Le Calame : Votre parti a participé, il y a quelques jours, aux journées de concertations organisées par la CVE en vue d’examiner les voies et moyens de trouver un candidat unique au sein de l’opposition. Comment comprendre cette présence, alors que votre parti a déjà investi son candidat en la personne de l’avocat maître El Id M’Bareck ? L’initiative de la CVE a-t-elle des chances d’atteindre son objectif ?
Diop Amadou Tidiane : Je ne pense pas que vous ayez reçu la bonne information sur lesdites concertations. Le FRUD n’a pas pris part à une quelconque réunion relative à un processus d’identification d’un candidat unique. Cette information est totalement erronée.
- Depuis quelques mois, des démarches avaient été entreprises au sein de cette opposition pour se trouver un candidat unique. Pourquoi elles n’ont pas abouti ? À qui la faute ?
- Je reste sceptique quant à la possibilité de trouver une candidature unique de l’opposition. De mon point de vue, on ne peut évoquer une telle éventualité avant de s'entendre et s'accorder autour d’un programme consensuel. Une candidature à la présidentielle suppose en effet un véritable projet de société et qui dit projet, dit programme. Or, à ma connaissance, les initiateurs de ces démarches n’ont au préalable ni proposé ni discuté d'un projet politique quelconque qui ait fait l’objet d’une entente.
L’autre argument que je mettrai en avant pour justifier davantage mon scepticisme, c’est qu’on ne peut pas avancer des discussions en vue d’une candidature unique si celles déjà officiellement annoncées [par l'Institution de l'Opposition Démocratique (NDLR)] ne se sont pas actées ou du moins suspendues. Et ce d'autant plus que j'ai eu la confirmation de ce que l'objet de l'invitation était totalement différent de l'ordre du jour exposé. Comme un parfum, donc, d'un jeu dont les règles auraient été préétablies... On connaît par ailleurs la position de certains candidats qui ont déjà annoncé avoir accepté de remettre provisoirement en cause leur candidature, le temps que durera les discussions… mais ce n’est pas le cas de tous.
- Vous avez donc investi votre candidat à la présidentielle. Pourquoi ce choix ? Dans ce contexte mauritanien, quelle pourrait être la chance de votre favori ? Tous les membres de la coalition Espoir Mauritanie 2023 qui a obtenu un bon score aux dernières élections locales le soutiennent-ils ? Nombre de mauritaniens se demandent par ailleurs si l’alternance générationnelle qui vient de balayer le régime de Macky Sall au Sénégal ne pourrait pas profiter à votre candidat. Y pensez-vous au FRUD ?
- Je dois vous révéler d’abord que j’avais personnellement l’ambition de me porter candidat à cette élection présidentielle mais je me suis au final désisté au profit de mon camarade maître El Id Mohameden Mbareck pour des raisons que je pense présenter au moment opportun. Le FRUD soutient cette candidature, comme la quasi-totalité des membres de la coalition Espoir Mauritanie. D’autres cadres politiques, des mouvements de la Société civile et de hautes personnalités indépendantes et autres s’exprimant à titre individuel ont aussi décidé de lui apporter leur soutien. C’est donc vous dire que depuis l’investiture de notre candidat, nous poursuivons les contacts auprès de toutes les composantes du peuple mauritanien pour solliciter des ralliements à sa cause et, je l’avoue, le constat est plus que rassurant : carrément prometteur.
C'est pour nous l’occasion d’annoncer ici au peuple mauritanien que nous allons bientôt organiser une caravane qui sillonnera toutes les régions du pays pour aller à sa rencontre, lui présenter le programme de notre candidat et inciter les plus jeunes en âge de voter d'aller s’inscrire sur les listes électorales, suivant un calendrier qui sera établi. Quant à l’unanimité du soutien de coalition Espoir Mauritanie à la candidature de maître El Id et comme je l’ai dit tantôt, ce ne sont pas tous les membres de la coalition qui ont décidé de lui apporter leur soutien. Ce n’était évidemment pas notre souhait mais c’est le droit le plus absolu de chacun de soutenir le candidat de son choix et cela n’a aucun impact négatif sur la coalition et son avenir.
Dois-je rappeler au passage qu’à la fondation même de celle-ci, il subsistait des points sur lesquels on ne s'était pas mis d’accord et qui ne figuraient donc pas dans la Charte ; notamment la question relative à l’élection présidentielle. Cela n’a cependant en rien freiné la naissance de la coalition. Cet état de fait était en quelque sorte prévisible et entrait donc, disons-le, dans le cadre d’un commun accord lors de l’officialisation de notre coalition. N’en soyez d’ailleurs pas surpris : il se pourrait aussi qu’on puisse diverger dans l’avenir sur une autre question d’ordre politique… Cela peut arriver mais la coalition ne s’articule essentiellement que sur les points sur lesquels nous sommes tombés d’accord et dont la Charte constitue la matérialisation et le fondement de notre union. Je conclurai sur ce point en affirmant sans détours que notre coalition se porte bien et continue de constituer un véritable outil politique incarnant l’espoir du peuple et de toute une génération.
- Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi les propositions de votre candidat aux Mauritaniens différent-elles de ce que les différents régimes ayant défilé à la tête du pays ont développé ? Pensez-vous pouvoir rallier le reste l’opposition autour de votre candidat ? Comment comptez-vous faire ?
- S’agissant de notre projet social, je vous renvoie au programme de maître El Id qui se démarque jusqu'aux plus petits détails de tous ceux des candidats déjà annoncés. J'ose dire qu'on vient d'amorcer une rupture totale, assortie de profondes réformes, tant sur le plan politique, économique que social. Dans un monde qui baigne dans l'incertitude, il est vital de choisir un candidat visionnaire, doté d'une indépendance d'esprit mais dévoué à l'épanouissement et au bien-être de chaque mauritanien dans sa singularité mais aussi de tous les Mauritaniens dans leur diversité.
Tous ceux qui connaissent El Id, notre candidat, savent qu'il incarne l'intégrité, l'engagement et la détermination ; des qualités ô combien rares dans notre pays. Doté d’une expérience politique incontestable et d'une carrière professionnelle remarquable, il prône, à la différence des autres, la modernisation, l'innovation et surtout la redynamisation dans tous les domaines sociétaux et économiques, de l'éducation à l'industrialisation, en passant par la santé et la justice... pour ne citer que ceux-là.
Enfin, une des bonnes raisons de voter pour notre candidat est qu'il est fervent supporter de l'unité nationale et de la réconciliation, un défenseur de la paix sociale, avec la Mauritanie en seule et unique priorité. Notre vision met l'accent sur la lutte contre la corruption, les injustices et pour la paix. Permettez-moi cependant d’ajouter ici quelques mots, afin de présenter l’ossature et la quintessence de notre ambition à moderniser le pays, à travers les cinq chantiers essentiels suivants : modernisation politique et institutionnelle ; modernisation économique, aménagement du territoire national et développement durable ; modernisation de l'éducation et du système social, statut de la femme, place des jeunes et question de l'emploi ; modernisation culturelle, tourisme et développement sportif ; modernisation de la politique étrangère et de la diplomatie, et place de la diaspora.
- Dans le cadre des préparatifs de la présidentielle, le ministère de l’Intérieur a convié tous les partis de la majorité et de l’opposition à des journées de concertations auxquelles le FRUD a pris part. Que pensez-vous des recommandations qu’elles ont produites ? Avez-vous éprouvé, au sortir de ces assises, le sentiment que le prochain scrutin présidentiel sera transparent et inclusif ? Les préparatifs et dispositifs de la CENI vous rassurent-ils ?
- Il est difficile, vous le savez, de se prononcer sur les garanties de transparence dans la gestion d'une élection en perspective. Cependant nous allons bien sûr nous concerter, au sein de l’opposition, pour engager une réflexion collective sur un dispositif sécuritaire à prendre autour du processus électoral, comme cela fut toujours le cas à la veille de chaque élection. Puis nous discuterons avec tous les acteurs concernés par ledit cheminement ; je veux dire la CENI, le ministère de l’Intérieur et ses démembrements, le centre d’enrôlement et l’état-civil, en exigeant que l'opposition soit associée à tout le processus, depuis la conception des listes jusqu'à l'informatisation des résultats et leur proclamation, puisque chacun de ces organes y est impliqué à une étape ou à une autre. Faudra-t-il aussi rappeler que des insuffisances et beaucoup de manquements avaient ponctué le déroulement du scrutin législatif et municipal du 13 Mai 2023 ? À l’époque, nous en avions d’ailleurs imputé l’entière responsabilité à l’organe de gestion de l’élection, en l’occurrence la CENI qui n’avait pas, selon l’opposition, joué son pleinement son rôle de garant de l’indépendance et de l'impartialité.
Pour ce qui est des journées de concertations initiées par le ministère de l'Intérieur, nous y avons pris part dans l'esprit d'apporter notre partition dans la consolidation des acquis démocratiques et prouver notre bonne volonté de participer à tout qui va dans l'intérêt du peuple mauritanien. Mais, après avoir décliné notre point de vue sur les deux thématiques proposées, nous avons jugé que les conclusions qui en découleront ne nous engageaient pas, puisque nous n'avions pas été associés à la conception des concertations, en tant que membre à part entière de toute œuvre véritablement démocratique mais comme des simples témoins. C’est pourquoi nous n'avons pas assisté à la séance de clôture ni pris part aux conclusions, à l'instar de tous les autres partis de l'opposition représentés à l'Assemblée.
- Au cours d’une récente sortie, vous avez déclaré que le FRUD ne prendra pas part à un dialogue qui ne traiterait pas du dossier dit « Passif humanitaire ». Y aurait-il un dialogue en gestation ou s’agirait-il des manœuvres autour du Pacte républicain ? Que pensez-vous des démarches entreprises par le pouvoir en vue de trouver une solution consensuelle et définitive avec les associations des ayants droit et des rescapés ? À votre avis, pourquoi les partis politiques et les organisations de défense des droits de l’Homme n’y ont-ils pas été associés ?
- Cette sortie n’est pas du tout récente. Elle date du 11 Septembre 2021, lors d’une conférence de presse que le FRUD avait organisée à l’espace Galaxie pour justifier son refus catégorique de participer au dialogue initié à l’époque par le pouvoir en place. Effectivement, tous les partis politiques reconnus, comme ceux en cours de reconnaissance, y avaient pris part, avant qu’il ne soit unilatéralement interrompu par son initiateur, six mois après son ouverture. Il s’en suivit, si vous vous en souvenez[[P1]]url:http://lecalame.info/?q=node/15751#_msocom_1 , l’ouverture, le 12 Juillet 2022 dans les locaux du ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, de concertations politiques qui aboutirent, au terme de trois mois de travaux, à la signature d’un protocole d’accord politique signé par les vingt-cinq partis reconnus. C’était le 26 Septembre de la même année.
Sinon j’avoue ignorer toute démarche entreprise par le pouvoir en vue de trouver une solution consensuelle et définitive avec les associations des droits de l’Homme et des rescapés. Notre point de vue là-dessus ne souffre toutefois d’aucune équivoque : tant qu’il n’y aura pas une réelle volonté politique, c’est peine perdue car l’État demeure le seul et unique interlocuteur capable de s’inscrire dans la recherche d’une solution durable. Tant que ce problème ne trouvera pas d’issue définitive, les ayants droit poursuivront légitimement leur action de revendication et il va de soi que ce problème demeura un fléau sans nul doute capable d’ébranler les fondations mêmes de la construction de l’unité nationale tant rêvée. Aujourd’hui, même le contexte international ne plaidera plus en faveur de certaines pratiques et violations des droits humains, même si la logique des intérêts stratégiques amène souvent les puissances étrangères à développer des attitudes contradictoires, des mutismes incompréhensibles, voire des neutralités équivoques.
- Le FRUD et d’autres partis de l’opposition demeurent réticents à rejoindre les trois signataires du Pacte républicain. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Le contenu du document ne vous convainc pas ?
- Là-dessus, je ne pourrai que me ranger derrière la posture avancée par l’Institution de l’Opposition Démocratique (IOD), de façon générale, face au Pacte républicain initié conjointement par le RFD et l’UFP. L’IOD estime qu’une partie de ce qu’elle considère être de ses entités – si je peux m’exprimer en ces termes – devrait d’abord se concerter avec elle avant d’engager quelque partenariat avec le pouvoir ou la majorité. Cela dit, si l’une des fonctions de ladite institution consiste à promouvoir le dialogue entre l’opposition et la majorité, cela ne lui confère aucunement – on est loin de l’ignorer – l’exclusivité de se livrer à un tel exercice, tout comme elle ne pourrait en aucune manière être reléguée au second plan au cas où la nécessité d’engager un dialogue au niveau national s’imposait.
Vous vous rendrez donc avec moi à l’évidence que cette réticence ou, disons, refus manifesté par l’opposition à la signature de ce pacte ne relève certainement pas d'une question de fond mais plutôt de forme ou de manière. L’idée du pacte est juste, son contenu certes louable, mais la démarche fait défaut. Aux yeux de l’opposition démocratique, elle n’obéit pas à la forme requise pour engager la caution ou l’aval de tout le monde. Il faudra malheureusement constater qu'une des conséquences de cette discorde politique relative au pacte a bien creusé davantage le fossé entre des partis qui devraient être en principe animés par un même idéal politique ; à savoir leur dénominateur commun : « l’opposition démocratique ».
- Le Premier ministre a sommé l’IOD de ne plus recevoir dans son siège les partis non officiellement reconnus. Qu’en pensez-vous au FRUD ?
- Nous avons déjà réagi à cette injonction lors d’une conférence de presse organisée le jeudi 4 du mois courant à l’hôtel Mauricenter. Nous pensons que cet oukase résulte tout simplement d’une volonté du PM d’asphyxier l'IOD dans son action. Mais il est vide de sens puisque le gouvernement lui-même associe à ses activités officielles – je veux parler de récentes concertations politiques – les leaders des partis dits « non reconnus » comme les présidents Biram Dah Abeïd et Samba Thiam. Je pensais que la primature allait saisir la volonté exprimée par le conseil de supervision de l’IOD devant le président de la République, lors de l’audience qu’il nous avait accordée pour nous encourager à jouer pleinement notre rôle dans l’ancrage démocratique et nous rappeler que la Mauritanie est le premier pays de la sous-région à inscrire cet outil dans son dispositif politique et démocratique. Malheureusement, le Premier ministre en prend le contrepied, en tentant de s’opposer à notre action de rassembler toute l’opposition dans un seul cadre. Raison de plus pour édifier ici l’opinion : l’IOD se doit de servir d’abri et de refuge à toutes les organisations qui se revendiquent de l’opposition et cela en toutes circonstances. C’est là son essence même.
- Que pensez-vous de la récente incursion des forces armées maliennes et de leurs supplétifs russes de Wagner dans l’Est du territoire mauritanien ?
- Certes, je ne maîtrise pas les accords d’entraide et de coopération militaire entre les États frontaliers – je veux dire la possibilité que l’un ou l’autre des pays riverains poursuive au besoin un ennemi au-delà de ses frontières – mais il n'en demeure pas moins que nous déplorons en tout état de cause les pertes en vies humaines et/ou de blessés dans notre pays ou au Mali, à la suite de l’incursion militaire de l’armée malienne et de certains membres du groupe Wagner. Nous présentons nos condoléances aux familles endeuillées et regrettons vivement la « bavure » du voisin. Le Mali a aujourd'hui plus d’intérêt que n’importe quel autre État à garder de bons rapports avec ses riverains. Son armée n’en a donc aucun à enclencher, en plus de ses problèmes, des situations pouvant conduire à des conflits au niveau de ses frontières. Dans tous les cas de figure et tout en recommandant plus de vigilance à nos concitoyens vivant près des frontières, nous lançons un appel au calme à nos autorités militaires car, quel qu'il soit et qu’en soit l’issue, un conflit est toujours destructeur et fatal.
Propos recueillis par Dalay Lam
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