Fatimatou Zahra Mint Cheikh, 15 ans, ne garde aucun souvenir du village dans lequel elle a grandi. « J’ai oublié le Mali », murmure-t-elle timidement, les yeux baissés. Lorsque la guerre a éclaté en 2012, sa famille a pris la fuite dans une charrette et s’est réfugiée au camp de Mbera, à la frontière entre le Mali et la Mauritanie.
La jeune fille ne se rappelle pas non plus le jour de son mariage avec un cousin âgé d’une vingtaine d’années, lorsqu’elle avait 13 ans. Assise sur une natte de plastique posée à même le sol, dans la modeste tente qu’elle partage avec ses sept frères et soeurs ainsi qu’avec ses parents, Fatimatou Zahra contemple son alliance, simple bague en argent entourant son annulaire gauche.
« Je ne sais plus ce que je portais ou comment la soirée s’est passée, balbutie-t-elle. Mes parents ont décidé du mariage, je n’étais pas au courant. Je ne voulais pas me marier. »
Malgré ce mariage forcé, Fatimatou Zahra s’estime heureuse. Son mari est souvent absent, à la recherche de travail dans les grandes villes. Elle peut donc continuer ses études à l’école primaire du camp, une chance que n’ont pas eue toutes ses camarades.
Des pressions culturelles, mais surtout économiques
Le mariage des enfants a toujours été une pratique commune au Mali, où 71 % des femmes ont été mariées avant d’atteindre l’âge adulte.
La précarité dans laquelle vivent les réfugiés a néanmoins contraint de nombreuses familles à marier leurs filles de plus en plus jeunes. Les parents de Fatimatou Zahra soutiennent en effet qu’ils ne l’auraient jamais forcée à se marier aussi jeune s’ils n’avaient pas dû fuir le Mali.
« C’était une décision difficile, confie son père, âgé de 78 ans. La vie au camp n’est pas facile, surtout si on ne peut pas travailler et qu’on ne peut pas subvenir aux besoins de sa famille. »
Au-delà des frontières de l’Afrique de l’Ouest, le mariage des enfants chez les réfugiés syriens au Liban et en Jordanie devient également de plus en plus courant, à cause de la précarité économique des populations.
« Si tu n’as rien, que tu es pauvre, tu préfères marier ta fille pour que son mari la prenne en charge », résume Halima Mint Sidiwa, intervenante en violence basée sur le genre pour l’ONG italienne INTERSOS, elle-même réfugiée.
Elle affirme avoir traité des dizaines de cas d’enfants-épouses, la plus jeune ayant 11 ans. « C’est la pauvreté qui pousse les familles à le faire », affirme-t-elle.
Une « priorité »
En plus de constituer un frein à l’éducation des jeunes filles, le mariage des enfants présente des risques pour la santé des enfants-épouses.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, les complications de la grossesse et de l’accouchement sont la deuxième cause de décès pour les filles âgées de 15 à 19 ans dans le monde. « C’est un danger pour ces petites filles, qui peuvent contracter des maladies si elles tombent enceintes », déplore Halima.
Devant l’importance du problème, de nombreuses campagnes de sensibilisation ont été menées à Mbera, mais impossible de connaître leur impact réel puisque le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) ne dispose pas de données quant à la situation globale des mariages des enfants à Mbera — la plupart n’étant pas signalés.
« Les services doivent être bien établis avant que les survivantes puissent se manifester et que nous puissions avoir des chiffres qui reflètent la réalité du terrain. Et même dans ce cas, il ne s’agira sûrement que de la pointe de l’iceberg », a déclaré un porte-parole de l’agence onusienne.
De retour dans la tente de Fatimatou Zahra, la jeune fille est moins timide lorsqu’il s’agit de parler de ses rêves. « Je veux étudier jusqu’à ce que je puisse être enseignante », dit-elle en souriant. En attendant de retourner à l’école, elle continue d’espérer une vie à l’extérieur du quotidien difficile de Mbera, de ses abris de fortune, de ses tempêtes de sable et de son soleil de plomb.
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