Nouakchott (« là où souffle le vent », en berbère) paraît encore tout droit sortie de ce terrain vague entre la mer et le désert naissant qui fut choisi parce qu’éloigné des velléités d’annexion des voisins de la vaste terre de sables qu’est la Mauritanie. Ni Nouadhibou, proche du royaume chérifien, ni Rosso, ni Kaédi, sur la rive du fleuve Sénégal, ne rassuraient. En 1957, le vice-président du Conseil de gouvernement, Moktar Ould Daddah (qui deviendra le premier président du pays, en 1960), décida donc d’ériger en capitale ce qui n’était encore qu’un bourg de 500 habitants.
Alors conçue pour accueillir quelques centaines d’âmes supplémentaires par an, la ville en recensait déjà 8 000 en 1980. Elle en compte aujourd’hui 950 000, soit le tiers de la population du pays. Une succession d’événements a bouleversé les prévisions. Nationalisation des Mines de fer en 1974, guerre du Sahara occidental en 1975 et, surtout, rude sécheresse de 1970 à 1978 : les familles fuyant les pâturages étrécis et les combats trouvèrent refuge dans la jeune capitale – et pitance, grâce à la pêche. S’ensuivirent trente ans d’urbanisation sauvage, au cours desquels se sont multipliées les « gazras » (zones d’occupation illégale, non viabilisées) et leurs baraques en tôle.
La capitale est aujourd’hui bien mieux lotie. Elle s’est dotée d’infrastructures : réseau d’eau potable, routes goudronnées, feux de signalisation… Peut-on dire pour autant qu’elle est moderne ? Pas sûr. Étant l’une des plus jeunes capitales de la sous-région, la ville aurait pu profiter de l’expérience et des erreurs de ses aînées. Pourtant, elle accuse encore un déficit en matière d’assainissement. Certains déplorent le manque de rigueur dans la conduite des ouvrages, d’autres les complaisances qui engendrent du laisser-aller et incitent les Nouakchottois à ne rien respecter.
Ici, on empiète sans gêne ni sanction sur l’espace public. On investit un bout de parc pour y construire une dépendance, quelques mètres carrés d’une chaussée pour y poser sa boutique. On érige un dépotoir au nez et à la barbe de ses voisins. On se branche aux réseaux d’eau et d’électricité en toute illégalité.
Les feux rouges ? Personne ne s’y arrête. Les rares automobilistes auxquels vient cette folle idée, non contents de se faire doubler par leurs congénères, ne manquent jamais d’être salués par une rafale de klaxons et d’insultes.
Entrer dans le monde des grandes villes
Côté ambiance, la ville change et s’ouvre. Outre l’espace Camara, l’Institut français, les centres culturels marocain et égyptien, de nouveaux espaces ont été créés dans presque tous les quartiers par la Communauté urbaine et le ministère de la Culture.
Les Nouakchottois sortent. Le week-end, les avenues grouillent de monde. Les familles se détendent dans les parcs. Les femmes investissent les hammams et les salons de coiffure sans attendre l’occasion d’un mariage ou d’un baptême. Malgré les délestages et le faible débit d’internet, les jeunes organisent des soirées vidéo, filment leurs sorties et s’échangent les bons plans sur les réseaux sociaux.
Le pays au million de poètes ne dérogeant pas à sa réputation, on se retrouve pour déclamer des vers, dire des textes ou slamer. Et quand la nuit tombe, dans les restaurants et cafés des quartiers du palais des Congrès, de Tevragh-Zeina et de Basra, sur la route de Nouadhibou, dans la rue de l’Espoir et jusqu’au pied des dunes, on refait le monde autour d’un savoureux mélange de griots, de rappeurs, de poètes, de conteurs et de musiciens.
Souvent considérée comme sans âme à cause de son absence de monuments, de réel centre névralgique, mais aussi de sa culture de retenue, Nouakchott entre, à son rythme, dans le monde animé des « grandes villes ». Lui reste à trouver son code.
Bios Diallo