Nommé le 20 mai 2020, Ministre de la justice Mohamed Mahmoud Ould Boye a tenté de défendre son bilan devant la presse et les médias sociaux. Un bilan jugé pourtant largement négatif par les acteurs du système judiciaire , qui voient dans son action un échec et un retour aux anciennes pratiques.
L’analyse attentive de son action durant les quatre années fait ressortir des fautes graves dans la conduite de la politique judiciaire, que nous exposerons dans les axes suivants:
1/ Une réforme judiciaire bâclée: Accusée de partialité et d’inaccessibilité, la justice ne bénéficie pas d’une bonne image auprès des justiciables. D’où l’urgence d’une réforme profonde et globale de son système. Cette entreprise salutaire passe par un préalable : la mise en place d’une instance nationale indépendante chargée de la réforme judiciaire.
L'organisation des états généraux de la Justice lancés au mois de Janvier 2023 par Mohamed Mahmoud ould Boye s’est tenue selon une optique différente. Le comité de pilotage et les commissions thématiques ont été choisis par le ministre et un calendrier restreint fut imposé, de manière à éviter tout débat de fond sur les problèmes réels dont souffre la justice . Le rapport découlant de ces rencontres ne comporta pas une analyse des lacunes du droit existant ni de solutions adaptées, se limitant à des recommandations d’ordre général sans portée réelle.
Ces carances ont conduit le Chef de l’Etat Mohamed Cheikh Ghazouany, à mettre en place le 9 Novembre 2023 une Haute Commission de Modernisation et Réforme de la justice chargée de définir les mesures appropriées à l’amélioration du fonctionnement de l’institution judiciaire.
2/ Amateurisme et impréparation : En règle générale, l’élaboration d’un texte de loi obéit à un double impératif: l’identification d’un problème juridique à résoudre, ensuite le choix de la solution à porter par un projet de texte, conçu suivant les procédés de codification habituels. Toutefois, ce cheminement ne fut pas respecté et les projets de lois importants furent initiés par le Ministre Ould Boye dans la précipitation et en dehors des procédures habituelles. Deux exemples permettent d’illustrer cette tendance:
-le projet de loi portant création de juridictions foncières au niveau des chefs lieu de Wilaya , adopté en conseil des Ministres, le 28 Septembre 2022, sur initiative du Ministre Mohamed Mahmood Ould Boye, et abandonné un mois plus tard pour des incohérences constatées dans la définition des attributions des nouvelles juridictions.
-le projet de loi contre les violences faites aux femmes adopté en conseil des ministres sur proposition du ministre de la justice puis retiré par le Gouvernement en Octobre 2023 suite aux critiques qu’il a suscité dans les milieux politiques et religieux . Des critiques dues essentiellement à un défaut d’articulation des nouvelles dispositions avec les textes de droit musulman régissant le statut de la femme mauritanienne.
3/ Le tribalisme érigé en mode de nomination: Partisan d’une refondation de la justice par le retour à une conception traditionaliste de celle-ci, Ould Boye considère la fonction de juger comme un attribut de la communauté tribalo ethnique à laquelle il appartient.
Dans sa conception ,la direction des tribunaux e leurs parquets doit être confiée aux magistrats issus de sa communauté ; leurs confrères appartenant aux groupes différents devant être placés dans des postes secondaires.
Ainsi le Conseil de la magistrature tenu en Décembre 2021, sur initiative d’Ould Boye, procéda à un vaste mouvement dans la magistrature, accordant la part belle aux magistrats issus de la communauté tribalo ethnique du ministre qui se sont vus attribuer l’essentiel des postes-clés dans l’appareil judiciaire. Les éléments du corps judiciaire appartenant à d’autres groupes ethniques furent casés dans des postes secondaires : substituts, conseillers, etc. Depuis lors cette orientation est devenue une constance dans sa stratégie de gestion des ressources humaines .
4/ les affectations arbitraires de magistrats : A ce retour “ aux fondements originels de la justice " s’ajoute les affectations arbitraires des magistrats du siège qui bénéficient de la garantie d’inamovibilité.
Des exemples tirés d’une longue liste suffiront à édifier le lecteur sur les affectations arbitraires effectuées par le Ministre de la Justice Ould Boye en violation des garanties statutaires : l’affectation arbitraire du président de la Cour d’appel de Nouadhibou, du président de la Chambre administrative de la Cour d’appel de Nouakchott, du président du Tribunal de la wilaya d’Inchiri, du juge d’instruction anti-drogue et, plus récemment, des magistrats qui avaient en charge le dossier de feu Souvi ould Cheïne.
Ces mesures prennent parfois le caractère d’une sanction déguisée à l’encontre des magistrats jugés trop indépendants, comme ce fut le cas du président de la Chambre pénale de la Cour d’appel en 2022 , du juge d’instruction du Tribunal de Nouakchott-Nord, où il y’a peu le Président de la Chambre criminelle de la Cour d’Appel de Nouakchott.
Les magistrats regroupés au sein du Club des Magistrats ont dénoncé à plusieurs reprises ces entorses, appelant au respect des garanties de l’indépendance des juges.
Mohamed Bouya ould Nahy
Ex-procureur de la République de Nouakchott
( NDLR : les propos de la rubrique " Tribune Libre " relèvent de la liberté d'expression et n'engagent que leur auteur )
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