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Mamadou Bocar Ba, président de l’AJD-MR : ‘’Nous ne pouvons pas nous arrimer à un pacte déjà signé et qui vient se superposer à un dialogue abandonné en rase campagne’’

Jeudi 7 Mars 2024 - 20:13

Le Calame : L’Assemblée Nationale vient de lever l’immunité parlementaire du député Biram Dah Abeïd président du Mouvement IRA. Votre réaction ?

Mamadou Bocar Ba : Bonjour ! D’abord je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer à travers votre journal. Pour la question relative à l’honorable député Biram Dah Abeïd, nous avons déjà eu l’occasion de signifier notre réserve quant à la facilité avec laquelle on peut lever l’immunité d’un élu du peuple. J’ai été moi-même député et il me semble important de préserver la protection que nous devons à ceux qui ont décidé de dédier leur vie au pays. Bien entendu, mon propos ne préjuge en rien du fond de l’affaire dont j’ignore les tenants et aboutissants. C’est seulement la légèreté avec laquelle on peut actionner ce mécanisme parlementaire qui est, pour moi, ici questionnée. Par ailleurs, nous avons dès les premiers jours tenté une médiation qui n’a malheureusement pas abouti. J’espère simplement que la raison finira par gagner les esprits de part et d’autre, de manière à ce que la politique retrouve ses lettres de noblesse dans notre pays.

 

Le congrès de votre parti, l’Alliance pour la justice et la démocratie, Mouvement pour la rénovation (AJD-MR) vous a élevé à sa présidence. Comment avez-vous accueilli cette élection ?

- J’ai été bien évidement profondément touché par cette marque de confiance que mes camarades m’ont accordée à l’unanimité. Je mesure naturellement la lourdeur de la tâche. Il n’est pas facile de succéder à un homme du charisme d’Ibrahima Moctar Sarr (IMS) qui a tant marqué l’histoire de notre parti. C’est pour moi l’occasion de lui renouveler mes amitiés, ma sympathie et mes remerciements pour tout ce qu’il nous a légué. Nous essayerons d’en être dignes autant que possible. En tous cas, mes camarades et moi sommes déterminés à lancer une nouvelle dynamique pour redonner à l’AJD-MR la place qu’elle mérite au sein de l’échiquier politique.

 

En vous élisant à sa tête, le parti fait de vous son candidat à la prochaine présidentielle. Est-ce une position de principe ou l’AJD ira-t-elle jusqu’au bout si l’opposition ne réussit pas à se choisir un candidat unique pour cette échéance ?

- Ma candidature est l’expression d’une volonté, celle des militants de mon parti qui ont estimé que l’AJD-MR doit être présente à cette échéance importante. La dernière fois que nous avons présenté un candidat à la présidentielle, je le rappelle au passage, remonte à 2014 avec IMS. Dans l’intervalle, nous avons favorisé une candidature concertée et transversale : celle de Kane Hamidou Baba (paix à son âme). Je rappelle d’ailleurs qu’à cette occasion, j’avais renoncé à mon projet de candidature, à la demande de mes camarades, pour favoriser celle du président Samba Thiam aux primaires de ce qui deviendra la CVE. C’est dire combien l‘AJD-MR a toujours fait preuve de disponibilité, de bonne volonté et même de sacrifice pour favoriser une candidature concertée de l’opposition.

Nous pensons néanmoins que si cette candidature unique de l’opposition est souhaitable, l’AJD-MR a toute légitimité pour être le pôle central de cette dynamique. Ce ne serait que lui rendre la politesse pour toutes les fois où elle a renoncé à cette place pour favoriser l’unité (rires). En tous cas, nous sommes ouverts à la discussion avec nos partenaires naturels. Nous avons d’ailleurs commencé les concertations sur le terrain. Une commission est à l’œuvre en ce sens depuis des semaines.

 

Lors de la présidentielle de 2019, les partis à leadership négro-africain avaient réussi à se coaliser derrière une candidature unique. Cette éventualité est-elle envisageable pour la présidentielle de cette année ? Où en sont les négociations des partis de l’opposition pour un candidat unique ?

- Comme j’ai pu le dire dans ma réponse précédente, nous restons tout-à-fait disponibles pour voir émerger une candidature concertée avec tous nos partenaires naturels. Nous avons commencé à mener des contacts en ce but. Notre candidature serait, de mon point de vue, un bon compromis et son ancrage sur le terrain se confirme jour après jour.

 

La CENI a fixé le premier tour au 24 Juin prochain. Et cela fait un bon moment que les partis de la majorité présidentielle ne cessent de réitérer l’appel au président Ghazwani pour briguer un second mandat. Que vous inspire cette ambiance de précampagne du côté de la majorité ?

- Très franchement, on est là au degré zéro de la politique. Tout le monde sait que la candidature de Ghazwani pour un second mandat ne fait l’objet d’aucun doute. Mais ce que font aujourd’hui l’INSAF et ses satellites relève d’une gymnastique bien connue chez nous qui a pour effet d’infantiliser le peuple. Bientôt ce sera au tour des tribus d’actionner leurs sirènes d’appel, chacun voulant se faire remarquer pour avoir la part belle lors des futures nominations. Voilà comment l’on contribue, depuis des décennies, à agenouiller le peuple au pied de la médiocrité dirigeante.  

 

Le président de la République vient d’hériter de la charge de président de l’Union Africaine ce dont se réjouissent le gouvernement et les partis de la majorité ? Que peut apporter à notre pays cette désignation ?

- C’est toujours un honneur pour un pays de présider une organisation continentale de la taille de l’UA. Mais si nous n’étions pas dirigés par des gens médiocres, on aurait ressenti la préparation à cette présidence qui est tournante et que l’on voyait donc venir… Avez-vous entendu, en amont, la Mauritanie se fixer des objectifs pour cette tâche ? Dans un pays normal et bien dirigé, on en aurait fait un enjeu important. On aurait imaginé, par exemple, la manière d’associer le peuple à cette présidence, en suscitant des cercles de réflexion autour des questions régionales importantes. Mais nous allons malheureusement traverser cette présidence sans en ressentir les effets ici et sans en tirer le bénéfice diplomatique qui aurait pu redorer le blason de notre pays.

 

L’UFP, le RFD et INSAF ont signé depuis quelques mois ce qu’ils ont appelé Pacte Républicain. Que pensez-vous du contenu de ce document ? Pourquoi le reste de l’opposition n’y adhère pas ?

- Nous avons dit notre position par rapport à ce pacte quand il nous a été présenté ; c’est-à-dire : après sa signature... Vous savez, nous avons à l’AJD-MR une grande expérience des dialogues avec le pouvoir. Cela nous amène à dire qu’en Mauritanie, l’important dans un pacte, c’est davantage la garantie qu’il offre quant à l’application de son contenu que le contenu lui-même. Par ailleurs, nous n’y avons pas adhéré car nous n’avons jamais compris pourquoi le pouvoir avait unilatéralement décidé de mettre un coup d’arrêt au dialogue en cours et qui se voulait inclusif, malgré ses limites. Nous ne pouvons donc accepter de nous arrimer à un pacte déjà signé et qui vient se superposer à un dialogue abandonné en rase campagne. 

 

Le gouvernement mauritanien a fait voter une loi portant réforme de l’Éducation et dont l’objectif est de consolider l’unité nationale. Une loi dénoncée par l’Organisation des langues nationales (pulaar, soninké et wolof) qui parle de «discrimination linguistique ». Que pensez de cette loi et de la place qu’elle accorde aux autres langues nationales du pays ?

- Dès le départ et à l’instar de l’Organisation pour l’officialisation des LAngues Nationales (OLAN), nous avons dénoncé le piège que recélait cette loi. Notre position de principe, c’est la nécessité d’officialiser nos langues pulaar, soninké et wolof. Cette exigence d’équité appelle à la rectification de la Constitution en son article 6 qui organise effectivement, de manière constitutionnelle, la discrimination linguistique dans notre pays. Introduire les langues négro-africaines sans les officialiser et présenter cela comme un objectif d’unité nationale est un leurre. D’abord parce que l’exigence d’une égalité linguistique n’est pas un caprice, elle a des conséquences pratiques en termes de droit. Si demain nos langues sont officielles, cela oblige non seulement l’administration à en faire usage pour se rapprocher des populations mais également l’État à organiser leur enseignement de manière à ce qu’elles deviennent des langues permettant, par exemple, d’organiser des concours. Ce qui naturellement aurait l’avantage d’établir l’équité entre nos jeunes.

Mais la loi d’orientation fait le choix de les introduire à titre expérimental dans l’enseignement sans les officialiser. Et en attendant, on éteint progressivement le français (langue de formation de la plupart des négro-africains…) au profit d’une généralisation de l’arabe. Dans quelques années on dira, je le parie, que l’expérimentation n’a pas donné de bons résultats et l’on y renoncera. La conséquence, c’est qu’entre temps on aura éliminé le français et généralisé l’arabe. C’est en réalité cela, le but caché. Ceux qui poussent la naïveté jusqu’à penser que l’introduction de nos langues dans l’enseignement est une garantie de leur utilisation doivent se détromper. Il n’est qu’à voir le cas de l’anglais. Cette langue est introduite dans notre enseignement depuis des décennies, est-elle pour autant utilisée par notre administration, malgré son rayonnement international ?

 

Au lendemain de sa prise de fonction, le 2 Août 2019, le président Ghazwani a affiché sa volonté de trouver une « « solution consensuelle et définitive » avec les organisations victimes du dossier dit « passif humanitaire ». L’AJD/MR dont les leaders ont souffert de ces évènements a-t-elle été approchée ? Que pense-t-elle de ce cheminement dont l’aboutissement serait imminent ?

- Vous parlez de « passif humanitaire » là où nous voyons un nettoyage ethnique. Ce sont des dizaines de milliers de familles qui furent déportées au Sénégal et au Mali, des centaines de militaires noirs lâchement assassinés, des fosses communes dans des villages du Sud, des jeunes filles et femmes violées et certaines tuées, suite de leur viol. Je ne parle pas de l’arrestation et de l’incarcération de cadres négro-africains dont moi-même, le président Ibrahima Sarr et d’autres cadres du parti. Ce sont ces atrocités que l’on nomme en Mauritanie, par euphémisme, « passif humanitaire ». Sous d’autres cieux, pour les mêmes faits, cela s’est appelé génocide.

Pour en revenir à l’action du président Ghazwani, il faut dire qu’il n’y a aucune volonté politique dans notre pays pour régler définitivement ce problème. Tout le monde sait que les victimes et ayants droit réclament la lumière sur ce qui a été fait. Les autorités de notre pays s’y refusent car des personnalités importantes de notre armée sont accusées nommément d’avoir participé à ces massacres. Mais il n’est un secret pour personne que pour régler ce type de problème, on passera forcément par une justice transitionnelle. Cela s’est fait ainsi partout où la question s’est posée : Afrique du Sud, Maroc, Rwanda, etc.

 

Il y a quelques jours, vous avez effectué une visite à R’Kiz, une localité du Trarza, pour non seulement soutenir les paysans victimes de spoliation ou de la mauvaise répartition de leurs terres mais également pour apporter votre solidarité aux militants du mouvement IRA dont certains ont été malmenés et arrêtés par les forces de l’ordre… Lors d’une déclaration, vous avez indiqué que la dignité de l’homme commence par nourrir sa famille. Que vous inspire la gestion de la question des terres arables dans le pays, en particulier sur la rive droite du fleuve Sénégal ?

- Effectivement j’ai conduit une délégation à R’Kiz pour soutenir les paysans haratines victimes de spoliation et des militants d’IRA qui les aidaient et dont certains ont été sérieusement malmenés par les forces de l’ordre. J’en profite d’ailleurs pour remercier les populations pour l’accueil qui nous a été réservé sur place. Merci également au président Biram Dah Abeïd qui, bien que n’étant pas présent au moment de notre arrivée spontanée, a tout fait pour faciliter notre accueil et le rendre agréable.

La question foncière est une question centrale dans notre pays. À l’AJD-MR, nous en avons toujours fait notre cheval de bataille car nous pensons qu’elle fait structurellement partie de la question nationale. L’État encourage depuis des années des agro-businessmen arabes à exproprier de pauvres paysans négro-africains et haratines qui exploitent ces terres depuis des siècles. Il est urgent de dépoussiérer la réforme foncière de 1983 pour introduire plus d’équité dans la gestion du foncier. Nous avons toujours réclamé un débat national là-dessus pour trouver un juste équilibre entre la nécessité de développer l’agriculture et celle, vitale pour les populations paysannes, d’être accompagnées pour exploiter elles-mêmes leurs terres et contribuer ainsi à nourrir le pays.

 

Le président de la République a affiché, depuis son élection, sa volonté de combattre la corruption devenue endémique dans le pays. En dépit de cela, des institutions de contrôle et de régulations de l’État, les partis politiques de l’opposition et des organisations de la Société civile relèvent souvent des manquements graves dans la gestion de certains ministères, établissements et entreprises publiques. À votre avis pourquoi, cinq ans après, le pouvoir ne réussit-il pas enrayer cette pandémie ?
 

- Lutter contre la corruption relève d’une volonté politique qui passe par l’exemplarité des dirigeants. Si le président Ghazwani veut réellement lutter contre la corruption, il doit commencer par déclarer lui-même publiquement son patrimoine, de manière à nous donner la possibilité de vérifier objectivement sa probité. Mais quand la lutte contre la corruption apparaît comme un moyen de régler ses comptes avec ses vieux amis devenus ses ennemis, le peuple ne peut que se sentir manipulé.

 

Propos recueillis par Dalay Lam

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