'ont cependant été remplies durant la dernière période, qu'en 1892 et en 1956-57… »
 

Aujourd’hui, les plaines prolongées du lac Faguibine menant vers l’ouest, dans la zone de Fassala et Bassiknou, sont totalement asséchées et ne génèrent plus comme dans le temps, eaux et pâturages, sauf dans des sites de reliquat du lac. Les populations maliennes se plaignent fortement de cette péjoration climatique, à l’exemple du maire de Bintagoungou au Mali, qui disait, lors d’un contact avec le site malien Sahelien.com en 2014 : « Le Faguibine, c’est le dernier lac du système Faguibine. C’est un réseau interconnecté de cinq lacs : Télé, Takara, Gouber, Komango et Faguibine. Le lac Faguibine, c’est ce grand lac, réservoir naturel d’eau qui a fait le bonheur de la région de Tombouctou et même du reste du Mali, de la Mauritanie durant des années ».
 

Dans une étude de l’AFD en 2019 (Lac Faguibine : un territoire au cœur de dynamiques complexes), il est souligné que : « Depuis l’assèchement complet du lac en 1983, les apports d’eau du fleuve Niger restent trop faibles, et la décrue complète chaque année découvre toutes les terres du lac Faguibine. Depuis lors, les maximums atteints par les crues correspondent à l’inondation des terrains de Mbouna et de Tin Aïcha. Aujourd’hui, il existe un véritable problème de remplissage du lac, qui constitue un phénomène structurel. Voir Évolution du niveau d’ensablement et d’assèchement du système Faguibine sur les périodes 1974-78 (gauche) et 2005-2006 (droite) Source : Nasa/Earth Observatory »
 

Les efforts louables de l’Etat-frère malien pour restaurer les terres de l’ouest du lac Faguibine, et au-delà, le développement des régions transfrontalières avec la Mauritanie :

L’étude AFD précitée nous informe également des efforts de l’Etat malien, pour restaurer les vallées et plaines du système hydrologique du lac Faguibine, par extension jusqu’à Ras El Maa (cité dans le projet Soni) : «En 2000, dans le cadre de l’intercommunalité, les nouvelles communes financées par le projet d’appui au développement local de Tombouctou-Ouest (PADL-TO) ont retenu d’investir une partie des fonds intercommunaux dans la mise en eau du Faguibine, qui constitue un projet fédérateur dont la réussite aura un impact certain sur le développement économique de l’ensemble de la région. Dans cette dynamique, une étude intitulée ‘’Études d’exécution pour le surcreusement et la protection environnementale des chenaux du Système Faguibine’’ a été lancée en 2002, par l’Assemblée régionale et réalisée par Sadiconsult.

En 2005 une étude de faisabilité “Étude de Faisabilité du Projet d’Aménagement et de Mise en Valeur du Système Caractérisation du Faguibine. Note de synthèse d’atelier P. 33/44 Lac Faguibine : un territoire au cœur de dynamiques complexes Faguibine” a été effectuée qui a abouti à l’établissement de l’Office de Mise en Valeur du Système Faguibine (OMVF). A partir de 2006, après sa création, l’OMVF a aussitôt mené quelques activités. Études menées : · Surcreusement du seuil de Kamaïna · Faisabilité pour la construction des pistes rurales de Goundam /Bintagougou-Goundam et Goundam – N’Bouna »
 

De Ras El Maa jusqu’à Bassiknou : Ensablement généralisé des plaines alluviales de 1970 à 2000 :

L’étude AFD souligne, qu’il y a un véritable problème de remplissage du lac, avec la généralisation de l’ensablement, et une cartographie a été commanditée par l’étude chez Nasa/Earth Observatory. Cette cartographie montre clairement les seuils de sable à dégager, pour que la lame d’eau des crues du fleuve Niger, arrive aux plaines de la frontière mauritano-malienne, au niveau du département de Bassiknou, comme dans le passé.
 

Restaurer par tuyauterie fermée le parcours d’eau du Niger à l’ouest, pour valoriser les terres, et freiner le mouvement des réfugiés maliens et la migration vers l’Europe :

Cependant l’étude aurait pu mentionner qu’une tuyauterie de canalisation (200 km) pourra ramener l’eau du fleuve Niger, jusqu’à ses limites d’antan, et redonner espoir aux populations maliennes et mauritaniennes dans leurs contrées traditionnelles. Cela freinera l’exode migratoire vers l’Europe, et permettra aux populations de restaurer la fertilité de leurs terres, et la diversité de leurs pâturages, face aux changements climatiques. Un tel projet devrait plutôt recueillir l’attention des partenaires présents auprès des réfugiés de Mberra, et faire éviter aux populations l’assistanat continuel à travers un projet réellement durable.
 

La coopération sous-régionale et transfrontalière est plus que nécessaire :

De cette géographie décrite ci-dessus, la Mauritanie doit œuvrer intensément, avec le Mali frère, et les autres Etats du bassin du fleuve Niger, ainsi qu’avec les partenaires internationaux  à développer la coopération transfrontalière, surtout dans un contexte de péjoration climatique accentué. Cela permettra aux populations maliennes et mauritaniennes de vivre leurs terroirs, et donc vivre, ce que la géographie leur a offert.

*Professeur habilité des universités françaises, et enseignant-chercheur à l’Université de Nouakchott. 
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