Le poulpe Octopus vulgaris est une espèce côtière, qui vit dans les profondeurs de 35 à 150 m. Dans la zone mauritanienne, de par le volume débarqué (30 000 tonnes par an environ lors des périodes vastes) il revêt une grande importance sociale (12 000 emplois directs) et économique (de 6 000 à 14 000 dollars américains la tonne, suivant les catégories commerciales et les prix sur le marché international). C’est une espèce à durée de vie courte (12 à 14 mois). Son cycle de vie s’achève après la première reproduction par sa mort. Ces deux caractéristiques biologiques rendent la gestion de cette ressource halieutique extrêmement difficile.
La pêche artisanale mobilise environ 7000-8000 embarcations, dont plus de la moitié est concentrée à Nouadhibou en plus des bateaux côtiers construits par la Chantier Naval de Mauritanie (CNM). Une grande partie de ce parc s’adonne, au moins occasionnellement, à la reprise après le repos biologique à la pêche du poulpe. Fort de plusieurs atouts, ce mode de pêche artisanale est responsable certaines années du prélèvement de 70 % de la capture du poulpe et dans tous les cas plus de 50 % alors que son quota actuel représente 20 %.
Les raisons de cette performance de la pêche artisanale du poulpe sont multiples. i) Pendant la dernière décennie elle a connu une dynamique sans précédent avec un rythme de croissance annuel de 300 nouvelles unités de pêche (accès quasi-libre) ; ii) l’investissement initial, le coût de production du poulpe et le niveau de technicité requis pour l’équipage sont limités ; iii) la répartition généralement assez côtière du poulpe le rend plus accessible à ce segment pendant au moins une bonne partie de l’année ; iv) la proportion des juvéniles y est beaucoup plus faible qu’au niveau de la pêche hauturière. v) elle crée 3 à 4 fois plus d’emploi par tonne produite que la pêche hauturière ; vi) pour la même catégorie commerciale de poulpe, en raison d’une meilleure qualité, le différentiel de prix généralement débarqué par la pêche artisanale peut atteindre 1000 US $ la tonne (soit 15 à 20% de gain de prix) par rapport à celui de condition acceptable capturé par la pêche hauturière.
Lors de l’année écoulée et l’année en cours, les biomasses et les rendements étaient relativement satisfaisants. Cependant, la biomasse de cette espèce est rarement à l’équilibre. Elle est affectée à la fois par les fluctuations de l’environnement marins et par la pression de pêche. L’abondance de cette espèce à vie courte, donc difficile à prévoir, est très variable et réagit rapidement à de nombreux facteurs de forçage comme les changements environnementaux (intensité de l’upwelling qui est la principale source d’enrichissement en production primaire, base de la chaine trophique de notre zone ; température de l’eau, salinité), les interactions biologiques (fluctuations de l’abondance des proies et celles des prédateurs), la pêche.
Pour éviter l’effondrement de cette ressource stratégique, observé généralement lorsque la pression de pêche est très forte, comme c’est le cas actuellement dans notre zone, et lorsque les conditions du milieu deviennent défavorables (upwelling faible suite à une relaxation des alizés lors d’une période critique comme la saison de reproduction principale avril-mai), l’Etat, qui reste le propriétaire de cette ressource, a mis en place un nouveau plan d’aménagement en 2018, le troisième depuis le milieu des années 2000. C’est un processus dont la finalité est l’ajustement de l’effort de pêche à l’état de la ressource.
Au début des années 2000, dans la zone de Dakhla, juste après le retrait de cette zone de la flotte de céphalopodiers européens en 1999, ces deux phénomènes, à savoir des conditions du milieu défavorables et une très forte pression exercée par la pêche domestique, ont agi de concert et un effondrement aux conséquences désastreuses a été enregistrée. Les chiffres des captures du poulpe parlent d’eux-mêmes : 107 000 tonnes en 2000, 96 000 en 2001, 57 000 en 2002 et uniquement 16 000 tonnes en 2003.
Voyant la catastrophe arriver, un plan d’aménagement du poulpe a été mis en œuvre en 2001. Il « limite » les quotas du poulpe à 88 000 tonnes par an dont 45 000 reviennent à la pêche hauturière, 33 000 tonnes à la filière artisanale et 10 000 tonnes à la côtière. Pourtant l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH, équivalent de l’IMROP) a indiqué que la ressource ne peut pas supporter une pression de pêche supérieure à 55 000 tonnes. Puisque le volet social se taillait la part du lion comme fondement premier dans la prise de décisions, ces résultats scientifiques, jugés certainement pessimistes, n’ont pas été pris en compte.
En 2003, éclate une crise sans précédent de la pêche poulpière dans la zone de Dakhla. Les recettes d’exportation ont été divisées par 10, passant de 200 millions de $US en 2002 à 20 millions de $US en 2003. Un arrêt biologique de 1er septembre 2003 au 31 avril 2004 (soit 8 mois) a été décrété. 10 000 marins pêcheurs étaient au chômage et sans ressources. Une grève de la faim et des sit in de ces marins pêcheurs ont été organisés devant le siège du Ministère des pêches en février 2004.
Pour juguler cette crise, la mesure phare a été la réduction du nombre des navires pour chacun des segments et/ou les captures.
Ainsi, le nombre des navires hauturiers a été maintenu à 280 unités mais leur quota individuel a baissé de 33 %. Il est passé de 160 tonnes à 107 tonnes par an. Dans notre pays il était d’environ 150 tonnes de 2016 an jusqu’en 2019. Depuis cette date, ce quota est de 110 tonnes. Pour compenser cette réduction, 300 t de divers démersaux autre le merlu et les crustacés pourrait être accordées à l’armateur qui en fait la demande.
Pour la pêche côtière, le nombre de navires immatriculés à Dakhla ou El Aioun est passé de 280 à 100 unités.
Enfin au niveau de la pêche artisanale, seules 2500 barques ont bénéficié de licence contre 7500 unités au paravent.
Ce plan d’aménagement est accompagné d’autres mesures concernant le maillage des filets, révisé à la hausse, l’interdiction de pêcher à moins de 12 miles nautiques des côtes, le contrôle des navires et du volume de leur prise etc…
Des scientifiques de l’IMROP se demandaient à l’époque quelles étaient les raisons qui ont permis aux pêcheries mauritaniennes de poulpe Nouadhibou d’éviter cette situation catastrophique vécue à Dakhla, à moins de 500 km. Ils ont constaté que de part et d’autre les conditions du milieu étaient identiques et défavorables (chute sensible de l’intensité de l’Upwelling) avec comme corollaire une baisse tout aussi sensible de la biomasse de cette espèce. Un groupe de travail de l’IMROP, organisé en 2002, avait obtenu sur la base de simulation, que dans des conditions environnementales favorables, le potentiel de production du poulpe pourrait dépasser 42.000 t. A l’inverse, des années de faible upwelling entraîneraient un faible recrutement et un potentiel de production inférieur à 26.000 t. Ces travaux ont confirmé un diagnostic de surexploitation et la nécessité de réduire l’effort de pêche effectif, afin d’améliorer les rendements et d’accroître la biomasse de l’espèce. Dans la zone mauritanienne, l’excédent d’effort de pêche sur le poulpe était estimé par ce groupe de travail à environ 25%. Dans la zone de Dakhla, il a été évalué à la même période par l’INRH à plus de 60 %. C’est donc au niveau de l’intensité excessive de la pression de pêche excédentaire qu’il faudra rechercher l’une des principales causes de cet effondrement dans la zone de Dakhla.
Une deuxième raison residérait dans le poids minimum de poulpe éviscéré autorisé à être capturé. En Mauritanie, il est de 500 gr, au Sénégal et au Maroc, il variait à l’époque entre 350 et 400 gr. La Mauritanie a subi une forte pression de la part de l’Union européenne pour réduire la taille de première capture du poulpe et s’aligner à ces deux autres pays. Dans le cadre de l’accord de pêche, l’Union disposait encore d’une forte flotte de céphalopodiers autorisée à pêcher le poulpe dans la zone mauritanienne. L’IMROP, qui est à l’origine de cette mesure, s’est vu confiée cette question de révision de la taille de première capture par le MPEM. Pour infléchir la position de l’IMROP sur cette question sur des bases scientifiques, l’Union européenne a mobilisé un scientifique du Maroc et un autre du Sénégal en plus d’un scientifique européen. La réunion, tenue à cet effet au siège de l’IMROP à Nouadhibou, n’a pas abouti à une proposition de la révision de cette mesure. L’institution de recherche mauritanienne a démontré l’importance de cette mesure dans la politique de préservation de cette ressource. Suite à l’effondrement du stock de poulpe de Dakhla à partir de 2003, l’Union européenne a interdit en 2004 la commercialisation sur son territoire de poulpe dont le poids éviscéré est inférieur à 500 gr.
En Mauritanie, le premier plan d’aménagement de la pêcherie du poulpe a été élaboré à partir de 2002 à travers un processus participatif. Il a été adopté en 2006 par le Conseil de Ministres.
En général, la pêche pourrait être régulée par le contrôle des « inputs ; entrée » ou des « outputs ; sorties » ou une combinaison des deux. Au départ, la Mauritanie avait privilégié le contrôle des entrées. Cette politique prônait la création des aires marines protégées (sans effet sur la préservation du poulpe qui est absent jusqu’à très récemment du PNBA), la limitation des caractéristiques des navires, des engins de pêche, du maillage, l’instauration des zonages, des repos biologiques et les licences de pêche attribuées à tour de bras à la pêche artisanale. Cette approche a montré ses limites et les pêcheurs, qui ont toujours une longueur d’avance par rapport à la réglementation, ont trouvé des moyens pour contourner ces règles. Le gel de l’effort sur les espèces de fonds notamment les céphalopodes décrétés depuis 1997 ne s’appliquait pas à la pêche artisanale et côtière de telle sorte que la capacité de la pêche de ces deux segments n’est toujours pas maîtrisée. Pour la pêche artisanale poulpière, le nombre de pots dans chaque série et le nombre de série par navire n’étaient pas appliqué avant le dernier plan d’aménagement du poulpe dont la mise en œuvre effective a fait grincer des dents.
Suite à la diminution des rendements et en complément à ce dispositif, le recours au contrôle des « outputs » sous la forme des quotas individuels transférables après cinq ans d’exploitation de la concession, est retenu comme étant une orientation forte des différents plans d’aménagement du poulpe.
Afin de corriger ce dysfonctionnement, observé par le passé dans presque toutes les pêcheries du monde, ces plans d’aménagement de la pêcherie poulpe en Mauritanie, ont instauré, lorsque les conditions seront réunies, des quotas individuels transférables (QIT). Cette option est considérée comme un moyen de gestion idéal qui met en adéquation la question de l’équilibre du volume des captures à celle de la productivité de la ressource.
Malgré plusieurs avantages enregistrés pour ce mode de gestion depuis sa mise en œuvre, plusieurs contraventions ont été observées et parfois verbalisées : transbordement de captures du poulpe entre segment, fausses déclarations, sous-déclarations et les rejets d’individus dont la valeur commerciale est la plus faible. Ce qui complique le suivi de la consommation des quotas par les GCM et le rend plus compliqué et plus coûteux que d’habitude. Ainsi, le transbordement des captures de poulpe des unités de pêche hauturière vers les unités artisanales, parfois épinglé par les Gardes Côtes Mauritaniennes, constitue un important problème surtout dans le contexte mauritanien où les circuits occultes de commercialisation sont presque la règle.
L’attribution d’un quota global pour le segment artisanal a montré une fois de plus ses limites : course aux poissons juste après la reprise de pêche après le repos biologique ; augmentation des accidents en mer (prise de risque même par mer agitée à très agitée en raison de la concurrence) ; épuisement rapide des quotas ; inactivité des embarcations pendant le reste de la saison de pêche, baisse des bénéfices ; destruction des emplois. A contrario, le principal inconvénient de l’attribution d’un quota individuel par unité de pêche artisanale est le risque de la concentration des quotas transférables entre les mains de quelques individus ou armements. Une seconde contrainte résiderait dans le choix des 2200 embarcations qui doivent en bénéficier. Suivant une appréciation personnelle, le quota actuel de la pêche artisanale doit être multiplier par deux. Il a été établi par le passé qu’avec 7 tonnes de poulpe par an et par embarcation, le chiffre d’affaires réalisé par unité de pêche variait entre 15 et 20 millions de MRO, suivant les prix du marché. Ce qui parait confortable. Les critères d’accès proposés se présentent dans l’ordre suivant : i) Être mauritanien ; ii) Être propriétaire embarqué, iii) Disposer d’une usine à terre spécialisée dans le traitement de cette espèce. La concession attribuée à chaque usine ne doit pas dépasser les cinq unités de pêche artisanale iv) Être propriétaire de 3 navires de pêche artisanale et plus ; Être propriétaire de moins de 3 embarcations. Il faut rappeler que plus le nombre d’acteurs autorisé à opérer dans la pêche artisanale du poulpe augmente plus les coûts de la gestion explosent et la complexité s’intensifie.
En définitive, les importantes réformes, notamment juridiques et institutionnelles engagées depuis 2015, en particulier la promulgation de la loi de pêche et ses textes d’application constituent des avancées indéniables pour consacrer le droit de l’accès aux ressources halieutiques visant à améliorer les performances et la bonne gouvernance du secteur des pêches et garantir un meilleur état de santé́ notamment du poulpe. Cependant, la mise en œuvre de ces différents volets importants a dû faire face à des dysfonctionnements majeurs en particulier en matière de dépassement des quotas du poulpe singulièrement par la flotte artisanale.
Chercher à accroître la production halieutique du poulpe et donc les retombées sociales et économiques est une nécessité de bon sens. Arriver à cet objectif de façon brutale avec une flottille nationale, qui n’aura pas là où aller, en cas de baisse sensible de biomasse, c’est programmer l’échec doublé de catastrophes écologiques et de forte tensions sociales à répétition. Il importe d’insister sur le risque réel d’effondrement de cette espèce, très instable par nature, en raison de la variabilité imprévisible et non contrôlable de l’upwelling, surtout lorsque l’effort de pêche est très excessif, comme dans la situation actuelle. En cas de crise, les solutions sont limitées et sont toute très contraignantes et difficiles à supporter tant au niveau social et économique. Ne gagne-t-on pas, dès à présent, à tirer parti des enseignements des expériences très douloureuses des autres en conciliant production et durabilité, plus équitable et mieux répartie sur le plan spatial, saisonnier et interannuel ?
Par Mahfoudh Ould Sidi via facebook
La pêche artisanale mobilise environ 7000-8000 embarcations, dont plus de la moitié est concentrée à Nouadhibou en plus des bateaux côtiers construits par la Chantier Naval de Mauritanie (CNM). Une grande partie de ce parc s’adonne, au moins occasionnellement, à la reprise après le repos biologique à la pêche du poulpe. Fort de plusieurs atouts, ce mode de pêche artisanale est responsable certaines années du prélèvement de 70 % de la capture du poulpe et dans tous les cas plus de 50 % alors que son quota actuel représente 20 %.
Les raisons de cette performance de la pêche artisanale du poulpe sont multiples. i) Pendant la dernière décennie elle a connu une dynamique sans précédent avec un rythme de croissance annuel de 300 nouvelles unités de pêche (accès quasi-libre) ; ii) l’investissement initial, le coût de production du poulpe et le niveau de technicité requis pour l’équipage sont limités ; iii) la répartition généralement assez côtière du poulpe le rend plus accessible à ce segment pendant au moins une bonne partie de l’année ; iv) la proportion des juvéniles y est beaucoup plus faible qu’au niveau de la pêche hauturière. v) elle crée 3 à 4 fois plus d’emploi par tonne produite que la pêche hauturière ; vi) pour la même catégorie commerciale de poulpe, en raison d’une meilleure qualité, le différentiel de prix généralement débarqué par la pêche artisanale peut atteindre 1000 US $ la tonne (soit 15 à 20% de gain de prix) par rapport à celui de condition acceptable capturé par la pêche hauturière.
Lors de l’année écoulée et l’année en cours, les biomasses et les rendements étaient relativement satisfaisants. Cependant, la biomasse de cette espèce est rarement à l’équilibre. Elle est affectée à la fois par les fluctuations de l’environnement marins et par la pression de pêche. L’abondance de cette espèce à vie courte, donc difficile à prévoir, est très variable et réagit rapidement à de nombreux facteurs de forçage comme les changements environnementaux (intensité de l’upwelling qui est la principale source d’enrichissement en production primaire, base de la chaine trophique de notre zone ; température de l’eau, salinité), les interactions biologiques (fluctuations de l’abondance des proies et celles des prédateurs), la pêche.
Pour éviter l’effondrement de cette ressource stratégique, observé généralement lorsque la pression de pêche est très forte, comme c’est le cas actuellement dans notre zone, et lorsque les conditions du milieu deviennent défavorables (upwelling faible suite à une relaxation des alizés lors d’une période critique comme la saison de reproduction principale avril-mai), l’Etat, qui reste le propriétaire de cette ressource, a mis en place un nouveau plan d’aménagement en 2018, le troisième depuis le milieu des années 2000. C’est un processus dont la finalité est l’ajustement de l’effort de pêche à l’état de la ressource.
Au début des années 2000, dans la zone de Dakhla, juste après le retrait de cette zone de la flotte de céphalopodiers européens en 1999, ces deux phénomènes, à savoir des conditions du milieu défavorables et une très forte pression exercée par la pêche domestique, ont agi de concert et un effondrement aux conséquences désastreuses a été enregistrée. Les chiffres des captures du poulpe parlent d’eux-mêmes : 107 000 tonnes en 2000, 96 000 en 2001, 57 000 en 2002 et uniquement 16 000 tonnes en 2003.
Voyant la catastrophe arriver, un plan d’aménagement du poulpe a été mis en œuvre en 2001. Il « limite » les quotas du poulpe à 88 000 tonnes par an dont 45 000 reviennent à la pêche hauturière, 33 000 tonnes à la filière artisanale et 10 000 tonnes à la côtière. Pourtant l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH, équivalent de l’IMROP) a indiqué que la ressource ne peut pas supporter une pression de pêche supérieure à 55 000 tonnes. Puisque le volet social se taillait la part du lion comme fondement premier dans la prise de décisions, ces résultats scientifiques, jugés certainement pessimistes, n’ont pas été pris en compte.
En 2003, éclate une crise sans précédent de la pêche poulpière dans la zone de Dakhla. Les recettes d’exportation ont été divisées par 10, passant de 200 millions de $US en 2002 à 20 millions de $US en 2003. Un arrêt biologique de 1er septembre 2003 au 31 avril 2004 (soit 8 mois) a été décrété. 10 000 marins pêcheurs étaient au chômage et sans ressources. Une grève de la faim et des sit in de ces marins pêcheurs ont été organisés devant le siège du Ministère des pêches en février 2004.
Pour juguler cette crise, la mesure phare a été la réduction du nombre des navires pour chacun des segments et/ou les captures.
Ainsi, le nombre des navires hauturiers a été maintenu à 280 unités mais leur quota individuel a baissé de 33 %. Il est passé de 160 tonnes à 107 tonnes par an. Dans notre pays il était d’environ 150 tonnes de 2016 an jusqu’en 2019. Depuis cette date, ce quota est de 110 tonnes. Pour compenser cette réduction, 300 t de divers démersaux autre le merlu et les crustacés pourrait être accordées à l’armateur qui en fait la demande.
Pour la pêche côtière, le nombre de navires immatriculés à Dakhla ou El Aioun est passé de 280 à 100 unités.
Enfin au niveau de la pêche artisanale, seules 2500 barques ont bénéficié de licence contre 7500 unités au paravent.
Ce plan d’aménagement est accompagné d’autres mesures concernant le maillage des filets, révisé à la hausse, l’interdiction de pêcher à moins de 12 miles nautiques des côtes, le contrôle des navires et du volume de leur prise etc…
Des scientifiques de l’IMROP se demandaient à l’époque quelles étaient les raisons qui ont permis aux pêcheries mauritaniennes de poulpe Nouadhibou d’éviter cette situation catastrophique vécue à Dakhla, à moins de 500 km. Ils ont constaté que de part et d’autre les conditions du milieu étaient identiques et défavorables (chute sensible de l’intensité de l’Upwelling) avec comme corollaire une baisse tout aussi sensible de la biomasse de cette espèce. Un groupe de travail de l’IMROP, organisé en 2002, avait obtenu sur la base de simulation, que dans des conditions environnementales favorables, le potentiel de production du poulpe pourrait dépasser 42.000 t. A l’inverse, des années de faible upwelling entraîneraient un faible recrutement et un potentiel de production inférieur à 26.000 t. Ces travaux ont confirmé un diagnostic de surexploitation et la nécessité de réduire l’effort de pêche effectif, afin d’améliorer les rendements et d’accroître la biomasse de l’espèce. Dans la zone mauritanienne, l’excédent d’effort de pêche sur le poulpe était estimé par ce groupe de travail à environ 25%. Dans la zone de Dakhla, il a été évalué à la même période par l’INRH à plus de 60 %. C’est donc au niveau de l’intensité excessive de la pression de pêche excédentaire qu’il faudra rechercher l’une des principales causes de cet effondrement dans la zone de Dakhla.
Une deuxième raison residérait dans le poids minimum de poulpe éviscéré autorisé à être capturé. En Mauritanie, il est de 500 gr, au Sénégal et au Maroc, il variait à l’époque entre 350 et 400 gr. La Mauritanie a subi une forte pression de la part de l’Union européenne pour réduire la taille de première capture du poulpe et s’aligner à ces deux autres pays. Dans le cadre de l’accord de pêche, l’Union disposait encore d’une forte flotte de céphalopodiers autorisée à pêcher le poulpe dans la zone mauritanienne. L’IMROP, qui est à l’origine de cette mesure, s’est vu confiée cette question de révision de la taille de première capture par le MPEM. Pour infléchir la position de l’IMROP sur cette question sur des bases scientifiques, l’Union européenne a mobilisé un scientifique du Maroc et un autre du Sénégal en plus d’un scientifique européen. La réunion, tenue à cet effet au siège de l’IMROP à Nouadhibou, n’a pas abouti à une proposition de la révision de cette mesure. L’institution de recherche mauritanienne a démontré l’importance de cette mesure dans la politique de préservation de cette ressource. Suite à l’effondrement du stock de poulpe de Dakhla à partir de 2003, l’Union européenne a interdit en 2004 la commercialisation sur son territoire de poulpe dont le poids éviscéré est inférieur à 500 gr.
En Mauritanie, le premier plan d’aménagement de la pêcherie du poulpe a été élaboré à partir de 2002 à travers un processus participatif. Il a été adopté en 2006 par le Conseil de Ministres.
En général, la pêche pourrait être régulée par le contrôle des « inputs ; entrée » ou des « outputs ; sorties » ou une combinaison des deux. Au départ, la Mauritanie avait privilégié le contrôle des entrées. Cette politique prônait la création des aires marines protégées (sans effet sur la préservation du poulpe qui est absent jusqu’à très récemment du PNBA), la limitation des caractéristiques des navires, des engins de pêche, du maillage, l’instauration des zonages, des repos biologiques et les licences de pêche attribuées à tour de bras à la pêche artisanale. Cette approche a montré ses limites et les pêcheurs, qui ont toujours une longueur d’avance par rapport à la réglementation, ont trouvé des moyens pour contourner ces règles. Le gel de l’effort sur les espèces de fonds notamment les céphalopodes décrétés depuis 1997 ne s’appliquait pas à la pêche artisanale et côtière de telle sorte que la capacité de la pêche de ces deux segments n’est toujours pas maîtrisée. Pour la pêche artisanale poulpière, le nombre de pots dans chaque série et le nombre de série par navire n’étaient pas appliqué avant le dernier plan d’aménagement du poulpe dont la mise en œuvre effective a fait grincer des dents.
Suite à la diminution des rendements et en complément à ce dispositif, le recours au contrôle des « outputs » sous la forme des quotas individuels transférables après cinq ans d’exploitation de la concession, est retenu comme étant une orientation forte des différents plans d’aménagement du poulpe.
Afin de corriger ce dysfonctionnement, observé par le passé dans presque toutes les pêcheries du monde, ces plans d’aménagement de la pêcherie poulpe en Mauritanie, ont instauré, lorsque les conditions seront réunies, des quotas individuels transférables (QIT). Cette option est considérée comme un moyen de gestion idéal qui met en adéquation la question de l’équilibre du volume des captures à celle de la productivité de la ressource.
Malgré plusieurs avantages enregistrés pour ce mode de gestion depuis sa mise en œuvre, plusieurs contraventions ont été observées et parfois verbalisées : transbordement de captures du poulpe entre segment, fausses déclarations, sous-déclarations et les rejets d’individus dont la valeur commerciale est la plus faible. Ce qui complique le suivi de la consommation des quotas par les GCM et le rend plus compliqué et plus coûteux que d’habitude. Ainsi, le transbordement des captures de poulpe des unités de pêche hauturière vers les unités artisanales, parfois épinglé par les Gardes Côtes Mauritaniennes, constitue un important problème surtout dans le contexte mauritanien où les circuits occultes de commercialisation sont presque la règle.
L’attribution d’un quota global pour le segment artisanal a montré une fois de plus ses limites : course aux poissons juste après la reprise de pêche après le repos biologique ; augmentation des accidents en mer (prise de risque même par mer agitée à très agitée en raison de la concurrence) ; épuisement rapide des quotas ; inactivité des embarcations pendant le reste de la saison de pêche, baisse des bénéfices ; destruction des emplois. A contrario, le principal inconvénient de l’attribution d’un quota individuel par unité de pêche artisanale est le risque de la concentration des quotas transférables entre les mains de quelques individus ou armements. Une seconde contrainte résiderait dans le choix des 2200 embarcations qui doivent en bénéficier. Suivant une appréciation personnelle, le quota actuel de la pêche artisanale doit être multiplier par deux. Il a été établi par le passé qu’avec 7 tonnes de poulpe par an et par embarcation, le chiffre d’affaires réalisé par unité de pêche variait entre 15 et 20 millions de MRO, suivant les prix du marché. Ce qui parait confortable. Les critères d’accès proposés se présentent dans l’ordre suivant : i) Être mauritanien ; ii) Être propriétaire embarqué, iii) Disposer d’une usine à terre spécialisée dans le traitement de cette espèce. La concession attribuée à chaque usine ne doit pas dépasser les cinq unités de pêche artisanale iv) Être propriétaire de 3 navires de pêche artisanale et plus ; Être propriétaire de moins de 3 embarcations. Il faut rappeler que plus le nombre d’acteurs autorisé à opérer dans la pêche artisanale du poulpe augmente plus les coûts de la gestion explosent et la complexité s’intensifie.
En définitive, les importantes réformes, notamment juridiques et institutionnelles engagées depuis 2015, en particulier la promulgation de la loi de pêche et ses textes d’application constituent des avancées indéniables pour consacrer le droit de l’accès aux ressources halieutiques visant à améliorer les performances et la bonne gouvernance du secteur des pêches et garantir un meilleur état de santé́ notamment du poulpe. Cependant, la mise en œuvre de ces différents volets importants a dû faire face à des dysfonctionnements majeurs en particulier en matière de dépassement des quotas du poulpe singulièrement par la flotte artisanale.
Chercher à accroître la production halieutique du poulpe et donc les retombées sociales et économiques est une nécessité de bon sens. Arriver à cet objectif de façon brutale avec une flottille nationale, qui n’aura pas là où aller, en cas de baisse sensible de biomasse, c’est programmer l’échec doublé de catastrophes écologiques et de forte tensions sociales à répétition. Il importe d’insister sur le risque réel d’effondrement de cette espèce, très instable par nature, en raison de la variabilité imprévisible et non contrôlable de l’upwelling, surtout lorsque l’effort de pêche est très excessif, comme dans la situation actuelle. En cas de crise, les solutions sont limitées et sont toute très contraignantes et difficiles à supporter tant au niveau social et économique. Ne gagne-t-on pas, dès à présent, à tirer parti des enseignements des expériences très douloureuses des autres en conciliant production et durabilité, plus équitable et mieux répartie sur le plan spatial, saisonnier et interannuel ?
Par Mahfoudh Ould Sidi via facebook