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Mise au point sur l’interview de Ahmed Salem ould Bouhoubeni, Président de la CNDH

Jeudi 20 Octobre 2022 - 11:53

Mise au point sur l’interview de Ahmed Salem ould Bouhoubeni, Président de la CNDH
Je viens de lire l’interview de Ahmed Salem ould Bouhoubeni, Président de la CNDH,  dans le journal Le Calame paru dans Cridem le 06 octobre, sous-titré « En matière des droits de l’homme, beaucoup a été réalisé, beaucoup reste à faire ». Monsieur le Président de la CNDH a mis en exergue toutes les réalisations faites dans le cadre des avancées  sur l’adoption de nouveaux instruments  et la mise en place de nouvelles institutions qui renforcent la surveillance, la protection et la promotion des droits de l’homme en Mauritanie. Le champ large qui reste à investir, qu’il dit « beaucoup reste à faire », le Président de la CNDH a voulu le passer sous silence peut-être sous l’optique de voir le verre à « moitié plein» plutôt que celui à « moitié vide ».

Dans le champ des droits humains, pédagogiquement, nous devons faire le  diagnostic des situations qui font obstacle  au plein exercice de tous les droits pour trouver des réponses adéquates afin d’y remédier.
Certes, ces manquements aux droits fondamentaux des droits humains sont nombreux, mais celui le plus préoccupant concerne le règlement des violations et crimes passés qui entravent encore l’unité nationale et le vivre ensemble, sur lesquels je n’entends pas la position qui devait être la sienne, de la CNDH.

A la question posée par le journaliste du Calame: " le président de la République tente de trouver une solution consensuelle au dossier dit Passif humanitaire avec les associations représentatives des ayants droit. Comment la CNDH a-t-elle accueilli cette initiative? Quel rôle pourrait jouer la CNDH dans cette recherche de solution? Pensez-vous qu’on pourrait arriver, cette fois-ci, à une solution définitive à ce douloureux dossier ?"

La réponse du Président est laconique et  pêche dans des généralités. La CNDH est une institution de médiation entre l’Etat (détenteur des droits) et les victimes des violations des droits de l'homme,  jouissant d’une indépendance conformément aux principes de Paris par rapport auxquels les Institutions Nationales des Droits de l’Homme(INDH) sont évaluées. De ce fait le Président de la CNDH ne doit pas se limiter à rappeler sa mission, formuler les vœux de voir cette question dépassée et renvoyer dos à dos je ne sais "quels deux  acteurs qui sont les obstacles à la solution de toutes les questions des droits de l’homme,  ceux qui soutiennent toujours qu’il n’y a aucun problème et ceux qui n’accepteront jamais la résolution des problèmes car ils en vivent ».

Un processus décrié

Je pense Monsieur le Président, vous devez jouer votre rôle pleinement, nommer ceux que vous indexez de constituer des obstacles à la recherche de solution et aller plus loin  pour décliner la vision de l’institution que vous dirigez  pour  une solution définitive à cette douloureuse question. Dans tous les cas de figure que vous pourriez présenter, c’est seul l’Etat qui est détenteur de ces droits, en est comptable et doit opter pour une solution juste, acceptable, respecter et protéger les droits des victimes.

En rétrospective du rapport annuel de la CNDH en 2019-2020, il est mentionné sur le chapitre concernant le « Passif humanitaire » (concept décrié par beaucoup d’acteurs)  qui doit être nommé un génocide, je cite :  « les actes posés par le Gouvernement pour d’abord organiser du 20 au 22 Novembre 2007 au Palais des Congés (Nouakchott) des Journées Nationales de Concertation et de mobilisation pour le retour organisé des déportés et le règlement du passif humanitaire, reconnaitre sa responsabilité dans les déportations, présenter ses excuses à la Nation et procéder à la signature d’un accord tripartite entre les Etats de Mauritanie, du Sénégal et le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) , procéder à la prière de l’absent à Kaédi , mettre en place une Commission Nationale chargée de recenser tous les fonctionnaires, les agents contractuels de l’Etat de différents départements, des différents établissements publics ou parapublics en Mauritanie ou à l’étranger, créer une Commission chargée de l’apurement du Passif Humanitaire comprenant les représentants des Oulémas, des départements ministériels concernés et de la « Coordination des victimes de la répression (COVIRE) », constituer une Commission nationale d’Identification des tombes des Victimes.

Le même rapport note « Malgré les actes posés et les efforts fournis par le Gouvernement, les associations reçues par la CNDH soutiennent qu’il reste encore à faire pour solder le dossier du passif humanitaire, dans le cadre d’une approche inclusive afin d’aboutir à un règlement juste, consensuel et définitif de la question du passif humanitaire ».
Ce constat est bien clair que les organisations de victimes de ces années de répression ont dénoncé le processus de règlement qui a été exécuté par le Président du Haut Conseil d’Etat à partir de 2009, visant ce que vous dites l’apurement du « Passif humanitaire ». Avant tout il faudrait que la CNDH rectifie la mention que  le partenaire de cette solution côté des victimes était le Collectif des Victimes de la Répression(COVIRE) au lieu de la Coordination des Organisations des Victimes de la Répression (COVIRE) qui est la mutation après l’alternance  à la Présidence du Collectif à la fin du mandat en 2012 que le Général en charge du dossier n’avait pas reconnu.

Il serait exact de préciser que ce processus de 2009  a été décrié parce que secret, la solution émanait unilatéralement des autorités, sans cadre juridique porté à la connaissance des victimes et du public dont la solution était circonscrite à offrir un soutien social aux ayants droit des martyrs commué  en réparation financière pour un règlement définitif du dossier et de soi-disant mémoire marqué par la prière aux absents le 25 mars 2009 à Kaédi, et décrété cette date comme journée de réconciliation nationale qui est dénoncée  et boycottée par les organisations des victimes dès le premier anniversaire le 25 mars 2010.

Question préoccupante

J’appelle le Président de la CNDH à prendre une position qui sied à la situation actuelle par rapport au règlement de cette question du génocide qui demeure préoccupante. Vous avez participé  à la session de l’examen de la Mauritanie par le comité des droits de l’homme de juillet 2019 qui a formulé parmi ses recommandations prioritaires la création d’une commission indépendante d’investigation pour faire la lumière sur la période dite du « Passif humanitaire », situer la chaine des responsabilités, punir les coupables et procéder aux réparations justes et pleines des ayants droit. Cette recommandation devait connaitre le début de son suivi depuis juillet 2021. Le secrétariat et le point focal de la Mauritanie  du comité des droits de l’homme ont séjourné en Mauritanie du 29 aout au 5 septembre 2022 pour le suivi des observations finales de cette 126ème session du comité pour la mise en œuvre du Pacte International pour les Droits Civils et Politiques.

Ce qu’il faut ajouter comme préoccupation qui peut contribuer à la recherche de solution convenable sur cette question, est la demande de visite en Mauritanie depuis 2020, sans réponse, du rapporteur spécial sur le droit à la vérité, à la justice et aux garanties de non répétition et la soumission du rapport national sur la mise en œuvre de la Convention Internationale pour la Protection de toutes les personnes contre les Disparitions Forcées depuis décembre 2020, sans être examiné.

Monsieur le Président, la facilitation de la CNDH  est promptement attendue pour le suivi de la mise en œuvre de la recommandation de ce point du génocide, à l’instar des sujets comme la loi sur les violences basées sur le genre (VGB), la loi sur la discrimination, celle sur les symboles de l’Etat et celle sur la cybercriminalité, etc, qui constituent des préoccupations majeures pour le vivre ensemble et la cohésion sociale.

Les résultats obtenus sur le suivi des recommandations prioritaires relatives à l’esclavage, la torture et l’harmonisation du cadre juridique national aux  instruments internationaux des droits humains lors du premier examen de la Mauritanie en 2013 sur la mise en œuvre du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques doivent constituer de bonnes pratiques pour le suivi des recommandations de la 126ème session .
 

KANE Mamadou, militant des droits humains

Paris, le 09 Octobre 2022
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