« Son objectif est d’être réélu sans contestation de ses opposants et avec le moins de bruit possible », résume un proche de Mohamed Ould Ghazouani, le chef de l’Etat sortant et actuel président en exercice de l’Union africaine (UA). L’élection présidentielle en Mauritanie, dont le premier tour est prévu le samedi 29 juin, s’annonce en effet sans risque de grande surprise. Le candidat du Parti de l’équité, élu en 2019, est donné largement favori face à ses six concurrents. Environ 1,9 million d’électeurs sont appelés à les départager. Un éventuel second tour est prévu le 14 juillet. « Il part serein et vise les 60 % dès le premier tour », poursuit la même source.
L’enjeu de cette présidentielle est de fait ailleurs. Dans un pays hanté par quatre coups d’Etat depuis son indépendance – le dernier date de 2008 –, le scrutin présidentiel apparaît comme un test de solidité du processus démocratique.
Le plus sérieux challenger du président est le député « antisystème » Biram Ould Abeid. A la tête d’une ONG anti-esclavagiste, plusieurs fois emprisonné pour, notamment, « appartenance à une organisation non reconnue » et « menaces » contre un journaliste, il était arrivé deuxième en 2019 avec 19 % des voix. Il promet de mettre fin aux « discriminations qui touchent les négro-mauritaniens, à la corruption, à la gabegie » de la présidence Ghazouani. Mais ses chances de victoire sont faibles alors que l’opposition part en ordre dispersé.
« Un coup de maître »
Certains de ses membres ont fini par rejoindre le camp du pouvoir et le parti islamiste Tawassoul représenté par Hamadi Ould Sidi El-Mokhtar, deuxième force au Parlement avec 11 députés (sur 176), ne présente pas de menace pour la réélection du président sortant. « C’est un coup de maître, se félicite l’un de ses alliés. Il a su écouter et dialoguer avec ses rivaux contrairement à l’ex-président Aziz, en les ralliant à lui. On a aujourd’hui une scène politique relativement pacifiée, ce qui est assez inédit dans notre histoire ».
Homme de dialogue, M. Ghazouani, 68 ans, n’en demeure pas moins un dirigeant implacable. En témoigne la condamnation en décembre 2023 à cinq ans de prison de son prédécesseur et mentor l’ex-président Mohamed Ould Abdel Aziz pour « enrichissement illicite ». « Il n’a pas bougé un doigt pour empêcher les poursuites contre celui qui avait accepté de céder le pouvoir en démissionnant en 2019. C’est aussi une marque de bonne gouvernance que de laisser la justice faire son travail », estime l’un de ses proches.
Pour ce pays, rare pôle de stabilité dans une Afrique de l’Ouest marquée par les attentats djihadistes et les coups d’Etat de prétoriens, l’ère Ghazouani marque aussi la continuité d’une politique sécuritaire qui a fait ses preuves. Aucun attentat terroriste n’a été commis depuis 2011.
« M. Ghazouani s’est inscrit dans la poursuite d’une stratégie qui mise sur la surveillance territoriale et des renseignements efficaces. Mais aussi sur une politique de déradicalisation fondée sur un dialogue inclusif, y compris avec d’anciens terroristes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), constate Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. Les oulémas mauritaniens qui jouissent d’une grande autorité ont travaillé à discréditer, avec un certain succès, les discours extrémistes. La sensibilisation des repentis auprès des jeunes a aussi eu un effet. »
Multiplication des départs
Si le maintien de la sécurité est à mettre au crédit de cet ancien chef d’état-major et patron du renseignement militaire, celui-ci se présente à l’élection avec un bilan en demi-teinte. Une politique sociale a été menée à destination des plus nécessiteux avec l’élargissement de la couverture médicale à 800 000 personnes, le doublement des retraites, la construction de 350 écoles, mais la multiplication des départs atteste d’un malaise.
Depuis 2022, au moins 22 000 jeunes Mauritaniens ont pris la route du Nicaragua pour rejoindre les Etats-Unis, selon Washington. Le pays sert aussi de zone de transit pour les candidats à l’émigration vers l’Europe. En 2023, « 80 % des bateaux parvenus aux Canaries sont partis de cet Etat sahélien ou ont transité par ses eaux », rapporte le chercheur Hassane Koné de l’Institut d’études de sécurité (ISS). Un accord signé en mars avec l’Union européenne doit désormais inciter Nouakchott à empêcher ces départs, en contrepartie d’un versement de 210 millions d’euros.
« C’est une véritable saignée que nous subissons, s’alarme Bah Moussa Bathily, enseignant-chercheur membre du cercle de réflexion Mauritanie Perspectives. Nous perdons des fonctionnaires, des enseignants indispensables au développement du pays. Or l’éducation est une urgence sociale. On a encore entre 100 et 150 élèves par classe. »
Pour répondre à l’énorme défi éducatif, le président Ghazouani a rendu obligatoire et gratuite l’instruction à l’école primaire. Une manière de corriger les graves inégalités sociales qui maintiennent au bas de l’échelle la communauté des Haratines dont une partie des membres est issue de l’esclavage.
lemonde.fr