Les agents des renseignements internationaux s’entraînent à tromper les détecteurs de mensonge (polygraphes), afin de les surmonter par des méthodes très complexes car l’exercice se base sur les changements physiologiques, dans le corps du locuteur, durant son propos, comme l’état de la respiration, la mesure du pouls, le niveau de la pression artérielle ou la réaction galvanique de l’épiderme... On se repère, en la matière, sur la variation des changements dans l'iris et l'activité cérébrale, mesurée par résonance magnétique fonctionnelle. Il semble que le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz ait tout à leur apprendre, tant il dispose d’un don inné au mensonge, activité qu’il pratique spontanément, avec des nerfs de glace. Son auditeur ne peut que le croire et les dernières générations de détecteurs du faux et de la fraude s’avouent incapables de dévoiler sa supercherie. Je l’ai toujours vu menteur hors pair. Et s’il se peut se prévaloir d’une prouesse caractéristique, c’est bien de mentir sans sortir la langue.
Dans sa dernière conférence de presse, Ould Abdel Aziz a évoqué son rôle dans la guerre contre le terrorisme, en prétendant qu’elle relevait, non pas d’un contrat « par procuration », mais d’une défense par anticipation, pour protéger la patrie et les citoyens. Le général prématuré se vante d’avoir établi la sécurité entre Tombouctou et Arawane ; selon lui, sur cette amplitude géographique, le cafard du terrorisme ne bourdonne donc plus, intimidé, face au faucon de sa tonnante légion.
En fait, ce qu'a dit « Son Excellence le Président » – comme se plaisait à l’apostropher la directrice d’une chaîne semi-officielle invitée à ladite conférence de presse – était pur tripatouillage ; si mon dictionnaire m’avait fourni une formule plus expressive, pour traduire la contrevérité, que le terme « mensonge », je n’eusse hésité à la lui accoler ; quand les présidents mentent à leur peuple, les vérités meurent, leur contraire vit et l’on jette, alors, la poudre aux yeux de qui aspire au soleil de la vérité. Tel comportement implique l’ingratitude envers la patrie et la perte des droits... C’est haute trahison ! Réfutons donc les mensonges du général.
Les faits, documentés, disent que l'armée d’Ould Abdel Aziz effectua trois incursions au nord du Mali. Les forces mauritaniennes et leur appui des troupes françaises lançaient une attaque commune, le 22 Juillet 2010, sur les repaires de l’organisation terroriste Al-Qaïda ; des informations des renseignements signalaient, en ces lieux, la présence de l'otage français Michel Germaneau, dont la récupération constituait le mobile de l'opération ; celle-ci se solda par sept morts dont le dirigeant Bilal Abou Mouslim Al Jezaïri mais les terroristes exécutèrent, immédiatement, Germaneau, pour venger leurs combattants et compenser les pertes. Même si l’opération n’avait pour objectif que la libération du vieil otage français, le président mauritanien continue d’exprimer son désappointement quand se présente, à ses oreilles, le moindre sous-entendu sur sa guerre « par procuration ».
Le 26 Février 2010, l'armée mauritanienne accroche, à Lemzerreb (650 km à l'est de Zouérate, au nord du pays), un groupe de narcotrafiquants que le gouvernement mauritanien accusait d’offrir protection à l’organisation « Al-Qaïda » et de participer avec elle, à des rapts d’étrangers, en l’espoir de rançons. Il y eut, parmi les narcotrafiquants, six morts et dix-huit prisonniers. Mais ces derniers recouvrirent la liberté en Septembre 2010, dans des circonstances très suspectes : ils accusaient l'armée mauritanienne d’avoir exécuté trois personnes, après leur capture, l'une décédant des suites de sa strangulation, selon un site électronique de Kidal (Mali).
Les détenus prétendirent que l’attaque relevait d’un parti-pris des troupes mauritaniennes, pour un groupe de trafiquants célèbres, en l’occurrence Issa ould Taybou et Mimi ould Babana, contre celui d’Eddine Ould Ebi, Houssein Guigos, Abdallahi ould Al Houssein (Nani ould Al Boujbeyhi), Mohamed Abdallahi Ould Aweynat, Abdallahi ould Hmeyim et Aleytou. Abdallahi ould Aweynat est réputé le cerveau de l'opération du Boeing 727 brûlé, en Novembre 2009, à environ 200 kilomètres au nord de Gao, après avoir acheminé de la cocaïne du Venezuela au Mali, selon les propos d’Alexander Schmidt responsable régional du Bureau des Nations Unies, à Dakar, pour la lutte contre les stupéfiants et le crime.
La roue du temps tourna et l’on vit Ould Abdel Aziz devenir l’ami des grands caïds auxquels il avait cherché à nuire, à Lemzerreb, pour leur accorder enfin refuge à Nouakchott... Il les reçut plusieurs fois dans son bureau, au palais présidentiel, et chargea son conseiller spécial, Hmeyda ould Bah, de gérer les relations avec eux, notamment Guigos et Ould Aweynat, quand ils déposèrent leur bâton de pèlerin, pour s’insinuer dans les méandres de la capitale. Les nommés Nani et Roger furent arrêtés le 22 Septembre 2015, avant d’être libérés, environ un mois après leur capture, au terme de négociations avec le conseiller Hmeyda auquel ils payèrent, à titre solidaire, un demi-million d'euros, dans une opération de chantage, manifeste comme soleil au zénith.
Deuxième opération ratée
La seconde « conquête » de l'armée du général évoque la bataille de « Hassi Sidi » (80 km au nord-ouest de Tombouctou) où les terroristes, dirigés par Yahya Abou Hammam, lui infligea de lourdes pertes dont 19 morts et des dizaines de blessés ; les jihadistes capturèrent cinq véhicules, en brûlèrent deux et emportèrent, en guise de butin, du matériel offensif, des engins militaires, de l'argent... et l’ordinateur du capitaine Mohamed ould Ahmed Maham, tombé en martyr, communiquant, dans son appareil de transmission, avec le président Aziz qui lui criait : « Leghzal [nom de guerre du ci-devant, ndr], avance vers eux ! Ne recule pas ! Ce sont des poltrons. » L’un des terroristes lui répondit, laconique : « Leghzal est mort ». Puis les terroristes poursuivirent le brave colonel Hamada Ould Cheikh ould Boyda, sauvé par l’éclatement du pneu de leur véhicule, derrière lui.
De quoi fendre le cœur : les terroristes refusaient d’enterrer les corps des martyrs de l'armée mauritanienne, les abandonnant aux chacals et autres charognards, jusqu’à ce que les notables de Tombouctou priassent le chef d’Al Qaïda, Mokhtar Belmokhtar, de leur permettre l’inhumation ; il accepta, non sans peine ; la prière et l’enterrement se déroulèrent durant le mois sacré du Ramadan 2012. Après la bataille de Hassi Sidi, les soldats mauritaniens connurent une véritable débandade, sans se soucier de leurs restes. Le général Mohamed ould Hreïtani vint à Tombouctou et chargea les arabes autochtones de réunir les débris de la troupe, qu’ils ramassèrent, errants, dans les plaines et les oueds ; l'un d’eux était devenu fou, à cause de l'horreur du choc.
Troisième et dernier haut fait : En Juin 2011, des sources proches des autorités mauritaniennes parlèrent d'une bataille « acharnée », dans la forêt de Ouagadou où les terroristes d'Al-Qaïda auraient été défaits. Cependant, les informations publiées alors, par les terroristes, sur Internet en donnèrent une toute autre version : le nombre des combattants ne dépassait pas dix ; ils disaient avoir tenu tête à une compagnie lourdement armée, dotée d’un soutien aérien, et détruit sept véhicules sur douze. Ces allégations étayaient la version du citoyen malien, Amadou Mica, qui supervisait le forage d’un puits, près de ladite forêt, dans la ville de « Socolo » ; il avait été le premier civil à entrer sur les lieux de la bataille et servit, au journal malien « Le Combat », un récit réfutant la version mauritanienne. Alors, l’armée mauritanienne encercla la forêt et l’entoura comme un bracelet autour du poignet. Les terroristes d'Al-Qaïda ne tardèrent pas à cibler une patrouille militaire à la périphérie de Bassiknou, plus à l’Ouest, en territoire mauritanien ; menacés ailleurs, nos soldats levèrent le siège de Ouagadou et ne revinrent plus en territoire malien.
Les leaders jihadistes Abou Zaid, Belmokhtar, et Iyad Ghali logeaient, tous, au palais de Kadhafi, à Toumbouctou, sur la route de l'aéroport et dans le bâtiment du Conseil régional. A quelle date donc Ould Abdel Aziz établit-il la sécurité dans cette ville ? Après cela, le ciel devint libre pour l’aigrette d'Al-Qaïda qui y fit pleuvoir et accorder beau temps. Les brigades de Abou Hammam rôdaient à la frontière mauritanienne, non loin de Bassiknou, pour s’emparer du bétail au pâturage et s’approvisionner en carburant et vivres, sans être inquiétés le moins du monde, jusqu’à l'intervention française.
Guerre par procuration ?
Pour Ould Abdel Aziz, l'objectif de la guerre au Mali consistait à éloigner la menace sur la Mauritanie, raillant ceux qui la traitaient de guerre « par procuration » ; toute personne saine d'esprit devait croire que son bras militaire réussissait ce dont avaient été incapables l'Amérique et l’Europe, dans leur effort d’éradication du terrorisme. L’échec des attentats terroristes à Nouakchott fut obtenu grâce à la coopération avec les officines partenaires qui fournirent, aux autorités, des informations que celles-ci exploitèrent mal, le plus souvent ; par exemple, lors de « l’opération de la Présidence » qui visait à assassiner Ould Abdel Aziz, des services étrangers ont présenté, par le menu détail, le projet terroriste de liquidation du chef de l’Etat. Malgré la précision des données ainsi transmises, les unités en charge furent dans l’incapacité d’y faire face ; après l’entrée des assaillants à Nouakchott et l’enlisement de leur véhicule dans le sable, ce furent encore les renseignements extérieurs qui communiquèrent, aux Mauritaniens, les coordonnées du lieu où le sable les immobilisait.
Ce par quoi Ould Abdel Aziz a éloigné le danger de son pays demeure, sans conteste, l’accord secret avec Al-Qaïda, dont le brouillon traînait parmi les documents de Ben Laden. Taqadoumy en publia le fac-similé. Cette entente fut d’abord rejetée puis approuvée par Abou Hammam ; le premier de ses intermédiaires était un des prisonniers salafistes en Mauritanie, après la libération du gendarme Ely ould Mokhtar ; puis d’autres prirent sa relève. Cet arrangement inavoué permit la sécurité à l’intérieur de nos frontières et Al-Qaïda en tira des avantages dont le moins confidentiel s’avère être, sans doute, la libération de son porte-parole officiel, Senda Ould Bouamama, auquel l’on accorda l’entière liberté d’aller et venir, à l’abri du procès, voire même d’une comparution devant le Parquet général.
Ould Abdel Aziz n'a pas respecté notre intelligence, lors de sa conférence de presse : il mentit comme il respire et peut-être le temps ne suffira pas à suivre ses mensonges, pour en dévoiler la fausseté. Néanmoins, réfuter sa présente contrevérité peut en tuer les sœurs ultérieures, parce que « le premier mensonge remplit un sac et le deuxième le déchire », comme le dit le célèbre adage bien de chez nous.