Longtemps habituée aux coups d’État depuis son indépendance en 1960, la Mauritanie fait aujourd’hui figure d’îlot de stabilité au Sahel, alors que le rejet de la France va grandissant dans cette région d’Afrique de plus en plus livrée au djihadisme, aux groupes armés en tous genres et traversée par d’importantes vagues migratoires. Mohamed Ould Ghazouani, élu à la présidence de la République islamique de Mauritanie en 2019, qui devrait se représenter en 2024, a reçu Le Figaro dans le palais présidentiel de Nouakchott, la capitale du pays.
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Le Figaro : La France vient de rappeler son ambassadeur au Niger et s’apprête à évacuer ses soldats présents sur place. Ce retrait signe-t-il l’échec de la présence française au Sahel?
Mohamed Ould Ghazouani : Je ne dirai pas que c’est un échec pour la France ni une humiliation, comme j’ai pu l’entendre dire, mais elle a sans doute raison de partir. Quant à la Mauritanie, elle a condamné le coup d’État au Niger, comme elle a condamné tous les coups d’États qui ont précédé au Sahel.
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Le Figaro : Pourriez-vous accueillir sur votre sol les 1500 militaires français qui vont quitter le Niger d’ici à la fin de l’année?
Mohamed Ould Ghazouani : La Mauritanie ne me paraît pas, ni stratégiquement ni géographiquement, le meilleur pays pour accueillir des soldats dédiés à la lutte contre le terrorisme au Sahel. Dans un tel dispositif de lutte contre le terrorisme, une action des forces dédiées est plus logique depuis un pays qui est davantage au centre ou dans la proximité du champ d’action. La Mauritanie n’a d’ailleurs pas connu d’attentat sur son sol depuis 2011 et a, sans doute, moins besoin de l’assistance d’une force multinationale.
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Le Figaro : Prenez-vous des nouvelles du président nigérien renversé, Mohamed Bazoum, retenu dans la résidence présidentielle de Niamey?
Mohamed Ould Ghazouani : Je l’ai de temps en temps au téléphone. Il est effectivement retenu avec son épouse et son fils Salem. Il va bien et me dit être en bonne santé, même si - et ce n’est un secret pour personne - ses conditions de vie ne sont pas bonnes. Il garde néanmoins le moral.
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Le Figaro : À part la Mauritanie, quatre des cinq pays du G5 Sahel (Tchad, Niger, Burkina Faso, Mali) ont connu ces derniers temps des coups d’État ou un changement à la tête du pays. Dans ce nouveau contexte, le G5 Sahel, créé en 2014 pour lutter contre le terrorisme et le sous-développement, puis soutenu par la France, est-il mort?
Mohamed Ould Ghazouani : Non, je vous l’affirme, le G5 Sahel n’est pas mort. Cette organisation, que je préside, est encore en vie. Seul le Mali en est pour l’instant sorti. Les raisons qui ont présidé à la création de cette structure - la lutte antiterroriste et les efforts communs pour le développement - restent pertinentes. Nos défis partagés demeurent.
Certes, la sortie du Mali pose un problème. Elle crée de la discontinuité pour nos opérations militaires communes qui se poursuivent avec les autres pays. Nous devons impérativement surmonter nos différends par le dialogue pour atteindre nos objectifs sur les deux fronts précités. On doit se parler. La règle est la concertation et je veux rester optimiste. Il est de notre devoir, à tous, de maintenir cette organisation comme un acquis géopolitique et stratégique majeur au service de la paix et du développement des peuples du Sahel. Celle-ci est un rempart contre le repli sur soi et le regain des communautarismes.
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Le Figaro : Voyez-vous la main de Wagner derrière cette déstabilisation du Sahel?
Mohamed Ould Ghazouani : Les bruits courent sur cette présence au Mali, mais j’entends aussi la voix officielle du Mali qui dit qu’existe une coopération directe avec l’État russe.
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Le Figaro : Les villes de Tombouctou et de Gao sont au cœur d’une guerre entre groupes armés et pourraient prochainement tomber. Avez-vous peur qu’un califat s’installe au cœur du Sahel?
Mohamed Ould Ghazouani : Effectivement, le nord du Mali et particulièrement les villes de Gao et de Tombouctou connaissent, ces dernières semaines, une situation sécuritaire précaire. De façon générale, la situation du moment au Sahel n’est pas bonne, elle est même très mauvaise. Tous les pays de la région sont sous pression, y compris mon pays. Les activités des groupes terroristes s’intensifient, d’autant que les forces françaises de Barkhane ne sont plus là ni celles de la mission onusienne de la Minusma.
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Le Figaro : Un violent sentiment antifrançais s’exprime dans les pays sahéliens. Comment l’expliquez-vous?
Mohamed Ould Ghazouani : J’entends d’abord un populisme virulent qui n’est pas propre à l’Afrique, mais qui s’exprime partout sur la planète. Ce populisme, que personne ne maîtrise, est largement amplifié par les réseaux sociaux. Pour ce qui est du sentiment antifrançais, il n’y a pas, à mon sens, à proprement parler, de sentiment antifrançais. Je parlerais plutôt de malentendus de parcours, comme il en existe parfois entre amis de longue date.
J’explique cela par des attentes, que je juge excessives, de certaines populations africaines vis-à-vis d’un pays historiquement ami. Certes, le passé ne passe pas toujours, mais, selon moi, l’Afrique attend trop de la France. Et puis, attention, il existe, parallèlement à cela, une insatisfaction des opinions africaines sur la gestion des affaires publiques en termes de gouvernance et de démocratie dans nos pays. Le mécontentement vise donc deux destinataires. J’ajoute que ce sentiment dit «antifrançais» ne se manifeste pas en Mauritanie, car le respect et l’amitié ont toujours présidé aux relations entre la France et mon pays.
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Le Figaro : Comment la Mauritanie lutte-t-elle contre la vague migratoire qui vient d’Afrique subsaharienne?
Mohamed Ould Ghazouani : Nous avons deux types de migrants. D’une part, ceux qui arrivent d’Afrique subsaharienne par la mer pour rejoindre l’Europe, via les Canaries. Leur nombre est croissant et met à l’épreuve nos moyens de surveillance. Et puis il y a également les réfugiés fuyant les attaques dans le Sahel, malien pour la plupart, qui affluent vers notre camp de Mbera, à l’est de la Mauritanie, et qui ne cherchent pas à rejoindre l’Europe pour la plupart d’entre eux. Leur nombre a doublé en un an et atteint désormais plus de 100.000 individus. Aucune ville mauritanienne, en dehors de Nouakchott, est aussi peuplée. Ces migrants nous coûtent à tous points de vue, notamment sur le plan sécuritaire, car comment reconnaître, parmi eux, d’éventuels terroristes? Sur le front humanitaire, nous avons l’aide louable, mais insuffisante, des agences de l’ONU. Ce phénomène migratoire, potentiellement déstabilisateur, m’inquiète beaucoup.
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Le Figaro : Les relations de la France avec le Maroc et l’Algérie sont aussi difficiles, compliquées par le dossier du Sahara occidental. Quelle est votre position sur ce sujet?
Mohamed Ould Ghazouani : Traditionnellement, la Mauritanie a toujours observé une neutralité par rapport à ce dossier. Depuis 2019, on a maintenu cette neutralité - sans pour autant être indifférent - tout en la rendant positive. Pour ce qui est des relations entre la France et le Maroc, personne ne nous a rien demandé et, d’ailleurs, nous n’avons pas connaissance d’un différend entre ces deux pays.
Nous pensons plutôt que ce qui les lie est plus fort que ce qui peut les séparer. Nous sommes toujours disposés à jouer notre rôle d’amis, mais je pense que ni la France ni le Maroc n’ont besoin de nous pour se parler. Entre nations amies, quand bien même il y aurait des divergences, la sagesse des dirigeants parvient toujours à les régler. Pour ce qui la concerne, la Mauritanie est un trait d’union entre le monde arabe et l’Afrique subsaharienne. Elle fait le maximum pour rapprocher ces deux ensembles.
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Le Figaro : La France a-t-elle encore un avenir en Afrique?
Mohamed Ould Ghazouani : C’est le pays d’Occident qui connaît le mieux l’Afrique, avec laquelle il a un lien exceptionnel. La France a une histoire commune avec l’Afrique, et donc un avenir. Avec l’Europe en général et la France en particulier, nous avons non seulement un passé lié, mais la géographie, la culture et les civilisations des mondes méditerranéens nous obligent à relever ensemble les défis d’aujourd’hui et de demain.
Toutefois, si la France a évidemment un avenir en Afrique, il faut que l’Afrique ait également un avenir en France, en Europe et en Occident. Cet avenir est commun et il ne doit pas se concevoir aux dépens de l’autre, ni dans un sens ni dans l’autre. Il faut rebâtir cette relation à partir de ce qui existe déjà de positif, et pas seulement sur le plan militaire, pour que le résultat soit gagnant-gagnant. Nous avons, ensemble, à relever des défis liés à la montée des courants haineux en Europe comme en Afrique, aux questions essentielles comme la migration et la coopération Nord-Sud, pour structurer des réponses partagées, empreintes de respect mutuel, de justice et d’équité.
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Le Figaro : Serez-vous candidat à votre réélection en 2024 ?
Mohamed Ould Ghazouani : Je me soumettrai à la volonté de ma majorité et du peuple.
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Le Figaro : Vous serez donc bien candidat…
Mohamed Ould Ghazouani : À vous d’interpréter…
Par Yves Thréard
Le Figaro
Alwiam