L’exploitation minière artisanale des riches gisements aurifères s’est rapidement développée en Mauritanie lors des dix dernières années particulièrement dans la zone nord (Chami et Zouerate).
Avec ses grandes retombées économiques et sociales, cette activité joue un rôle majeur dans la croissance du pays. Néanmoins elle est associée à de mauvaises pratiques, liées à l’usage excessif du mercure, qui menace l’environnement immédiat et distant et la santé des acteurs concernés par cette exploitation mais aussi les habitants de la Moughata de Chami (département) et leurs moyens de subsistance : l’élevage et la pêche maritime. Le mercure est plus dangereux quand il est en contact avec l’eau. Au niveau du Parc National du Banc d’Arguin, ce métal présente heureusement encore de très faibles concentrations. De par sa nature cumulative dans la chaine alimentaire, il pourrait mettre en danger, à la longue, nos richesses halieutiques.
Pour mieux évaluer ces risques et contribuer à la décontamination, un projet scientifique, Resilao, est mis en œuvre par l’ISSM (Académie Navale), le PNBA et l’ONISPA sur financement du PRCM, un organisme régional basé à Dakar. Il s’intéresse principalement à trois volets : appréciation des acteurs locaux des dangers du mercure sur la santé des populations et leur environnement, l’évaluation scientifique du niveau de contamination des sites entre Chami et le PNBA et le déploiement d’une technique de phytoremédiation, une solution fondée sur la terre, pour chercher à décontaminer les sites terrestres et littoraux les plus affectés.
Résultats mitigés
Pour répondre au premier volet, une enquête d’envergure a été réalisée par l’ISSM. Nous avons demandé à 533 acteurs (orpailleurs et riverains) leur avis sur les impacts sanitaires et environnementaux occasionnés par l’usage du mercure pour l’extraction de l’or dans la ville de Chami, à quelques 40 km de l’une des plus grandes aires marines protégées de l’Afrique (PNBA).
Les deux principales questions que nous retenons ici sont:
• Comment les riverains et les travailleurs impliqués dans cette activité aurifère perçoivent-ils les impacts environnementaux et sanitaires du mercure ?
• Quels facteurs socio-professionnels (nationalité, âge, niveau d’instruction, …) influencent-ils les connaissances sur l’utilisation du mercure et les risques probables pour la santé et l’environnement liés à l’exposition au quotidien à ce métal très dangereux ?
Les résultats de cette enquête, qui a mobilisée 11 étudiants et diplômés de l’ISSM et 3 de leur enseignant- chercheurs pendant dix jours, montrent que les connaissances sur les risques de contamination voire d’empoisonnement au mercure des enquêtés, sont mitigés, malgré l’exposition quotidienne de certains d’entre eux (les manipulateurs du mercure lors des opérations d’amalgamation et les vendeurs de cette substance toxique). Ces acteurs voient dans l’exploitation de cette richesse aurifère l’aubaine tant espérée de sortir de la pauvreté quel que soit le prix à payer sur le long terme au niveau sanitaire et environnemental.
Ce n’est pas l’avis majoritaire des riverains du site d’extraction de l’or, connu sous le nom du grillage, qui dénoncent l’usage excessif du mercure, qu’ils jugent non durable, malgré le fait qu’ils bénéficient eux-mêmes indirectement de cette manne. Pour eux, le mercure est à l’origine de la contamination à long terme de l’eau, de l’air et du sol, et par conséquent de la dégradation de l’environnement pour les animaux et les humains qui en dépendent entrainant de graves impacts pour la santé humaine. Ses riverains paraissent conscients que la pollution au mercure est invisible et non dégradable.
Suivant cette enquête, les Mauritaniens représentent plus de 85 % des répondants au niveau du grillage et des riverains. Ce résultat bouscule beaucoup d’idées reçues sur le niveau de participation de nos concitoyens dans cette activité particulièrement dans le dernier maillon de la chaine de production qui génère les plus gros revenus. Les Soudanais et les Maliens, originaires de deux pays qui ont une longue tradition d’orpaillage, occupent la deuxième place (11 % pour les premiers) et la troisième place, pour les seconds (5 %). Trois autres nationalités sont aussi représentées (Sénégal, Egypte et Inde).
Contamination cumulative
Dans cette activité, exclusivement masculine, les jeunes hommes constituent la principale force de travail. Plus de 70 % des enquêtés ont moins de 35 ans. Ils occupent les postes les plus pénibles et les plus dangereux (concassage des roches dans les meules rotatives, manipulation du mercure, débarras des eaux usées et des déchets de gravats). Toutes ces opérations présentent des risques de contamination par ce métal très toxique. Globalement, ils sont sans avis ou ne veulent pas s’exprimer sur le sujet. Lorsqu’ils expriment des points de vue, leurs critiques portent plus sur les effets négatifs du mercure sur l’environnement que sur la santé des hommes et leur bétail. Leur jeune âge, qui se traduit principalement par de l’insouciance, leur bonne santé et leur expérience et séjour limités, qui ne dépassent pas, suivant cette enquête les 3 ans, expliquent en grande partie ce résultat.
Il est surprenant de noter que les répondants les plus instruits, (qui ont fait le lycée mais surtout l’université) sont les plus sceptiques quant à l’impact du mercure sur la santé et l’environnement. Ce constat contre-intuitif, s’expliquerait par la crainte de perdre leur emploi, dans un contexte d’absence d’opportunités, par suite de l’interdiction par les pouvoirs publics de l’usage du mercure eu égard à ses probables ravages sanitaires et environnementaux. Ce résultat se justifierait aussi par le séjour limité de ces acteurs au niveau du grillage qui ne dépasse pas les trois ans au maximum. Du fait que la contamination par le mercure est lentement cumulative, elle est n’est perceptible que sur le moyen et le long termes.
Dans l’état actuel, les orpailleurs arrivent à extraire 30 % du précieux métal, malgré les multiples sacrifices physiques, sanitaires et financiers qu’ils consentent au quotidien. Les 70 % restant vont aux 22 sociétés semi-industrielles qui utilisent le cyanure ou ses dérivés, considérés par ces usiniers comme plus douces que le cyanure « pur » ou le mercure.
L’introduction de toute nouvelle méthode douce et plus efficace que le mercure risquerait d’être vite découragée par les propriétaires de ces usines qui ont un poids économique et politique considérables.
Suivant les résultats de cette enquête, l’introduction de toute nouvelle méthode d’extraction douce de l’or doit répondre à des exigences strictes de la part des orpailleurs. Ils demandent, en plus de ses impacts limités sur les hommes et leur milieu, qu’elle soit accessible au niveau technique et cout d’investissement (exit les condensateurs qui coûtent 6 millions de MRO l’unité), que les revenus générés soient rapides et importants et qu’il n’y aura pas de rupture de stock.
L’agence Maaden, chargée de l’orpaillage en Mauritanie, cherchait depuis quelques années à introduire avec ses partenaires allemands, le Borax. Les Philippins ont démontré que le borax est un substitut efficace et plus sûr que le mercure. La méthode au borax retient plus d’or. Elle est aussi moins chère. Son usage est de nature à éliminer de façon progressive l’utilisation de mercure. Ces arguments économiques, sanitaires et environnementaux seraient-ils suffisants pour convaincre les orpailleurs et les autres acteurs d’adopter cette méthode ? Il faut, pour y arriver, probablement beaucoup de sensibilisation et éventuellement passer par l’interdiction graduelle de l’usage du mercure.
lecalame