Il me faut revenir sur mon adolescence afin d’évoquer ceux auxquels je dois ma personnalité, ma culture et le modeste savoir qu’ils s’échinèrent à m’injecter afin que je réussisse dans la vie. Je veux, par ce papier, rendre hommage à ces enseignants qui accomplirent tant de sacrifices et d’efforts à former les premières générations d’élèves du jeune nouvel Etat qui était la Mauritanie.
Ces enseignants qui étaient craints et respectés, pour la plupart ; à nos yeux, des personnes plus que modèles pour ne pas dire des super-hommes. Ils incarnaient à la fois le respect, la crainte et l’admiration pour les enfants que nous étions. Tout geste ou parole de leur part avait valeur morale. Nous étions certains qu’imiter leurs paroles ou leurs actes nous mènerait sur la voie exemplaire de la réussite. Les maîtres de français nous enseignaient la majeure partie de la journée. Pour les cours préparatoires et élémentaires, ils nous prenaient en charge de huit à dix heures et de quinze à dix-huit heures. Deux heures seulement étaient consacrées à l’arabe, de dix heures à midi. Pour les deux cours moyens, le matin était réservé au français et le soir à l’arabe.
Les enseignants étaient divisés en deux catégories. Celle des francophones était majoritairement composé de contractuels étrangers, surtout des sénégalais. Quelques rares mauritaniens, surtout de la vallée, maîtrisaient la langue de Molière. Parmi les sénégalais, certains brillèrent singulièrement ; comme Seini Ndiaye, Silla Alley, Fall Boubacar ou Sall Amadou. Un autre groupe de contractuels venait du Dahomey et du Bénin, certains vécurent chez nous jusqu'à leur mort. On citera ici Kokou Dagbelo, Justin Abomey, Janvier Abdoulay et Basil Agbo. Il y avait aussi des guinéens, des ivoiriens et des maliens.
Les « seyidi » ou maîtres d’arabe formaient la seconde catégorie. Ils n’étaient pas du tout méchants, pour la plupart, et il était rare que l’un d’entre eux utilisât le bâton ou la cravache. Ce qui causa souvent de la pagaille en cours d’arabe, les bavards s’en donnaient à cœur de joie. Pourtant, certains de ces maîtres se faisaient respecter et étaient craints, tels les défunts El Bara ould Elemine, Sid’Ahmed ould Abderrahmane et Abdallahi ould Mouh.
Je fis mon entrée à l’école en Octobre 1969. Célèbre pour sa sécheresse, cette année-là me donna à découvrir l’école profane après celle coranique informelle. Au cours d’inscription (CI), on n’enseignait que l’arabe. Le manque de locaux nous obligeait à partager l’unique salle avec les élèves du CP1. Le moniteur Diakhité m’initia ainsi à l’alphabet français et j’appris aussi quelques mots par cœur, ainsi qu’une récitation qui demeure encore gravée dans mon esprit aujourd’hui. « Monsieur », comme on appelait les maîtres de français était un fin pédagogue guère méchant. Mais, contrairement au maître d’arabe, le défunt Bebbah gardait toujours sa cravache en main. Il m’enseigna les premières règles de grammaire et de conjugaison arabes.
En Octobre 1970, je fus transféré au CP1 de l’école primaire de Mederdra. Monsieur Kokou Dagbelo Rigobert, notre enseignant de français, était ressortissant de l’actuel Bénin. Variablement violente, sa méthode pédagogique nous permit d’apprendre à écrire et lire un peu le français. Il était courtois et aimait jouer avec nous, malgré la crainte et le respect dont il jouit auprès des morveux que nous étions. L’année suivante, je suivis le CP2 à la fameuse école Folenfant. Sidi ould Amar, un des plus méchants enseignants que j’ai connus, augmenta, bâton en main, nos connaissances en français. Il passait plus de moment à nous battre qu’à nous enseigner. Terreur pour nous, il hantait mes cauchemars. Il nous « ramassait » souvent ; c'est-à-dire qu’il nous battait un à un, sans raison. Les deux heures quotidiennes d’arabe nous étaient un vrai soulagement car le défunt Bidda ould Ethfagha ne nous battait jamais. Il nous faisait comprendre grâce à des aides visuelles, jeux et chansons. Ce que nous appréciions beaucoup, après les sévices que nous faisait vivre Sidi.
L’année suivante au CE1, nous vécûmes en paix avec le maître de francais, Baba ould Bogue, qui faisait partie du mouvement Kadihine. Jamais il ne leva la main sur quiconque d’entre nous. Malgré cela, nous éprouvions beaucoup de respect envers lui qui nous fit passer à un niveau supérieur en français. Par contre, le maître d’arabe, feu Abdallahi ould Mouh, tenait tout le temps sa cravache en main et tout celui qui pipait mot était aussitôt battu. Notre niveau en arabe s’améliora, lui aussi, et nous apprîmes beaucoup sur la vie du Prophète (PBL). Au CE2, nous eûmes deux enseignants de français. Le premier ne passa avec nous qu’un trimestre. Il était gentil et aimait plaisanter. Sa belle écriture nous marqua. Il frappait peu et parlait un bon français. Mais ses activités anti-gouvernementales lui valurent d’être muté en brousse et il fut remplacé par ce que l’on appelait « un bouchon » : un élève du collège engagé pour remplacer un enseignant contestataire. Méchant et arrogant, il s’appelait Niasse. Il ne nous enseigna durant toute cette année que l’orthographe. Notre maître d’arabe était le poète et érudit Zeïdoun ould Hademine. Cet homme qui agitait souvent sa cravache n’en assena pourtant jamais un coup à quiconque. Il nous apprit de la grammaire et surtout des poèmes.
Au cours moyen première année, notre maître de français fut le compétent et méchant monsieur Sylla. Avec lui, nous avalâmes le Bled, le livre de grammaire et conjugaison, ainsi que l’Auriol, le non moins réputé livre de maths. Une bonne préparation pour le CM2. Je retrouvai mon ancien et toujours aussi méchant maître d’arabe feu Bebbah qui nous inculqua, avec ses douloureux coups de cravache, beaucoup de choses.
L’année 74-75, le compétent et méchant Mohamed ould Bouhoum, directeur de l’école, nous fit passer sans problèmes le concours d’entrée en sixième, grâce à ses excellentes méthodes pédagogiques. Sans lui, beaucoup d’enfants de Mederdra seraient passés à la délinquance car il y avait non loin un cinéma qui se révélait très efficace outil de formation à ce phénomène. En arabe, c’est le défunt Sid’Ahmed ould Abderrahmane, lui aussi craint et respecté, qui donna tout à notre réussite en Arabe.
Rares, cependant, ceux qui se souviennent de l’énorme travail accompli par ses humbles personnes dont beaucoup ne sont aujourd’hui plus de notre monde. Ni le gouvernement ni les citoyens ne pensent à revaloriser leurs efforts.
Mosy
lecalame.info