Sous le titre « Renaissance d’une armée », Jeune Afrique vient de publier dans sa dernière livraison un article analytique sur les mutations profondes opérées au sein des forces armées mauritaniennes depuis l'accession du président Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir, et sur les progrès et bons résultats qui en résultent en matière de lutte contre le terrorisme. Pour étayer son raisonnement, l'auteur, Alain Faujas, y rapporte des propos inédits du général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit Ghazouani, Chef d'Etat Major Général des Armées de Mauritanie.
«Renaissance d'une armée
Parmi les armées du G5 Sahel unies dans la lutte contre le jihadisme (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), deux se distinguent tout particulièrement : la tchadienne et… la mauritanienne. Car elle est de création récente, puisque sa mise à niveau et sa combativité datent de moins de dix ans. Ce redressement s’est effectué selon la volonté du président, qui en a donné les moyens, et sous la houlette de son chef d’état-major, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit Ould Ghazouani (…). Il suscite aujourd’hui les éloges des Américains et des Français qui l’ont épaulé.
À vrai dire, l’armée mauritanienne a d’abord connu les affres de la défaite. Lorsque le président Moktar Ould Daddah se partage le Sahara occidental avec le roi du Maroc, en 1975, il dispose de moins de 5 000 soldats pour combattre celui qui le leur conteste : le Front Polisario. Il enrôle à tour de bras de jeunes recrues que l’on envoie guerroyer en plein désert sans formation ni ravitaillement, avec pour seules armes des pétoires ; 2 000 y perdent la vie. Les défaites et une économie nationale mise à mal parle conflit, qui paralyse l’exportation du fer, convainquent des généraux*, en 1978, de déposer le président, puis, en 1979, de signer un accord de paix avec le Polisario. Et l’on va s’apercevoir un quart de siècle plus tard que cette troupe de 15 000 hommes ne fait pas le poids face aux jihadistes. Ainsi que le résume un observateur, « ils ont alors juste assez d’essence pour garder le troupeau de chèvres de leur colonel ».
Le 4 juin 2005, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), venu du Mali et conduit par Mokhtar Belmokhtar, attaque le camp de Lemgheity, dans l’extrême Nord mauritanien. Surprise en plein sommeil, la garnison ne peut résister: quinze de ses membres sont tués, et l’agresseur repart avec des prisonniers, des véhicules et de l’armement. C’est la première défaite des forces mauritaniennes face à un adversaire mobile et motivé qui, au fil des années, s’enhardit jusqu’à tuer des touristes français et un Américain, puis à enlever des Espagnols. Le rallye Paris-Dakar ne peut plus traverser la Mauritanie faute de sécurité et abandonne l’Afrique. L’armée se montre plus efficace pour organiser des coups d’État.
Le 14 septembre 2008, c’est le massacre de Tourine (lire encadré).Trop, c’est trop. Le général Ould Abdelaziz, qui a pris le pouvoir un mois plus tôt, et son camarade le général Ould Ghazouani décident de réformer une armée misérable et qui a le moral au plus bas. Les salaires, très bas (quelques dizaines d’euros par mois pour un colonel), sont augmentés petit à petit. Le logement et le système de santé militaires sont améliorés. Les budgets sont gonflés. « À la différence des civils, nos hommes ne peuvent pas compléter leur solde par une activité extérieure. Il faut qu’ils gagnent assez pour vivre convenablement et qu’ils n’aient pas de souci à se faire pour leur famille quand ils sont en opération à plus de1000km de chez eux », explique Mohamed Ould Ghazouani. Il est décidé à faire l’impasse sur la hiérarchie en place, même si cela pose des problèmes de jalousie chez les colonels d’active.
SUSCEPTIBILITÉS.
« Nous avons formé des groupements spéciaux d’intervention [GSI] commandés par de jeunes capitaines célibataires afin d’établir un esprit offensif, tourné vers le mouvement, raconte le général. Parallèlement, nous avons musclé notre deuxième bureau pour disposer de renseignements fiables sur Aqmi. » Tout pour l’opérationnel, donc, sans considération pour susceptibilités de corps. «Quand on vient me dire que le Bataillon de la sécurité présidentielle [Basep] demande que nous lui donnions des mitrailleuses, je réponds que nous ne leur en donnerons que lorsque nous en aurons en trop, et, aujourd’hui, ce n’est pas le cas », poursuit-il. Quand on sait combien le BSP** (que commandait l’actuel président) est choyé, on mesure l’autonomie dont dispose le chef d’état-major pour assurer ce qu’il considère comme le bien de la nation.
« Nous avons formé des groupements spéciaux d’intervention [GSI] commandés par de jeunes capitaines célibataires afin d’établir un esprit offensif, tourné vers le mouvement, raconte le général. Parallèlement, nous avons musclé notre deuxième bureau pour disposer de renseignements fiables sur Aqmi. » Tout pour l’opérationnel, donc, sans considération pour susceptibilités de corps. «Quand on vient me dire que le Bataillon de la sécurité présidentielle [Basep] demande que nous lui donnions des mitrailleuses, je réponds que nous ne leur en donnerons que lorsque nous en aurons en trop, et, aujourd’hui, ce n’est pas le cas », poursuit-il. Quand on sait combien le BSP** (que commandait l’actuel président) est choyé, on mesure l’autonomie dont dispose le chef d’état-major pour assurer ce qu’il considère comme le bien de la nation.
En accord avec Bamako, ces GSI interviennent au Mali avec l’appui d’un ULM. Les troupes mauritaniennes remportent une victoire significative sur Aqmi, qui laisse quinze morts dans la forêt de Wagadou, en territoire malien, le 24 juin 2011. Et quand Aqmi veut attaquer une garnison mauritanienne frontalière pour venger cette défaite… « Nous les attendions ! raconte le général avec un petit sourire. Ils ont perdu l’émir qu’ils avaient fait venir d’Algérie pour les commander et, pour la première fois, ils ont été obligés de laisser leurs morts sur le terrain. Nous avons obtenu de précieuses informations sur leurs caches d’armes. » Aqmi n’a plus jamais tenté de s’en prendre à la Mauritanie.
Victoire sur toute la ligne ? Pas vraiment, car si les troupes mauritaniennes et maliennes, appuyées par l’opération française Barkhane, ratissent le terrain de façon coordonnée de part et d’autre de la frontière, les jihadistes se sont réinstallés dans la forêt de Wagadou, d’où ils attaquent les villages que l’armée malienne convalescente n’a pas les moyens de protéger. Quand on souligne que l’armée mauritanienne est devenue un vrai outil de combat sous sa responsabilité, le général Ould Ghazouani demande qu’on ne jette pas la pierre à ses prédécesseurs, qui n’avaient pas de moyens du tout. « Oui, concède-t-il avec modestie, nous avons fait des progrès grâce aux capitaines, aux commandants, aux colonels, aux généraux et, surtout, au président, qui nous en a donné les moyens, mais c’est loin d’être parfait. »
Des améliorations? Une nouvelle cartographie, des hommes formés aux technologies modernes…
Il ne se fait pas d’illusion sur l’efficacité de l’action militaire. « L’action de l’armée ne suffit pas, dit-il. Il faut du développement, lutter contre l’extrême pauvreté d’une population qui n’a pas d’eau, pas de nourriture et ne peut pas prendre le moindre cachet de nivaquine, faute de centres de santé. Dans la mesure du possible, nos hommes lui apportent des services et des provisions… Il ne peut pas y avoir une armée riche et une population pauvre. » Aujourd’hui, les troupes mauritaniennes disposent d’avions Super Tucano et d’un appui tactique au sol formé à Atar par les Français. Les Américains leur ont prêté des équipements qui ont fait merveille. Elles ont des mitrailleuses, des munitions, du carburant, des véhicules tout-terrain pour ces GSI, qui ont un moral d’acier. Elles alignent 20 000 hommes dans sept régions militaires comportant chacune deux bataillons.
FÉMINISER.
Quelles améliorations le général pourrait-il souhaiter ? « Il nous faut une salle d’opérations moderne et informatisée où convergent en temps réel les informations sur les actions en cours, répond-il. Nous devons aussi nous doter d’une nouvelle cartographie, car nos cartes ne correspondent plus au terrain. Enfin, il faut relever notre niveau éducatif pour disposer d’hommes compétents et formés aux technologies modernes. Certes, nous avons des collèges et des lycées d’excellence et aussi ce qui est devenu notre École polytechnique, mais quand nous présentons cinq candidats au brevet de pilote, un seul le réussit. Les autres sont obligés de devenir mécanos ou de se rabattre sur les transmissions. Ce n’est pas satisfaisant. »
Quelles améliorations le général pourrait-il souhaiter ? « Il nous faut une salle d’opérations moderne et informatisée où convergent en temps réel les informations sur les actions en cours, répond-il. Nous devons aussi nous doter d’une nouvelle cartographie, car nos cartes ne correspondent plus au terrain. Enfin, il faut relever notre niveau éducatif pour disposer d’hommes compétents et formés aux technologies modernes. Certes, nous avons des collèges et des lycées d’excellence et aussi ce qui est devenu notre École polytechnique, mais quand nous présentons cinq candidats au brevet de pilote, un seul le réussit. Les autres sont obligés de devenir mécanos ou de se rabattre sur les transmissions. Ce n’est pas satisfaisant. »
Et le général Ould Ghazouani d’exprimer un ultime vœu. « J’aimerais féminiser l’armée, dit-il. En effet, je vois que, lors de nos missions sous mandat de l’ONU, les populations (centrafricaines par exemple) sont plus en confiance quand elles sont en présence de militaires femmes. Le problème est que notre personnel féminin préfère une affectation dans la capitale et, un peu comme dans l’armée française, n’est pas très attiré par l’opérationnel. Nous réfléchissons au moyen de remédier à cela. » Rien de surprenant quand on sait que le général est fils du chef de la tribu maraboutique des Ideiboussat, donc ouvert et libéral. ALAIN FAUJAS »