Une tranchée horizontale, peu profonde, dans un terrain abritant une forte densité de tombes, des hommes qui s’affairent donnant une multitude d’avis désordonnés sur un rituel normalement codifié parce que répétitif depuis la nuit des temps. Un alignement rectangulaire de briques destinées à stabiliser le sable. Le corps que l’on introduit dans ce rectangle. Des agglos que l’on place au-dessus et l’ensevelissement de ce qui restera la dernière demeure de Mohamed Fadel Ould Dah. Ainsi s’achève la vie sur terre d’un homme exceptionnel par ses qualités, par les valeurs qu’il porte et qui sont pour beaucoup l’ampleur de l’hommage qui lui a été rendu aussi bien à la mosquée Ibn Abass qu’au cimetière d’Arafat.
Le parcours de vie de Fadel fait partie de ceux qui méritent d’être portés à la connaissance de tous pour les leçons qu’il véhicule et qui peuvent constituer des sources d’inspirations pour les générations présentes et celles à venir.
« Fadel » comme l’appellent ses amis est né au tout début des années 40 du siècle dernier dans la localité de Bousteila de la Moughataa de Timbedra. Issu d’une communauté réputée pour la rigueur de son enseignement coranique, il se consacra, à l’instar des siens, à l’acquisition du Livre Saint. Une fois parvenu à la maitrise de ce savoir sacré et, plutôt que rester dans un environnement confiné dans sa piété, il décida, et c’est là l’un des traits de sa personnalité, de s’en extraire pour se rendre dans la ville de Timbedra où il officia, très jeune, en tant qu’enseignant du Coran dans une famille de fonctionnaires de l’État colonial.
En quête du meilleur
Constatant à nouveau qu’il était à l’étroit dans cet environnement, il décida de prospecter d’autres horizons en rejoignant l’Institut de Boutilimit afin pour suivre l’enseignement qui y était dispensé. Il s’y distingua rapidement par sa vive intelligence et par un esprit critique précoce.
Toujours en quête du meilleur, Fadel se rendit à Nouakchott et put bénéficier, avec plusieurs autres jeunes, d’une bourse d’études en Égypte. Une maladie l’immobilisa dans ce pays une année durant en l’empêchant de faire sa formation.
Sa détermination à aller toujours plus loin le conduit, cette fois, au Maroc où l’intervention de membres de la communauté mauritanienne lui ouvrit les portes de la faculté de droit. Il y réussit si bien que, plus tard, son professeur qui résistait à l’admettre dans ses cours lui présenta ses excuses au vu de l’excellence de ses résultats. Il sut réaliser durant ce séjour une autre performance car, à l’époque, tout mauritanien se trouvant au Maroc devait afficher son adhésion aux revendications du Royaume sur notre pays. Fadel sut se soustraire à cette compromission en se rendant, chaque fois, durant les vacances universitaires, à Nouakchott pour se signaler, à son arrivée, aux autorités du pays.
Son retour en Mauritanie coïncida avec l’effervescence politique marquée par la naissance et la montée en puissance du mouvement des Kadihines. En dépit d’une position, à l’époque enviée, de fonctionnaire à la présidence de la République, il n’hésita pas à rejoindre ce mouvement révolutionnaire où il se livra à des activités clandestines en devenant le principal rédacteur du journal Sayhat El Madhloum (Le cri de l’opprimé). Ce fut une période de sa vie où il endura, avec un courage et une pugnacité exemplaires, selon les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé, les privations, les maltraitances et la prison.
Convictions politiques patriotiques
Avec le déclin du mouvement des Kadihines, tout au moins dans sa première version, Fadel fut l’un des premiers à faire la distinction entre les convictions politiques patriotiques et le carcan doctrinal et dogmatique en vogue à l’époque. Il conserva une vision claire et des positions politiques équilibrées sur le pays, son présent et son avenir tout en se débarrassant des entraves idéologiques qui furent abandonnées par la quasi-unanimité du monde avec la chute du mur de Berlin.
Fadel trouva alors, grâce à ses compétences, un emploi de secrétaire du Conseil d’Administration de la SNIM. Il resta dans cette fonction jusqu’au coup d’État de 1978. Ce fut pour lui une période de repli sur soi consacrée pour l’essentiel à sa famille. Sa bonne étoile mit sur son chemin une épouse généreuse et charitable qui lui donna des enfants adorables. En dehors de ses heures de travail, il consacrait tout son temps à ses enfants qu’il entourait d’un encadrement affectif et éducatif. Plus tard, ces enfants devenus adultes, s’occuperont à merveille de leur père et l’assisteront avec dignité et amour jusqu’à son dernier soupir.
Le coup d’État de 1978 ouvrit à Fadel les portes d’une longue et riche carrière publique. Il exerça de nombreuses fonctions commençant, dans un premier temps, par la direction générale du journal CHAAB, puis par celle de Radio Mauritanie. Il démissionna successivement de chacun de ces postes pour incompatibilités d’humeurs politiques, fréquentes dans cette période de grande instabilité étatique et gouvernementale.
Il fut nommé par la suite ambassadeur en Irak et fut rappelé de ce poste pour occuper des fonctions de vice-ministre des affaires étrangères puis, par la suite, de ministre de l’hydraulique et de l’Énergie. Il exercera toutes ces responsabilités gouvernementales avec une compétence marquée par une très bonne connaissance de ses dossiers, un souci permanant d’équité et un sens constant de l’intérêt général. C’est grâce à lui notamment que fut initiée et réalisée l’intégration de la Mauritanie dans le programme de l’OMVS consistant à alimenter les pays membres de cette Organisation régionale en électricité provenant du barrage de Manantali.
Son départ du gouvernement a été l’occasion de mener une longue carrière diplomatique en exerçant les fonctions d’ambassadeur dans plusieurs pays : en Syrie, au Yémen, en Égypte et au Maroc.
Au terme de ces longues carrières politiques et diplomatiques, Fadel sera appelé à occuper, pour plusieurs autres années, la fonction de Conseiller à la Présidence de la République.
De Conseiller à la présidence de la République il fut nommé Secrétaire Général de l’Institution du Prix Chinguitty alors présidée par l’éminent professeur Salah Ould Moulaye Ahmed, une personnalité scientifique de grande valeur pour laquelle Fadel vouait estime et considération. Durant les années qu’il passa dans cette fonction, les cérémonies d’attribution des prix étaient un évènement attendu avec impatience pour les discours qu’il y prononçait et qui étaient unanimement appréciés à la fois pour leurs qualités intellectuelles et littéraires.
Comportement admirable et exemplaire
La carrière publique active de Fadel prit fin à son départ de l’Institut du Prix Chinguitty. Il consacra alors son temps à la reprise intégrale du Livre Saint, à sa famille et à ses amis.
En Croyant avisé, Fadel faisait preuve d’un comportement admirable et exemplaire face à la maladie et à la mort. Toujours serein, toujours lucide, toujours courtois il ne se plaignait jamais, à peine demandait-il des calmants quand les souffrances devenaient intolérables. Il continua à discuter de tous les sujets, à s’informer sur les questions d’actualité politique pour le grand intérêt qu’il porte au pays et à son avenir. Il resta tout au long de cette dernière et pénible étape de sa vie d’un courage, d’une dignité et d’une lucidité exemplaires. C’est avec ce stoïcisme, cette acceptation de la Volonté d’Allah qu’il sut gérer avec courage le décès inopiné de son fils unique, Salah, survenu au cours de l’année écoulée.
La disparition de Fadel nous privera d’une compagnie agréable, marquée par la courtoisie, les bonnes manières, des conversations instructives sur divers sujets : la poésie arabe qui l’enchantait uniquement quand il la trouvait de bonne qualité. Poète lui-même, il ne ratait jamais les émissions « Émir des Poètes », la musique traditionnelle maure qu’il apprécie en grand connaisseur, la philosophie qu’il aimait discuter avec certains de ses amis, et naturellement la politique sur laquelle il avait toujours des positions lucides, pertinentes et patriotiques.
L’absence physique de Fadel sera ressentie par tous et, tout particulièrement par ses proches, sa famille d’abord, ses amis et tous ceux qui le connaissent. Son souvenir restera à jamais gravé dans les esprits. Il fait partie des valeureux fils de la Nation qui ont contribué par leur lutte, par leur œuvre, par leur exemple à servir la Patrie.
Qu’Allah le couvre de sa miséricorde, et conforte sa famille et ses proches, Amine
Le 07/Mars/2024
Moussa Fall
lecalame