Le Calame : Excellence, vous dites que vous avez une initiative à présenter. Pouvez-vous nous parler de sa nécessité ?
Tijani Mohamed El Kerim : Oui, je considère que nous avons besoin de faire face aux multiples défis que connaît notre pays. Des défis qui ne datent pas d’aujourd’hui mais des décennies passées. Il est temps d’envisager des voies et donc des politiques pour les relever définitivement. Quels sont ces défis ? La première relève de la nécessité d’une bonne gouvernance, appuyée sur un État régalien, fort et muni d’institutions adaptées et solides, capables de garantir une bonne gestion des affaires publiques et un réel progrès social et économique. Cette bonne gouvernance commence avec des hommes porteurs de valeurs morales, éthiques et civiques, d’une bonne vision et de compétences requises.
La gouvernance fait référence à l’ensemble des processus de gouvernement, l’état des institutions et des pratiques en matière de prise de décision et de réglementation sur les questions centrales. La bonne gouvernance ajoute une dimension d’évaluation au processus de gouvernement. Il faut définir des objectifs clairs et élaborer une stratégie adaptée, planifiée qui attribue des tâches et alloue des ressources de manière transparente En suivant celles-ci, vous saurez non seulement par où commencer mais aussi ce qu'il vous reste à accomplir pour atteindre votre objectif. Prenons un exemple banal : si vous décidez d’aller à Néma mais que vous preniez la route d’Akjoujt puis reveniez à Nouakchott et au-delà vers Nouadhibou, quand arriverez-vous à Néma ?
Si vous pensez que nous avons déjà emprunté la bonne voie et qu’il n’y a que des efforts supplémentaires à entreprendre, je dirais non. La grande question consiste à emprunter la voie avec des objectifs précis, sous la conduite de personnes disposant des compétences requises pour aller dans la bonne direction, étape après étape. Le manque de compétences et, parfois, de volonté à différents niveaux est perceptible quand on observe les résultats sur le terrain.
Le développement relève avant tout des ressources humaines. Où sont nos populations ? A-t-on développé des compétences chez les jeunes et les travailleurs ? Les gens ont-ils une conscience civique ? Connaissent-ils et respectent-ils les lois ? À commencer par le code de la route… On note que les mentalités reculent, tandis qu’avancent l’individualisme, le repli sur soi, le tribalisme, le régionalisme et le communautarisme. Les mentalités doivent changer pour un vrai développement. Les gens ne se rendent pas compte que parmi les raisons qui poussent les jeunes à courir vers les États-Unis, l’état des mentalités est crucial. « Je travaille dans ce fast-food », me dit en 2019 un jeune mauritanien à New-York, « j’y prépare des hamburgers et y gagne ma vie. Je nettoie aussi les lieux. Mais moi, je ne ferai jamais un tel boulot en Mauritanie, car toute ma famille et ma fraction tribale n’accepteraient jamais cela. Elles trouveraient cela dégradant ».
- En quoi consiste, pratiquement, votre initiative ?
Je demande au président de la République d’annuler, avec l’appui de toute la classe politique, partis et associations de la Société civile, la prochaine élection prévue fin Juin. À la place il faut organiser un referendum pour une nouvelle Constitution de type semi-présidentiel. Pourquoi ?
Vous savez, notre Constitution date de trente-deux ans. Faisons-en le bilan. C’était la proposition de La Baule du président Mitterrand qui nous a ouvert nous et des pays africains des opportunités : partis politiques, liberté de la presse, opportunités d’élections… etc. Cela a constitué incontestablement un changement. Les deux importants acquis ont été cette nouvelle vie politique en plus de la sécurité dont bénéficie notre pays dans cette zone trouble du Sahel. Mais il est temps de faire le bilan et d’apporter les changements qu’il faut.
La nouvelle constitution que nous proposons doit rendre les choses plus visibles et plus transparentes. Ainsi, les responsables seront sous contrôle ; ce qui rend leur gestion plus transparente.
L’actuelle Constitution a prouvé ces défauts par le manque de contrôle de la gestion publique. On a tout vu dans les systèmes de gestion, voire même des changements inconstitutionnels : putschs, changement du drapeau, d’hymne national, suppression du Sénat...On doit tirer des leçons de tout cela et entreprendre les réformes nécessaires.
Un président de la République qui a tous les pouvoirs dans nos circonstances ne peut pas faire avancer un pays. C’est un énorme fardeau. Il a entre ses mains trop de pouvoir qu’il ne peut pas gérer correctement quelles que soient ses qualités De ce fait, il ne peut qu’en abuser du fait des pressions diverses : de son milieu, des opportunistes, des conseillers divers, des lobbies, des manipulateurs. Soit, il prend tout en main et c’est des décisions personnelles quotidiennes, particulières, pas étudiées. Sois il essaie de rester calme et se ressaisir, il perd le contrôle et le temps et d’autres en profitent… Ce qui favorise les intérêts particuliers avec des ministres et des chefs d’entreprises publiques qui décident, d’autres qui attendent. Sur la scène, il y a les partis politiques proches qui agissent aussi, un Premier ministre déboussolé et qui croit superviser un gouvernement, un Parlement absent, une élite qui justifie tout et qui cherche à tirer profit, un pouvoir Judiciaire mal adapté, une Commission Electorale Non Indépendante ou Nationale Indépendante (C.E.N.I.) …
C’est comme cela que je vois les choses. Et il faut des reformes adaptées.
Les principes fondateurs qui doivent inspirer cette nouvelle sont à notre avis
1. Des principes fondateurs
* L’égalité de tous les citoyens, la liberté d'expression, le respect strict des lois et le suffrage universel et égal.
* La justice doit être neutre et accessible à tous.
* L'autorité publique doit agir pour que les principes chers à notre Sainte Religion et qui appellent à la justice, à l’équité, aux valeurs morales et civiques soient propagés et respectés. Ce qui va contribuer à nous éloigner des mensonges, des vols, des fumisteries…
* Le bien-être personnel, économique et culturel de chacun doit constituer l'objectif fondamental des activités publiques.
* Les autorités publiques doivent garantir le droit à la santé, au travail, au logement et à l'éducation et d'œuvrer en faveur de la prévoyance et de la sécurité sociales.
2. Les nouvelles institutions doivent se constituer autour :
* D’un président de la République élu pour sept ans au suffrage universel, à deux tours si nécessaire. Il doit être âgé de 45 ans au moins et jouir de tous ses droits civiques. En cas de vacances, il est remplacé par le Président de l’Assemblée nationale. Il incarne l’unité nationale ; Il est le gardien de la Constitution, il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l'indépendance et de l'intégrité du territoire. Il est le symbole même de l’État et de la République, il ne doit appartenir à aucun parti politique : c’est le président de tous les Mauritaniens.
* Il ne détient pas l’Exécutif mais propose au Parlement d’agréer, sans débat et par un simple vote majoritaire, la nomination d’un président du Conseil qui est chargé du Pouvoir exécutif, dirige le gouvernement et ne peut en aucun cas exercer une autre activité, industrielle, commerciale, artisanale ou autre. Sitôt le vote obtenu, ledit Président du Conseil entre en fonction par décret présidentiel. Il forme alors son gouvernement, fixe les grandes orientations de sa politique et en assume la responsabilité. Dans le cadre de ces grandes orientations, chaque ministre dirige son département. Le Gouvernement poursuit son travail souverain tant qu’il dispose d’une majorité au Parlement. Aucune motion de censure à son encontre n’est examinée si elle n’est pas signée par 45 % des députés. En cas de vote d’une motion de censure, le Gouvernement chute, le président de la République nomme un nouveau président du Conseil selon le même processus. Si la nouvelle proposition du président de la République n’obtient pas l’approbation de la majorité des députés, il peut dissoudre le Parlement.
* Le président de la République est le Chef suprême des Forces armées
* Le président de la République choisit les ambassadeurs mauritaniens et consuls accrédités dans les pays voisins frontaliers uniquement.
* Le président de la République reçoit les Lettres de créances des ambassadeurs et chef de Missions accrédités dans le pays. En son nom sont accrédités les ambassadeurs et chefs de Missions accrédites à l’étranger, nommés par le Gouvernement.
* Le président de la République préside un Conseil des Sages de 25 membres ainsi composé :
* de membres de droits : deux des plus anciens présidents de l’Assemblée Nationale, deux des plus hauts gradés officiers supérieurs à la retraite, le plus ancien des ministres de l’Intérieur, le plus ancien des ministres ayant eu en charge l’Enseignement fondamental, le plus ancien des ministres de la Santé, le plus ancien des ministres ayant eu en charge l’Agriculture ou l’Elevage, le plus ancien des ministres ayant eu en charge les Affaires sociales ou de la Famille , le plus ancien des ministres ayant eu en charge les Finances, le plus ancien des ministres ayant eu en charge la Pèche, le plus ancien des ministres ayant eu en charge les Mines, le président du Conseil des oulémas de Mauritanie
* Treize personnalités choisies par le président de la République : personnalités traditionnelles influentes, spirituelles, experts, originaires de tout le pays. Ils sont nommés pendant le mandat du Président. Il peut les remplacer à tout moment.
Le rôle de ce Conseil consiste à examiner, sur proposition du gouvernement, cinq sortes de questions et y donner un avis consultatif qui sera remis au Parlement : lois sur les projets d’amnistie ; lois et textes relatifs aux modifications territoriales internes ; fondation de wilayas, Moughataas et/ou communes ; toutes propositions de réformes du système éducatif national ; conventions et traités avec un pays ou regroupements de pays étrangers et conventions d’établissement d’une entreprise étrangère exploitant les ressources du pays. Le Conseil des Sages doit dresser, début novembre de chaque année un rapport sur la situation politique, économique et sociale du pays, rapport que transmettra le président de la République au président du Conseil.
3. La nouvelle constitution doit bien fonder une réelle décentralisation avec la création de Conseil des Moughataas, un Conseil qui doit être élu par une assemblée générale de tous des membres des Conseils municipaux de la Moughataa dans ses différentes communes et qui doit gérer avec le Hakem le développement de la Moughataa. C’est plus fondamental que des Conseils régionaux loin des bases et sans vision réelle de développement local. Les Moughataas de Nouakchott et des autres grandes villes doivent avoir des quartiers avec un chef de quartier qui est au service de la population, c'est un trait d'union entre les administrés et l'administration. Il aide l'administration à régler les problèmes de sécurité et de développement du quartier. Le maire l'appelle et le consulte chaque fois qu'il veut intervenir sur le quartier.
- C’est donc à ces experts de l’examiner. Pensez-vous que ce système parlementaire est adapté au pays ?
C’est un régime semi-présidentiel qui peut faire avancer le pays se définir par les critères suivants à travers : un Président élu au suffrage universel direct ayant des prérogatives propres et un vrai Gouvernement dirigé par un président du Conseil qui gère clairement et de manière visible les choses face à un Parlement fort.
Cette réforme peut réussir et elle sera un exemple pour des pays. Pourquoi pas ? N’avons-nous pas été le seul pays qui a réussi à créer sa monnaie nationale dans cette zone appelée autrefois l’A.O. F. On peut aussi être le pays qui adopte une constitution qui réussira er qui sera un modèle en Afrique et dans le monde arabe. Qui ne tente rien n’a rien… Le Président Ould Ghazouani est le plus préparé à être le Président dans cette nouvelle Constitution...C’est évident qu’il pourra l’ancrer dans notre histoire…
En fait, j’ai toujours été plutôt en faveur du pouvoir d’hommes forts, nantis de fortes valeurs morales et d’une vision puissante pour changer rapidement un pays. Car les pays ne changent qu’avec de grands leaders, tel était mon ancien point de vue. Mais je suis revenu à la raison, en réalisant que je ne vis pas en Asie mais dans le monde arabo-africain… Je retourne d’autant plus à la raison que je me suis épuisé à fonder l’Institut Mauritanien pour l’Accès à la Modernité, y élaborant dix ouvrages d’éducation citoyenne et de bonne gouvernance. Sans succès. Notez ici que je ne suis pas un juriste et donc pas spécialiste en matière constitutionnelle. Je présente simplement une idée qui me paraît nécessaire Si elle est jugée opportune, il y a des juristes compétents dans le pays qui peuvent tout préparer. Si elle n’est pas recevable, il n’y a pas de soucis…
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
lecalame