Voilà plus de deux semaines que le procès de la Décennie a démarré. Les accusés dont l’ex-président de la République Mohamed ould Abdel Aziz ont commencé à être auditionnés mais les débats ont tourné pour l’essentiel et comme on s’y attendait autour de questions procédurières. Après avoir soulevé moult exceptions, les conseils de l’ex-Président s’entêtent à évoquer l’incompétence de la Cour : en aucun, selon eux, le tribunal de la corruption ne peut statuer sur le cas d’un ancien président de la République que seule une Haute Cour de Justice (HCJ) formée par l’Assemblée nationale est habilitée à juger pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions. On se rappelle qu’au lendemain de la publication du rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) une telle HCJ avait été instituée à cette éventuelle fin. Une disposition abandonnée après de nombreux débats.
Convoqué devant la CEP et les limiers de la brigade d’enquêtes sur les délits économiques, l’ex- Président n’en a pas moins insisté à mettre en avant son immunité, en évoquant l’article 93 de la Constitution : « Le Président de la République », stipule celui-ci, « n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux Assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composants. Il est jugé par la Haute Cour de Justice. Le Premier ministre et les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. La procédure définie ci- dessus leur est applicable ainsi qu'à leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l'État. Dans le cas prévu au présent alinéa, la Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines, telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis. ».
Une posture dénoncée par les avocats de la partie civile qui évoquent une volonté de retarder le procès, de le déplacer sur d’autres fronts et de refuser d’affronter les questions de fond. Tandis que le coordinateur du collectif de défense des intérêts de l’État affirme : « C’est un procès de droit commun où un ancien Président est appelé à répondre d’un ensemble d’infractions. J’ai expliqué au président de la Cour – et il est dans le même état d’esprit – que nous tenons à ce que ce procès soit, pour tout le monde, unique en termes de garantie de l’ensemble des droits de la défense ».
Querelle d’experts…
Avec l’ouverture des débats devant le tribunal spécial chargé de la lutte contre la corruption dont Ould Abdel Aziz avait fait voter sous son règne la loi fondatrice, les conseils de l’ex-Raïs ont en remis une couche : incompétence de ce tribunal, article 93 encore et toujours… À quoi donc maintenant s’attendre ?
Premier scénario : les avocats maintiennent cette position et leur client refuse de répondre aux questions du tribunal. Peut-être envisageable par ceux-là, cette option ne changera rien à l’issue du procès : le tribunal appréciera les arguments de la défense et de la partie adverse pour fonder sa décision, explique un greffier, rappelant au passage le procès de l’ex-président tchadien Hissène Habré en 2016. L’accusé avait refusé de parler, ce qui ne l’empêcha pas d’écoper de la perpétuité et d’une lourde amende. C’était une Première : un ancien président africain jugé par des chambres africaines avec l’appui de l’Union Africaine ! Et notre greffier de se demander pourquoi les avocats de la défense n’ont-ils pas demandé aux sages du Conseil Constitutionnel leurs lecture et interprétation du fameux article 93. « Cela pourrait mettre fin », pense-t-il, « aux nombreuses controverses à ce sujet. »
Second scénario : Ould Abdel Aziz accepte de répondre aux questions du tribunal sur le fond. « Auquel cas il sera obligé à justifier la fortune colossale dont il se vante de disposer », note un avocat du barreau mauritanien.
Des justifications au demeurant très attendues par l’opinion mauritanienne. Comment un ex-Président qui dit n’avoir pris un seul sou de son traitement a-t-il pu se constituer la fortune révélée par les différentes enquêtes de la CEP et de la police économique ? Qui sont ses complices ? Le déballage tant attendu et redouté serait-il enfin arrivé ? Celui qui a dirigé le pays pendant dix ans – et la garde présidentielle, des années durant auparavant… – accepterait-il de tomber seul ? Croira-t-on ses éventuelles explications ? Face aux très lourdes charges lourdes portées contre lui, il sera en tout cas très difficile à ses conseils de lui sauver la tête. L’avocat sénégalais maître Cledor Ciré Ly n’en doute pas : tout est fait pour humilier son client. Y a-t-il plus grand camouflet pour un ex-Président craint, redouté et adoré en son temps que d’être accusé de détournement de deniers publics, blanchiment d’argent, trafic d’influence, obstruction à la justice… ?
C’est dire donc que la reprise du procès, lundi 13 Février, est très attendue. Comme le disait au journal de 20 h un ancien journaliste sénégalais, après avoir lu le courrier « arrivée et départ » de la présidence de la République : « Passons aux choses sérieuses ! » (ce qui lui valut une mise à pied). Les deux parties vont devoir aborder le fond du dossier. Mais en dépit de son importance, celui-ci ne semble pas intéresser beaucoup de mauritaniens. La majeure partie d’entre eux reste engluée dans des problèmes de survie, le restant beaucoup plus préoccupé de politique politicienne en laquelle nos élites excellent…
Dalay Lam
lecalame