Nous savons tous que l'Histoire est le "récit des événements du passé", une discipline qui étudie la chronologie et la reconstitution de ces événements à partir de sources et de matériaux, au but de perpétuer pour la postérité une séquence mémorielle permanente. Cependant la prétention de l'Histoire à vouloir appartenir à la famille des sciences déductive ou normative, quand celles-ci sont soumises à l'expérimentation ou à l'observation hypothétique, se heurte à la quintessence même de la subjectivité humaine, surtout dans l'interprétation du fait historique. Si Hedi Ben Ahmed Ben Demane Ben Maghvar est adulé par la majorité des Beni Hassan, lors de la guerre de "Char Beba", il n'en demeure pas moins que pour la quasi-totalité des Zewaya du Trarza, ce guerrier Arabe n'est qu'un "vulgaire sanguinaire » : "vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà". Aussi, Adolf Hitler est un personnage fantastique pour l'extrême droite occidentale, le monde arabo-musulman, mais il est honni par les Juifs et leurs alliés de par le monde. Voilà le premier grief infligé à la mégalomanie de l'Histoire à vouloir se hisser au rang de science exacte. Paul Valery nous dit que l’Histoire "enivre les peuples, entretient les vieilles plaies, engendre de faux souvenirs, exagère les réflexes tout en conduisant aux délires des grandeurs......"
Le choc de deux cultures
Les nations, les peuples, les entités tribales ou ethniques ont toujours eu le réflexe de se glorifier en affichant un sentiment réducteur à l'égard de l'adversité. C'est naturel, car l'homme, de par son ontologie, demeure un sujet amoral et complexe. Souvent l'étroitesse de son égoïsme, le pousse à un relent de suprématisme, en voyant constamment son vis à vis comme une proie, dépourvue de valeur. Quand deux peuples différents se rencontrent, c'est le choc de deux cultures qui se jaugent. Ce choc engendre d'abord la méfiance, ensuite le rejet de l'autre. Il est rare que la "rencontre" soit pacifique. Mais à la longue, les deux entités tenues de vivre ensemble, tissent petit à petit une confiance réciproque, d'où naîtra un métissage biologique, ensuite culturel, avec de nouveaux us et coutumes. Ainsi naît, prospère et meurt la civilisation humaine, "inscrite dans nos chromosomes, elle ne s'y imprime pas", contrairement au reflexe animal basé sur l'instinct grégaire, selon le naturaliste Jean Rostand.
Lorsque les Arabes Beni Hassane sont venus en Mauritanie vers la fin du 15 ème siècle, ils vont trouver des tribus berbères "civilisées", puisque héritières pour certaines des célèbres Mourabitounes (Almoravides) qui ont jadis propagé la religion musulmane jusqu'à la Péninsule Ibérique. Il est vrai que la confrontation entre des "étrangers" et les autochtones ne se passe pas souvent en douceur, comme on le disait tantôt. Les Beni Hassane, qui ont brandi le glaive et l'étrier, en imposant également la langue Arabe, ont pris le dessus sur le pacifisme des Sanhaja. La culture Sanhaja est morte dès lors qu'on a empêché les enfants d'apprendre leur langue maternelle. Une autre entité est née : l'Arabo-mauritanien ou le Maure comme disent les colons français qui viendront 3 siècles plus tard pour tout chambouler. Il n'est point exagéré de dire qu'au bout de chaque colonisation, il y a des souffrances, de l'extermination, de la Seiba. Faut-il en vouloir à l'ancien ambassadeur et ancien ministre Sid’Ahmed Ould Dey d'avoir rappelé une vérité historique.
Les gardes des sceaux de notre culture
La Seiba ou anarchie existait bien avant l'arrivée des Beni Hassane, puisque les tribus berbères se faisaient la guerre constamment. Ceci est d’ailleurs dans l'ADN de l'être humain, car du mal on peut extraire le bien. Sid’Ahmed Ould Dey n'avait pas à s'excuser, car ce sont les historiens (si vraiment il y en a) qui devraient prendre le relais et nous éclairer sur le texte et le contexte de cette période du "Trab El Beidanes". Mais il se trouve que cette partie de notre "armoirie" a été confiée à ce qu'on appelle les Zéwayas ou marabouts, gardes des sceaux de notre culture, de par leurs connaissances. Un domaine gnoséologique que les Beni Hassan, pressés de parachever leur domination avec le recoupement géo-administratif ou système d’Emirats, ont concédé aux Zéwaya ou Mrabeth (marabouts pour les colons). On ne prête pas ses mâchoires le moment de croquer.
Nous avons le même schéma historique chez l'autre composante Peulh de Mauritanie. En 1776, la même année de l'indépendance des 13 colonies américaines du joug britannique, une révolution des Marabouts ou Torodo (Fouta Toro) dirigée par l'érudit Souleymane Baal, est venue à bout du pouvoir des Peulh Dényankobé, jadis arrivés du Fouta Djallon, en Guinée. Cette révolution, qui ressemble au rigorisme des Mourabitounes, est menée par les descendants de l'ancien royaume du Tekrour ou Tkarir (pour les Maures) et Toucouleurs pour les Français. Les Poulo-Toucouleurs forment désormais une entité soudée, tout comme les "arabo-berbères", un sobriquet auquel je préfère le terme Arabo-mauritaniens ou Arabes tout court. On ne choisit pas ses parents, ni son lieu de naissance, mais on peut choisir son destin. Je suis persuadé qu'un jour les Arabo-mauritaniens, couplés à leur composante Haratine et les Poulo- toucouleurs vivront main dans la main, et en bons musulmans, formeront une solide nation avec leurs frères Soninké et Wolof.
Ainsi les propos victimaires, qui nous ramènent à 3 siècles en arrière, de l'ancien ambassadeur et ancien ministre Sid’Ahmed Ould Dey, ne seront qu'un lointain souvenir effacé par l'inéluctabilité et l'inexorabilité du temps. Enfin, on ne doit pas censurer l'opinion d'un homme et le vouer aux gémonies pour tout simplement avoir dit très haut ce que tous les Zewaya disent tout bas, même les intellectuels parmi eux. Ce serait de l'omerta, soulevons le couvercle et hissons les traumatismes jusqu'à la conscience. C'est la meilleure des thérapies. /.
Ely Ould Krombelé, France
lecalame