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un grain de sable pour secouer la poussière...

Dr. Khalilou Dedde, vice-président de l’UFP et ancien député à l’Assemblée Nationale : ‘’ La politique d’apaisement du président de la République a suscité d’énormes espoirs mais elle n’a pas donné les fruits attendus’’

Jeudi 6 Février 2025 - 18:31

Le Calame : Le 22 janvier courant, le président de la République a donné le coup d’envoi du programme d’urgence de développement et de modernisation de Nouakchott, pour un cout de 50 milliards d’Ouguiya. Que pensez-vous de ces travaux que d'aucuns comparent aux travaux d'Hercule et d'autres de l'argent jeté par la fenêtre ?

Khalilou Dedde : Nouakchott est devenue est une métropole qui concentre, de façon continue et à un rythme rapide, de nombreuses populations et des activités humaines diverses, rendant son fonctionnement normal et durable plus que problématique. Chercher des solutions aux problèmes de cette ville dans le cadre d’une logique de modernisation et de développement ne peut être qu’une bonne chose d’autant plus qu’elle joue la fonction de vitrine du pays. Mais comment la moderniser et la développer ? Cette interrogation soulève le questionnement des préalables de conception, de financement et de mise en œuvre. L’enveloppe des 50 milliards d’Ouguiya règle le problème du financement mais reste à connaître tous les autres aspects du projet à réaliser. A-t-on placé le programme pour Nouakchott dans une vision à l’échelle nationale qui préserverait un minimum d’harmonie dans le développement du réseau urbain national en limitant les disparités et les injustices territoriales ? La mise en œuvre de ce gigantesque projet sera –t-elle transparente ? Réussira-t-elle à éviter de tomber dans le travers de la gabegie et des malversations systémiques ? Je pense que les habitants de Nouakchott, sans ségrégation, ont le droit d’avoir une ville où il fait bon vivre, mais ce vœu risque d’être pieux tant que les exigences de bonne gouvernance et de justice socio-spatiale ne sont pas garanties.
 

Votre parti, l’UFP a tenu une session ordinaire en fin décembre dernier.  Comment se porte l’UFP qui a perdu tous ses élus lors des derrières élections locales, régionales et législatives de juin 2023 ? Quel est l’enjeu de la prochaine campagne de réimplantation ?

-La force d’un parti politique réside d’abord dans la clarté et la pertinence de sa vision, dans sa capacité de prendre des initiatives, dans l’unité, en réponses aux attentes de son milieu d’implantation. Avoir des élus c’est important mais cela demeure un appoint. Depuis sa création, le point fort de notre parti n’a jamais été son poids électoral mais surtout la crédibilité de ses positions. Les voix des électeurs, qui déterminent le nombre d’élus, sont mouvantes en fonction des conjonctures et des conditions des scrutins. L’UFP, de ce point de vue, se porte bien. Elle réunit régulièrement ses instances. Elle se prépare à sa campagne de réimplantation dont les enjeux sont : le renouvellement des structures de base en les rajeunissant, la préparation de notre cinquième congrès ordinaire en 2025 qui devrait couronner un processus de réformes internes, sur la base d’un audit réalisé après les élections de mai 2023, visant à renforcer les capacités du parti afin qu’il puisse faire face, dans de meilleurs conditions, aux dangers qui pèsent sur le pays et le peuple.
 

-Votre parti a participé à la création d’une coalition appelée «coalition des forces du Peuple ». Pouvez-vous nous dire les raisons qui vous ont poussé à mettre en place cette coalition ? Que peut-on en attendre ?

-Notre coalition actuelle est le prolongement de l’Alliance qui avait soutenu la candidature de M. El Id Mohameden M’bareck lors de l’élection présidentielle de 2024. Elle vise à rassembler l’opposition démocratique autour d’une offre politique d’unité du peuple et de stabilité du pays, tout en prenant en charge les préoccupations des masses en vue d’un changement salutaire. De cette orientation on peut attendre l’expression d’un discours d’opposition rassurante, des activités politiques publiques de mobilisation des populations en vue d’accéder à leurs droits par des pressions pacifiques sur le pouvoir. C’est donc une initiative qui tente de relancer le travail de l’opposition patriotique et démocratique avec comme finalité le changement qualitatif qui s’impose dans le pays.
 

Quel rapport entretient votre coalition avec l’autre coalition dénommée « Coalition antisystème » ? N’avez-vous pas le sentiment que la naissance de ces deux coalitions risque encore d’affaiblir l’opposition et partant annihiler tout espoir d’alternance?  

-Notre coalition a rencontré celle à laquelle vous faites allusion, des engagements ont été pris de coordonner autour des grands problèmes sur lesquels nos points de vue convergent, par exemple le dialogue et le processus électoral. Mieux que ça, notre coalition a pris langue avec d’autres formations de l’opposition pour dénoncer ensemble le projet de loi sur les partis politiques. Ce sont là des signes précurseurs d’un renouveau unitaire de l’opposition qui prend de plus en conscience que l’alternance resterait une chimère tant qu’elle n’a pas, par son action unie, pesé dans le sens de la réforme consensuelle du système électoral, condition sine qua non pour que l’autorité des pouvoirs publics repose sur la volonté du peuple, volonté exprimée par des élections honnêtes dont les résultats seront acceptés par tous à l’instar de ce qui vient de se passer au Sénégal frère. En tous cas comme le dit l’adage : « vaut mieux prévenir que guérir ».
 

-Quelle évaluation vous faites de la politique d’ouverture du président Ghazwani, après ses cinq de mandat ? Quel profit en a tiré l’opposition ? Continue-t-il dans le même sens depuis sa réélection en juin dernier ?

 -La politique d’apaisement du président de la République a suscité d’énormes espoirs et a créé les conditions politiques propices à la normalisation de la vie dans le pays par des consensus salvateurs, mais elle n’a pas donné, malheureusement, les fruits attendus créant du coup des déceptions et des désenchantements. L’aura et la présence de l’opposition sur la scène politique en ont essuyé des revers. Le pouvoir va-t-il poursuivre la même démarche au début d’un second mandat ?  Pour le moment, nous entendons les mêmes discours de bonne volonté mais les actes suffisamment posés ne suivent pas, ce qui alimente le scepticisme de l’opinion.
 

-  Quelle place pourrait occuper le pacte républicain dont votre parti est signataire, au dialogue dont on parle ?

 -Tout nouveau dialogue n’a de crédibilité en faisant fi du pacte républicain qui représente un acquis solide sur la voie de l’entente nationale, c’est une base sur laquelle il convient plutôt de continuer à bâtir pour sortir le pays de l’ornière des risques de dérives malheureuses.
 

- Le gouvernement a adopté un projet de décret visant à réorganiser ou assainir les partis politiques. C’est une bonne chose, non ?

 - Le multipartisme politique est un acquis historique gagné de hautes luttes par notre peuple qui a longtemps souffert du système du parti unique et des régimes d’exception anti-libertés publiques. C’est une voie juste pouvant se substituer aux structures sociales traditionnelles, tribales, ethniques ou de castes. Or la nouvelle loi relative aux partis politiques est un recul des libertés démocratiques car n’ayant pas été le produit d’un dialogue sérieux et inclusif, elle comporte certaines dispositions mortelles pour les partis politiques. Certes, notre multipartisme a besoin d’être assaini mais rationaliser le fonctionnement des partis ne doit pas signifier leur disparition à terme en les soumettant à des règles intenables.
 

- Certains acteurs politiques et des observateurs considèrent ce texte comme un « recul démocratique », une « entrave à la démocratie ». Partagez-vous ces jugements ?

- Oui, fondamentalement.
 

Quelle appréciation vous faites de l’adoption par le gouvernement de deux projets de décrets visant à renforcer ou à améliorer les lois sur la corruption et sur la déclaration de patrimoine des hauts responsables mauritaniens ? Quelle évaluation vous faites justement du bilan du gouvernement en matière de lutte contre la gabegie-corruption ? Le procès de l’ancien président en cours, a- t -il contribué à dissuader les voleurs à puiser dans les caisses de l’Etat ?

-La corruption est un phénomène complexe qui prospère dans les sociétés de consommation tous azimuts au sein desquelles les valeurs vertueuses occupent peu de place à cause de la montée des mentalités de type vénal. Le cas mauritanien où la machine étatique et la société sont gangrénées par des pratiques népotistes et clientélistes qui s’accommodent naturellement de la gabegie/corruption, en est un exemple.  La recherche du gain matériel à tout prix devient quasiment un mode de vie. Face à de telles problématiques, ni les lois, quoique nécessaires, ni les discours incantatoires ne sont décisifs. Il me semble que la ferme volonté politique d’ensemble et la mobilisation synergétique sont les paramètres déterminants pour endiguer et traiter valablement le mal à la racine. C’est cette approche qui est proposée dans le pacte républicain, signé en septembre 2023 par le ministre de l’Intérieur représentant le président de la République. Le bilan du gouvernement, en la matière, reste mitigé eu égard à la persistance de la tare. Le procès juste et équitable de tout responsable public inculpé et de surcroît un ancien président devrait, en quelque sorte, être expiatoire et dissuasif, loin de tout esprit de règlement de compte ou de revanche.
 

- Le gouvernement de Moktar Djay a bouclé  plus de cents  jours. Quelle appréciation vous faites de ses premiers pas. Des mesures ont été prises pour endiguer la hausse des produits vitaux. Est-il sur la bonne voie ?

-Après plus de cent jours d’exercice du pouvoir par le nouveau premier ministre, je retiens surtout l’expression d’une énergie et d’une verve dans les discours mais sur le terrain les grands problèmes, qui rendent la vie difficile aux citoyens, restent posés. La cherté de la vie est toujours décriée dans les ménages y compris ceux des classes moyennes malgré les mesures prises par le gouvernement contre la hausse des prix de certaines denrées de base. Les perspectives de changement restent hélas floues.
 

- Les avocats de la défense de l’ancien président, jugé pour corruption et leurs collègues se livrent une bataille autour de la détention et l’état de santé de Mohamed Ould Abdel Aziz. Que pensez-vous de cette querelle ?

-Les querelles entre avocats au cours du procès de l’ancien président, nous dépassent nous autres profanes. Toutefois, l’ancien président a droit à un procès juste et équitable, sa santé ne doit pas être négligée.
 

- Parmi les engagements électoraux du président de la République figurent le renforcement de l’unité nationale et l’éradication de l’esclavage et de ses séquelles…Que pensez-vous de la démarche de la présidence de la République visant à trouver une solution consensuelle au dossier du passif humanitaire avec les associations de défense des victimes ?

- Le dossier du passif humanitaire et des questions sociales liées à l’esclavage et ses séquelles ne doivent pas être traités en catimini de façon non transparente et unilatérale. C’est l’enseignement tiré par les premiers acteurs concernés, après plusieurs tentatives de règlement infructueuses. Pour clore définitivement ces dossiers, il faut instaurer un dialogue sincère et inclusif visant à désamorcer toutes les crises conduisant à l’apaisement et la réconciliation par le discours de vérité, par la recherche de la justice et des réparations. Le contenu et la logique du pacte républicain répondent clairement à ces attentes.
 

- Avec l’agression dont a été victime le journaliste Hanevy, diriez-vous que la liberté de la presse est menacée en Mauritanie ?

-La loi de la jungle menace toutes les libertés y compris celles de la presse qui est un contre-pouvoir fondamental pour tout système qui se veut transparent et convaincant. La justice réelle doit sévir contre tous les auteurs d’actes barbares d’un autre âge. L’Etat de droit protecteur et régulateur de la vie nationale doit supplanter les structures particularistes tribales ou ethniques pour garantir la paix civile et le progrès social.

 

Propos recueillis par Dalay Lam
Lecalame

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