‘’Concernant le Pacte, il est inapproprié d’être partie prenante d'un document préparé en catimini, sans nous’’
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Le Calame : La CENI a fixé la prochaine présidentielle au 22 Juin 2023. Comment Tawassoul a-t-il accueilli cette décision ? Comment vous préparez-vous à cette échéance ?
Docteur Mohamed Lemine Chouaïb : Permettez-moi d’abord de remercier Le Calame pour m’avoir accordé cette opportunité et de souhaiter à toute son équipe davantage de distinction et de succès. Concernant la réponse à la question, il est vrai que nous sommes à trois mois environ de l'élection présidentielle prévue fin Juin prochain. Il s'agit en fait d'une consultation essentielle en raison de l'ampleur et de la force des pouvoirs constitutionnels et exceptionnels du président de la République. Ils vont parfois jusqu’à atteindre un niveau d'empiétement sur d'autres autorités et cela reflète la force de la présence et de l'influence de l'institution présidentielle dans le système politique de notre pays.
Malgré l'amertume de la récente expérience électorale et l'absence de garanties sérieuses pour la liberté, la transparence et l'intégrité des prochaines élections, nous continuons par ailleurs et jusqu’à présent d’accorder une grande attention à ces échéances dont les préparatifs ont commencé très tôt au niveau du parti. Dans cette dynamique préélectorale, Tawassoul a entrepris d’organiser des ateliers et des réunions avec les dirigeants du parti à Nouakchott et à l'intérieur, afin de débattre et de se concerter sur les choix disponibles ; fonder une commission centrale chargée de suivre le dossier et de préparer l’option appropriée avant de la présenter au Bureau politique, à qui reviendra la décision finale à prendre. Ladite commission poursuit ses travaux et ses contacts. Elle présentera ses propositions à la prochaine session du Bureau politique.
- Tawassoul est le plus grand parti – et le plus démocratique, ajoutent certains – de l’arène politique national, grâce aux alternances à sa tête, au respect de la représentativité des composantes du pays et à l’action sociale en faveur des démunis. Mais en dépit de tout ça et de son ancrage national, il n’a jamais brigué le fauteuil présidentiel. Cela ne mérite pas une explication ?
- Permettez-moi de rectifier : Tawassoul s'est présenté à l’élection présidentielle de 2009. Il y avait investi à l’époque son président Mohamed Jemil Mansour en tant que candidat du parti. Lors de l’élection suivante organisée en 2014, la majorité des partis d'opposition, avec à leur tête Tawassoul, avaient décidé de boycotter cette consultation. Lors de la dernière élection de 2019, un certain nombre de ces partis, dont Tawassoul, décidèrent par contre de continuer à coordonner leurs positions et de soutenir un candidat défendant un programme de changement. Ce qui fut réalisé avec la candidature de Sidi Mohamed ould Boubacar.
- Des manœuvres sont en cours depuis longtemps au sein de l’opposition pour se trouver un candidat unique. Près de trois mois avant cette échéance, l'opposition a-t-elle une chance, selon vous, de se trouver un candidat de consensus en son sein ? Sinon, que fera Tawassoul ?
- Tawassoul se prépare actuellement à la prochaine élection présidentielle. Il est vrai qu'il privilégie l'option de présenter un candidat unifié pour l'opposition et qu’il accorde à cette heure toujours la priorité à cette hypothèse. Mais d'autres choix restent sur la table, notamment la possibilité d'une investiture intérieure au parti.
- Votre parti a pris part aux dernières journées de concertation organisées par le ministère de l'Intérieur en vue de préparer l'élection présidentielle. Comment évaluez leurs conclusions ? Avez-vous le sentiment que cette consultation sera transparente, inclusive et donc incontestée ?
- Nous avons effectivement assisté à la séance d'ouverture de ces journées et à celle consacrée aux partis existants. Nous avons exprimé notre avis sur les deux points présentés lors des ateliers : le droit des partis et les garanties de transparence dans les élections à venir. En ce qui concerne le premier point, nous avons dénoncé l'entrave à la loi des partis et exigé son application jusqu'à ce qu'elle soit modifiée. Nous avons également exigé que toute modification de cette loi vise à faciliter l'octroi de récépissés aux partis et non à compliquer leur attribution. Nous avons exprimé aussi notre opinion sur la manière dont une élection présidentielle transparente, équitable et indépendante pourrait être organisée. Ce sont là les interventions principales de notre représentant exposées lors de la session et dans le document écrit qu'il a remis à la commission de rédaction. Malheureusement, celle-ci a sorti des conclusions flottantes, limitées et contraires les unes aux autres. Ce qui est sûr, c'est que le ministère de l'Intérieur en bénéficiera lorsqu'il voudra promulguer une loi ou la modifier mais nous ne nous attendons pas à ce que le processus démocratique en Mauritanie tire profit de ces résultats.
Nous avons assisté uniquement à la séance d'ouverture et à la séance relative aux partis en activité. Nous n'avons donc pas pris part aux autres, y compris celle de clôture que nous avons boycottée avec d'autres partis pour protester contre la faible prise en compte des propositions et recommandations des uns et des autres dans le document final des ateliers. Par conséquent, nous ne fondons aucun espoir dans les résultats de ces rencontres et les considérons simplement comme un mécanisme juste destiné à produire ce que le gouvernement entend adopter ; ni plus ni moins.
- Il y a quelques jours, le premier ministère a demandé au président de l'Institution de l'opposition dirigée par votre parti de ne plus recevoir les partis de l'opposition non reconnus. Comment avez-vous accueilli cette espèce de mise en garde ? Ne partagez-vous l’avis de ceux qui pensent que l’Institution de l’opposition n’a pas de moyens pour jouer son rôle, qu’elle est même une coquille vide ?
- Concernant l’Institution de l'opposition démocratique, c'est naturel qu’elle soit l’adresse de la scène politique de l'opposition et ce qui est sûr, c'est que son conseil de supervision est limité aux partis représentés au Parlement. Mais d'autres partis non-représentés à l’Assemblée nationale peuvent également participer à l'Institution qui peut donc servir de parapluie pour tous les opposants, issus ou non de partis. La Constitution mauritanienne donne à chaque mauritanien le droit de se réunir et à chaque détenteur d'opinion le droit d’exprimer celle-ci.
Ce qui s'est passé n'était pas une réunion signée par un groupe de partis. Il s'agit simplement de la publication de ce qui peut être considéré comme un compte-rendu d'une rencontre qui a eu lieu et du fait que certaines parties y ont assisté. Cela ne peut pas être considéré comme une violation de la loi de l'Institution. Nous ne nous attendions pas non plus à ce que le gouvernement accorde de l’intérêt à cette question et, s’il y a quelque chose qui l’indispose, ce n'est pas la déclaration publiée par l'Institution mais bien plutôt l'efficacité dont elle a fait preuve et l’activisme qu’elle vit. Le régime craint l'unité de l'opposition contre lui et les dernières activités de sensibilisation de Tawassoul, sa défense des opprimés de tous types et niveaux. C'est peut-être cela qui dérange les autorités et rien d'autre.
Quant aux capacités de l'Institution, elles sont, comme vous l'avez mentionné, limitées et il faut vraiment qu’elles soient reconsidérées et prises en compte. Son rôle doit être également redynamisé et elle doit être dotée des moyens nécessaires pour accomplir ses missions, sinon elle restera effectivement une institution fictive et inerte.
- Trois partis dont deux de l'opposition (INSAF, UFP et RFD) ont signé, il y a plusieurs mois déjà, un document intitulé Pacte républicain. En réaction, le reste de l'opposition, dont Tawassoul, a dit n'être pas concerné par ce texte. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
- Le document du Pacte a été travaillé par trois partis seulement, sans impliquer aucun autre dans sa préparation. Quand le document fut prêt, les deux partis d'opposition nous ont contactés et nous ont informés de son existence, sans toutefois nous en livrer une copie. Or nos décisions sont prises par des institutions et celles-ci ne peuvent pas voter sur la base d’intentions mais bien plutôt sur des projets. Sans la réception dudit projet pour décider de l'accepter ou le rejeter, nous avons donc émis des réserves à son sujet. Puis une fois le document publié, il est certain qu'il reflétait de bonnes intentions mais notre confiance dans l’actuel pouvoir et dans sa volonté à mettre en œuvre ses contenus n'est pas forte, comme ce fut d’ailleurs le cas pour l'accord que nous avons tous signé lors des dernières élections et qui ne fut pas exécuté. Nous nous sommes habitués à ce que le dialogue se déroule dans une direction et la mise en œuvre dans une autre. Par conséquent, le problème du pacte ne réside pas dans son contenu mais plutôt dans le fait que celui qui contrôle sa mise en œuvre est l’Autorité, que rien ne l'empêche d’exécuter son contenu avant sa signature et qu’elle peut l’appliquer si elle en a la volonté. Notre point de vue est qu’il est inapproprié pour nous d’être partie prenante d'un document préparé en catimini, sans nous. Nous considérons les parties qui l’ont élaboré sans capacités réelles d'exercer des pressions ou encore sans disposition initiale à mettre en œuvre ce genre de réforme. Ce n'est d’ailleurs pas seulement notre position. C’est aussi celle de toutes les formations d'opposition, à l'exception des deux partis signataires du document et de la plupart des partis de la Majorité.
- La candidature du président Ghazwani puis son élection en Juin 2019 ont provoqué le départ de quelques cadres de votre parti. Ne craignez-vous pas que ces départs s’intensifient à la veille de la prochaine présidentielle ?
- Concernant la question des démissions du parti, je voudrais souligner que Tawassoul se porte bien. Il est vrai qu'il connaît parfois des défections mais il connaît également des adhésions : sa présence et son expansion se renforcent. Il peut être considéré en fait comme le premier parti dans le pays car le parti qui le devance aux élections n'est pas un parti mais plutôt un État avec son propre appareil, ses hommes d'affaires et ses cheikhs, ses tribus, ses hauts fonctionnaires, ses Généraux et ses fonds. Quant aux partis qui comptent sur Allah, sur leurs militants et sur leurs propres moyens, Tawassoul vient en tête.
Ce qui distingue aussi Tawassoul est la force de son expansion continue et sa capacité de mobilisation et de proximité du citoyen, ainsi que sa détermination à porter les préoccupations et les problèmes de celui-ci, comme cela a été clairement démontré lors de notre gigantesque et inédit meeting populaire organisé le 11 Février dernier, portant haut le slogan « Le peuple souffre ». Tout le monde a été témoin de sa grande mobilisation, de la force de son discours et du niveau de son organisation. Une réponse forte à ceux qui doutaient de sa popularité et de sa position d’opposant.
- Les Sénégalais viennent d’opérer une alternance démocratique en élisant un candidat de l’opposition. Les Mauritaniens peuvent-ils en rêver, même si, on le sait, les conditions d’une telle éventualité sont loin d’être réunies ?
- Sur ce qui s'est passé chez notre frère Sénégal, la vérité est que nous le considérons comme une victoire pour la démocratie et les institutions, un rêve et un modèle à suivre dans notre continent africain qui a tant souffert des régimes tyranniques et des dictatures qui ont opprimé les peuples et transformé plusieurs pays en États défaillants. Il est vrai que le Sénégal possède un long héritage démocratique et une expérience pionnière en matière d’alternance sûre et pacifique au pouvoir. Nous espérons voir notre pays suivre bientôt la même voie. La leçon tirée de cette victoire est peut-être que le changement est possible, si des personnes sincères unissent leurs efforts, assument leurs responsabilités et consentent les sacrifices et les luttes nécessaires.
Propos recueillis par Dalay Lam
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